Nexity recrute des hauts fonctionnaires, achète des macrolots en blanc, et négocie ensuite leur destination avec la puissance publique. Est-ce la seule façon de développer des logements ?
Les collaborateurs auxquels vous faites référence amènent entre autres à Nexity une compréhension fine des grands sujets de société et nous permettent d'améliorer nos solutions. Ainsi, nous devenons de bons consultants et de bons prévisionnistes, pour les maires notamment. Quand nous acquérons des macrolots, nous mobilisons une certaine puissance financière et devons faire circuler les fonds rapidement. Or, notre objectif est de développer des programmes adaptés aux besoins de la collectivité et des futurs habitants, et donc de les vendre au juste prix.
La programmation urbaine des élus est-elle en phase avec l'évolution des modes de vie ?
Les besoins en logement sont plus forts que ce que la puissance publique avait anticipé, et surtout, différents de ce qu'elle avait imaginé. Selon l'Insee, plus d'un tiers des ménages se composent d'une personne seule, et « le rêve des Français », qui consiste à acquérir une maison individuelle, ne dure qu'une quinzaine d'années de la vie d'un usager. Nos compatriotes sont des chats : ils ont sept vies et autant d'occasions de changer de domicile. Or, les élus continuent de nous demander de programmer de grands logements, qui ne sont pas toujours adaptés aux besoins ; un ménage n'a pas besoin d'un 4 ou 5-pièces toute sa vie, mais plutôt lorsqu'il y a des enfants et que les parents ne sont pas séparés. Dans les faits, ce type de biens représente 15 à 20 % des demandes de nos clients, et pourtant certains maires souhaitent qu'ils composent 40 à 50 % de nos programmes ! Par ailleurs, il n'est plus vrai de dire que ce qui compte dans l'immobilier, c'est « l'emplacement, l'emplacement, l'emplacement ». Le sujet est d'abord budgétaire : les acheteurs veulent pouvoir loger leur famille, en étant à vingt minutes du centre d'une métropole. Cela nécessite de développer un réseau de transports en commun efficace. Et de construire moins cher. Enfin, les acheteurs veulent vivre dans un village. A charge pour le promoteur de développer des services et de générer du lien entre les habitants.
Comment construire moins cher ?
En bâtissant des villages verticaux, comme nous l'avons fait à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) avec la tour Emblématik, conçue par l'Atelier Castro Denissof Associés. A chacun de ses 18 étages se développent des « noyaux villageois » (sept ou huit logements), et des terrasses végétalisées sont présentes tous les quatre étages, telles des places publiques.
Nous garantissons le niveau de charges, car nous maîtrisons cette activité dans notre plate-forme de services immobiliers. Le foncier est si rare qu'il ne doit pas être gâché. Pour développer ce type de programme, il faut définir les PLU et PLUi à l'aune de la démographie, des besoins et des moyens de nos concitoyens. Cela demande du courage politique.
Augmenter la hauteur constructible permettrait de baisser le prix de revient du mètre carré, et donc de réduire le prix de vente, mais aussi d'améliorer l'esthétique des immeubles tout en aidant les collectivités à développer les équipements adaptés. Le promoteur doit s'engager sur le prix. D'ailleurs, lors des appels d'offres sur les terrains, pourquoi le prix de vente des logements ne serait-t-il pas un critère de sélection ?
Cela pousserait le marché à se concentrer, car les coûts fixes des petits promoteurs ne leur permettraient pas de rivaliser avec des géants comme Nexity…
Il faut faire attention à garder assez d'acteurs pour éviter une certaine homogénéisation de l'offre. Néanmoins, les acquisitions, comme celles réalisées par Nexity, permettent d'avoir une importante puissance d'innovation.
Ne faut-il pas réinventer la manière de construire ?
Nous avons d'abord lancé une démarche de massification des achats. Mais les coûts de construction ont progressé de 15 % en trois ou quatre ans. Et le secteur de la construction est le seul à avoir perdu en productivité. Il est temps que nous investissions le sujet, pour allier la qualité au prix, grâce à l'industrialisation des processus. Nous envisageons d'ailleurs de mettre en place un POC (proof of concept) sur le sujet. Nous misons sur le biosourcé et le bois.
A l'exemple de la start-up Katerra ?
Leur production est trop uniforme, alors que nous prônons la diversité. Mais cette start-up a initié un mouvement.
La robotisation des méthodes constructives est complexe, et nécessite de lourds investissements. Par exemple, les usines de l'entreprise de bâtiment Lindbäcks en Suède ou de Laing O'Rourke au Royaume-Uni représentent chacune des investissements de plusieurs dizaines de millions d'euros.
Pour certaines collectivités locales, travailler avec Nexity peut faire peur…
Pourtant, Nexity crée beaucoup de proximité et l'image de grand groupe que nous avons est fausse. Nous possédons une quarantaine de filiales bien ancrées dans leur territoire, qui répondent à une demande locale et disposent d'un pouvoir décisionnel important. Nous avons également des marques d'envergure nationale comme Aegide-Domitys pour les résidences services seniors, Studéa pour les étudiants, mais aussi des marques de proximité à Bordeaux et Toulouse, comme Domaines du sud. Notre structure n'est pas pyramidale : seuls quelques sujets régaliens, comme la qualité, la conformité ou le juridique, sont pilotés depuis le siège.
Justement, Alain Dinin vous a cédé sa place de directeur général pour rester président. Qu'est-ce qui change ?
Sur la stratégie, rien. Il nous demande, à moi-même et aux directeurs généraux délégués Julien Carmona, Véronique Bédague et Frédéric Verdavaine, d'aller plus loin en matière de services, d'usages et de compréhension des besoins, et un peu plus fort en matière de développement et de proximité, en démultipliant les marques, par exemple.
Il veut également que nous allions un peu plus haut en termes de responsabilité, vis-à-vis de nos clients et de nos collaborateurs, mais également vis-à-vis de nos concitoyens, par rapport au climat et à l'environnement.

Alors que WeWork connaît des déboires, quel avenir réservez-vous à Morning Coworking, dont vous avez acquis 54 % du capital en début d'année ?
Les équipes de Clément Alteresco de BAP Morning Coworking savent réaliser des espaces au bon endroit, avec des usages et des services correspondants, dans des conditions frugales. La société réemploie beaucoup de matériaux, ce qui aboutit à des lieux sympathiques et malins. BAP a trouvé un modèle économique viable. Nous intégrons d'ailleurs déjà leur solution dans nos réponses à consultation, quand nous élaborons des quartiers de ville.
Le projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire est débattu au Parlement. Comment comptez-vous booster le réemploi ?
Nous y avons recours dès que c'est possible. Et quand nous le faisons, nous le valorisons vis-à-vis des élus. Nous devons passer une nouvelle étape, mais le problème est d'abord logistique. Il faudrait créer une filière, pour que soient centralisés les matériaux à réemployer.