Décryptage

Hausse des prix des matières premières : quelques remèdes

Commande publique - Rappel des mécanismes permettant aux entreprises de dialoguer avec la maîtrise d'ouvrage pour en absorber les conséquences.

 

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Depuis le début de l'année, le coût des matières premières connaît une augmentation sans précédent. On assiste également à des pénuries. Les causes de ce phénomène sont multiples, et la reprise économique conséquente à la suite de la récession liée à la crise sanitaire empêche l'offre de faire face à la demande. Cette situation impacte considérablement l'ensemble des secteurs de la construction, provoquant hausse des coûts et retards de livraison. Le secteur privé et celui de la commande publique sont concernés de la même manière.

Cet accroissement du coût de la matière première et sa rareté peuvent entraîner de très lourdes conséquences pour les entreprises, telles que l'application de pénalités de retard et l'état de cessation des paiements si la trésorerie est insuffisante pour supporter l'achat des matières premières.

Voici un point pratique sur les leviers dont disposent les entreprises pour gérer les difficultés consécutives aux problèmes d'approvisionnement au cours des marchés publics de travaux.

Modification du prix en cours d'exécution du contrat

Les contrats publics doivent contenir des clauses de révision ou d'actualisation des prix. Ces mécanismes sont censés tenir compte de l'évolution du coût des matières premières. La révision peut se faire soit en appliquant une référence (par exemple, les index BT/TP), soit par une formule représentative de l'évolution du coût, soit par une combinaison des deux mécanismes.

Pour les marchés de travaux, le cahier des clauses administratives générales (CCAG) prévoit une révision mensuelle du prix à compter du commencement des travaux (article 13.2 CCAG 2009 ; article 12.2 CCAG 2021). Les maîtres d'ouvrage publics ne doivent, théoriquement, pas appliquer le même point de départ des travaux pour l'ensemble des intervenants et tenir compte du commencement réel d'exécution. A défaut, les entreprises intervenant au milieu ou en fin de chantier peuvent être défavorisées. Ces entreprises verraient leur révision calculée par rapport à un prix de référence à une date où elles ne travaillaient pas encore.

Les acheteurs publics doivent appliquer les clauses de révision ou d'actualisation de prix dans les conditions susmentionnées. A défaut, ils peuvent voir leur responsabilité engagée pour les préjudices induits.

Mais encore faut-il que de telles clauses aient été prévues. « La clause de révision de prix ne peut être ni modifiée, ni introduite en cours d'exécution du marché même si celle-ci était obligatoire », rappelle la Direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy dans une fiche technique publiée le 1er juin dernier.

L'imprévision

L'imprévision permet au titulaire d'un contrat public d'obtenir une indemnisation de l'administration lorsqu'il est confronté à un événement non prévisible au moment de la conclusion du contrat, extérieur à la volonté des parties et engendrant un bouleversement de l'économie générale du contrat. Il s'agit d'un mécanisme créé par la jurisprudence au début du XXe siècle (CE, 30 mars 1916, « Compagnie générale d'éclairage de Bordeaux », publié au Recueil) et rappelé encore récemment (, mentionné aux tables du Recueil).

La hausse du coût des matières premières ou leur rareté peuvent-elles créer une situation d'imprévision ? Les deux premières conditions - prévisibilité au moment de la conclusion du contrat et extériorité - seront remplies dans la plupart des cas. Hormis pour un contrat conclu depuis que le phénomène a commencé…

En revanche, s'agissant de la condition du bouleversement de l'économie générale du contrat, cela dépendra de chaque situation. A noter qu'une baisse ou une disparition du profit ne sont pas suffisantes (CE, 15 juin 1928, « Commune de La Courtine »). L'entreprise devra démontrer que les difficultés d'approvisionnement génèrent une situation financière risquant de la placer en état de cessation des paiements. Elle devra également justifier que la charge supplémentaire subie dépasse celle normalement prévisible pour l'exécution d'un tel marché. Des charges supplémentaires représentant 3 % (, mentionné aux Tables) ou moins de 5 % () du prix du marché n'ont pas été considérées comme suffisantes.

La jurisprudence se montre assez exigeante. A ce jour, elle n'a pas eu l'occasion de se prononcer sur l'application de l'imprévision en raison du contexte actuel. Mais la situation financière délicate de certaines entreprises justifiera l'application de ce dispositif.

Le titulaire du contrat peut, par ce mécanisme, obtenir une indemnisation de l'administration pour couvrir les charges subies et non prévues. Il peut aussi obtenir, par décision de justice, une résiliation du contrat, ce qui le déliera de ses engagements.

Ce levier peut donc avoir du poids dans une négociation avec la maîtrise d'ouvrage.

La force majeure

La force majeure correspond à une situation extérieure à la volonté des parties, imprévisible au moment de la conclusion du contrat et rendant impossible la poursuite de son exécution. Ce mécanisme est, lui aussi, appliqué de longue date par la jurisprudence administrative (CE, 9 décembre 1932, « Compagnie des tramways de Cherbourg », publié au Recueil) et continue à l'être ().

La force majeure permet d'éviter l'application de pénalités de retard () et d'obtenir par une décision de justice la résiliation d'un contrat. L'acheteur a également la possibilité de prononcer une résiliation en présence d'un cas de force majeure ().

La perturbation du marché des matières premières pourrait conduire un juge à admettre une situation de force majeure, mais dans des cas plus graves que l'imprévision. Il faut que le titulaire soit dans l'impossibilité de poursuivre l'exécution du contrat sous peine de passer en état de cessation des paiements. Mais encore une fois, en fonction des situations, ce levier juridique peut intervenir dans le cadre d'une négociation avec la maîtrise d'ouvrage.

Les recommandations de Bercy

Le gouvernement a conscience de la situation : la DAJ a publié la fiche technique précitée à l'attention des maîtres d'ouvrage publics afin de tenir compte de la flambée du prix des matières premières et des risques de pénurie. Il est notamment recommandé aux acheteurs de l'Etat et des collectivités locales de renoncer à l'application des pénalités de retard et d'accorder des reports de délais en cas de retard consécutif aux difficultés d'approvisionnement. Les maîtres d'ouvrage publics sont, en effet, libres de prendre de telles mesures (, mentionné aux Tables).

Les acheteurs publics sont donc incités à rechercher des solutions amiables par les actions énumérées ci-dessus. En effet, la fiche rappelle, en parallèle, les mécanismes d'imprévision et de force majeure évoqués ci-avant et qui peuvent conduire à des réclamations émises par les titulaires de contrat. Le ministre de l'Economie et des Finances s'est prononcé dans le même sens dans une réponse ministérielle du 22 juillet 2021 (question écrite n° 23427). En outre, la fiche technique de la DAJ invite les acheteurs publics à anticiper les difficultés lors de la rédaction de leurs futurs marchés - notamment en rappelant que les clauses de révision sont obligatoires lorsque les prestations « sont exposées à des aléas majeurs du fait de l'évolution raisonnablement prévisible des conditions économiques pendant la période d'exécution des contrats ».

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