Tribune

Guillaume Cairou, CCI des Yvelines : "Les métiers manuels, pour redevenir l’artisan de sa vie"

La baguette de pain, tradition nationale séculaire, a enfin été inscrite au patrimoine immatériel de l’Humanité par l’Unesco le 30 novembre dernier. Pour Guillaume Cairou, président de la Chambre de commerce et d’industrie des Yvelines et vice-président de la CCI d’Ile-de-France, cet événement symbolise l’importance de revaloriser nos métiers manuels et de proximité, dans un temps où les Français cherchent à redonner du sens à leur travail.

Guillaume Cairou, président de la CCI des Yvelines
Guillaume Cairou, président de la CCI des Yvelines

Après la floraison d’articles et tribunes annonçant une vague de « démissions silencieuses », la reconnaissance de la baguette à la française comme élément du patrimoine de l’Humanité a de quoi redonner le sourire. Ce savoir-faire traditionnel, qui satisfait chaque jour l’appétit de douze millions de nos concitoyens, constitue désormais la vitrine d’un ensemble de métiers à la fois multiséculaires et porteurs aujourd’hui de valeurs singulières. En ce sens, la pandémie a remis en cause nombre de carrières et de stéréotypes de la réussite au travail. En 2021, un record de créations d’entreprises artisanales a été enregistré avec 250 000 nouvelles activités partout sur le territoire, réalisant un bond de 23 % dans les zones rurales. A l’inverse, les tours de bureaux de La Défense, emblèmes des « business districts » et de la tertiarisation des dernières décennies, peinent à retrouver leurs milliers d’employés encravatés, alors que 25 % des consultants quittent chaque année, parfois essorés, les grands cabinets de conseil. Quant au récent krach du Bitcoin, ce dernier démontre, si cela était encore nécessaire, l’impératif de préservation de nos savoir-faire productifs au service de l’économie réelle.

Les métiers à impact portent rarement un nom à consonnance anglosaxonne. Loin des « Chief Happiness Officers », les entrepreneurs de ce retour aux sources sont boulangers, bouchers, coiffeurs, mécaniciens, charpentiers, menuisiers, cordonniers, couturiers, chaudronniers. Ils revitalisent nos territoires enclavés et redonnent une âme aux centres-bourgs et aux coeurs de villes. Ils répondent aux exigences d’une consommation raisonnée et recentrée sur l’humain. Ils sont les pionniers d’une production voulue locale et éco-responsable. Ils sont enfin au carrefour des grands défis du pays, comme sous-traitants indispensables de notre industrie régénérée et comme premiers défenseurs de notre art de vivre et de notre souveraineté. En créant une forte valeur ajoutée, les artisans assouvissent par là même leur soif de sens au travail, donnent un second souffle à une carrière jugée monotone et renouent avec le sentiment d’être utile aux autres et en accord avec soi-même. Cet élan est nourri par une réinvention des métiers traditionnels au moyen de tiers-lieux, les FabLab, mettant à disposition des techniques de production de pointe telles la découpe laser, l’impression 3D ou le fraisage numérique. La modernisation technique de l’artisanat, qui n’a plus rien à envier à l’industrie, s’accompagnerait alors utilement d’une démocratisation de l’accès aux métiers manuels et de proximité.

Rendre la quête de sens au travail accessible à tous

Deux freins principaux au lancement d’une activité artisanale entravent le plein potentiel de ces métiers à impact. Le premier est financier. Nombre de salariés ont sauté le pas de l’entrepreneuriat grâce à la constitution préalable d’un filet de sécurité, que ce soit par leurs revenus antérieurs ou un appui de leurs proches. Tous les salariés espérant une reconversion n’ont cependant pas cette chance. Pour les accompagner dans leurs projets d’intérêt général, le modèle des boutiques à l’essai peut donc être transposé en « ateliers à l’essai », bénéficiant d’un loyer minoré voire symbolique dans les villages à redynamiser et accompagnés d’un réseau de partenaires locaux. La multiplication des FabLab est aussi à privilégier. Le second obstacle est la formation, une activité manuelle à son compte étant le plus souvent précédée d’un apprentissage et d’une activité salariée auprès d’un artisan. L’enjeu ici est de décloisonner la formation en l’ouvrant davantage à ceux n’ayant pas emprunté dès leur jeunesse la voie du travail manuel, tout en continuant de faire advenir l’artisanat du XXIe siècle grâce aux avancées du numérique.

Dans ce retour en force de l’artisanat, les pouvoirs publics ont évidemment un rôle à jouer. Au niveau national, l’État doit rendre la transmission plus facile et moins coûteuse que la création d’une entreprise artisanale, pour favoriser la préservation des savoir-faire et la perpétuation d’activités profondément ancrées dans leur territoire. Les collectivités locales peuvent de leur côté ouvrir davantage leurs marchés publics aux artisans, y compris sans salarié, en procédant à des allotissements plus volontaristes en la matière. Enfin, les dispositifs hybrides d’emploi garantissant à la fois l’indépendance au travail et la protection du salariat, en premier lieu le portage salarial, ont tout à gagner à s’ouvrir à l’artisanat dans un monde où ces solutions faciles d’accès n’ont aucune raison valable d’être réservées aux seules professions dites « intellectuelles » ou « supérieures ». En fin de compte, il s’agit ni plus ni moins de réinventer notre logiciel de valorisation des métiers, en adéquation avec les aspirations renouvelées des travailleurs au sortir de ces années de bouleversement économique, social et climatique. C’est par la réunion de toutes les bonnes volontés que l’essor des métiers manuels et de proximité peut atteindre son plein potentiel. Car faire de la France une nation d’entrepreneurs, c’est aussi faire de la France une nation d’artisans.

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