Habitat : une opération qui donne le la

Avec, pour référence historique, la silhouette effilée du mythique Flatiron Building de New York (1902), les architectes aiment à se frotter aux immeubles d'angle - toujours valorisants en termes d'écriture - de même qu'aux parcelles impossibles, pudiquement qualifiées d'« atypiques ». Les associés de l'Atelier Martel ne dérogent pas à la règle avec, rue du Poteau, aux franges nord de la capitale, une « petite » opération - 33 logements sociaux, tout de même - campée sur un bout de terrain rectangulaire, étroit, produit géométrique du tracé du boulevard Ney et de ladite rue du Poteau.

Une parcelle qui offre néanmoins de la profondeur disponible en cœur d'îlot et autorise, à sa tête, une morphologie triangulaire qui vient s'accoler à l'existant pour combler une singulière pièce urbaine comme incomplète et un brin bancale du début du XXe siècle. « L'immeuble sur rue crée une continuité cohérente en offrant enfin à cette artère une proue qui amorce un nouveau gabarit de référence pour les constructions ultérieures », observe Stéphane Cachat, associé de l'Atelier Martel aux côtés de Marc Chassin et Laurent Noël.

Courettes et logements traversants. L'opération, emmenée par le bailleur social 3F, consiste donc en deux constructions selon un modèle parisien traditionnel : sur rue, un immeuble de 23 logements avec son local commercial, réinterprétant le gabarit et les proportions de ceux du boulevard Ney. En cœur de parcelle, un immeuble plus modeste de 10 logements, à la modénature simplifiée. Deux courettes agrémentent la composition et articulent les deux constructions. La première, au sol minéral et ponctuée d'arbres, met à distance le local commercial et l'accès aux logements. La seconde, davantage végétalisée, apporte de l'intimité au logement en rez-de-chaussée vis-à-vis du passage vers le dernier hall situé en fond de parcelle. La morphologie de l'îlot et la fragmentation de la composition favorisent le caractère traversant de la majorité des logements, à la recherche d'orientations favorables. Dans une même approche bioclimatique, grâce aux protections solaires, à une enveloppe performante, à la récupération de chaleur sur les eaux grises et à la production d'électricité photovoltaïque, le projet atteint une consommation maximale de 50 kWhep/m2.an.

Au-delà des aspects technico-architecturaux, l'Atelier Martel a pris l'habitude - lorsque le commanditaire est, comme ici, sensible à la question - d'intégrer un artiste à l'équipe de conception afin de réaliser une œuvre pérenne dans les opérations qu'il signe. « L'artiste apporte sa vision et sa compréhension du bâti, de son esthétique, de ses ambiances, de sa symbolique, etc. Il s'agit de susciter un dialogue avec les équipes de conception, la maîtrise d'ouvrage et les futurs usagers pour de nouveaux mécanismes d'appropriation », plaide Stéphane Cachat.

Le plasticien Julien Serve a ici imaginé une œuvre déployée sur l'intégralité du rez-de-chaussée, sous la forme d'un pavage (issu du réemploi) des courettes et du passage, mais aussi d'un bas-relief en béton, matricé lors de son coffrage, tout le long du mur mitoyen de la parcelle. Le tout est inspiré de motifs géométriques recueillis dans la cour de Marbre du château de Versailles et à l'Alhambra de Grenade… So chic !