Des écoles d’architecture à celles du paysage, la mobilisation se propage. « Outre le manque de ressources, les élèves se donnent un temps de réflexion sur leur métier. Ils y associent les enseignants et l’administration », observe un cadre de l’Ecole nationale supérieure du paysage de Versailles-Marseille.
Versailles prépare son chantier du siècle
Installée dans les dépendances du Château de Louis XIV, cette dernière ne souffre pourtant pas d’un manque criant de moyens, pour tenir ses promesses pédagogiques. Les partenaires privés n’ont pas fait défaut, pour soutenir ses ambitions. Les préoccupations budgétaires concernent plutôt l’application du programme pluriannuel de réhabilitations, dans ses volets patrimoniaux et thermiques : une opération désignée comme « le chantier du siècle », à l’ENSP.
Même sur ce point, le dossier avance dans un sens favorable, avec les 4 M€ débloqués pour 2023 et surtout la mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage engagée fin 2022 par l’opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (Oppic). Cet organisme réserve habituellement ses prestations au ministère de la Culture, lequel envoie ainsi un signe de soutien à son homologue de l’Agriculture, administration de tutelle de l’ENSP.
Coup de canif dans les charrettes
70 % des 130 élèves qui ont répondu à la consultation électronique du 20 mars – soit environ la moitié de l’effectif – ont pourtant approuvé le blocage de l’école, du 21 au 24. Révélatrice du rythme débridé généré par la culture de la charrette que les paysagistes partagent avec les architectes, la fermeture nocturne de l’accès aux ateliers a servi de déclic.
Les discussions en cours sur les horaires de fermeture laissent prévoir une sortie consensuelle de ce litige issu d’une décision arrêtée par le conseil d’administration de l’école en novembre dernier, "sans concertation préalable", selon les étudiants.
Deux professions, une communauté
A ce facteur déclenchant, s’ajoutent les mouvements sociaux qui traversent le pays, relayés depuis plusieurs semaines par les écoles d’art et d’architecture. « J’identifie un sentiment général de précarisation, plus que des revendications spécifiques à l’école de paysage », diagnostique Alexandra Bonnet. La directrice de l’ENSP salue au passage la force du sentiment communautaire qui unit le monde du paysage à celui de l’architecture.
« Au moment où s’engagent les réflexions sur le projet d’établissement à cinq ans et la refonte du parcours de formation, les élèves expriment un besoin de dialogue sur leur métier et une demande de reconnaissance comme force de proposition », ajoute la directrice. Source de nombreuses vocations, la spatialisation des enjeux de transition écologique renforce la détermination des élèves.
Identité et potager
« Nous voulons contribuer à reconstruire l’identité de cette école », confirme une étudiante. Dans les tables rondes qui accompagnent la mobilisation et auxquelles ils invitent les équipes pédagogique et administrative, les élèves voient l’occasion de remettre en cohérence les composantes diverses de leur école.
Cet exercice les ramène vers le Potager du roi, cœur et symbole de l’identité de l’établissement. « Sur le lieu où nous avons l’habitude de déjeuner et dont nous avons imaginé la transformation en espace de rencontre, le travail interprofessionnel lancé mardi pose les fondations d’une renaissance à laquelle participent les profs et les jardiniers. D’ailleurs, ils nous ont dit merci », se réjouit une porte-parole du mouvement.
Bifurcation assumée
Dans l’ancienne chocolaterie Poulain de Blois, l’appartenance de l’Ecole de la Nature et et du paysage à l’Institut national des sciences appliquées (Insa) du Centre-Val-de-Loire aiguise la détermination des grévistes. « Nous nous situons clairement dans la bifurcation revendiquée l’an dernier par le groupe de diplômés d’AgroParisTech. Les parcours de nombre d’anciens élèves de Blois dans l’art ou dans l’agriculture témoigne de cette convergence », témoigne Guilhem Dousson, élève de cinquième année.
Les étudiants en paysage souhaitent entraîner les autres départements de l’école d’ingénieur dans leur sillage, alors même qu’ils se sentent fragilisés par leur positionnement atypique, dans une gouvernance dont ils dénoncent l’opacité.
Accréditation en suspens
Héritier d’un établissement fondé dans les années 1990 à l’initiative de Jack Lang, alors ministre de l’Education nationale, avant son intégration au réseau des Insa deux décennies plus tard, le département fait face à un enjeu de survie, à en croire les élèves. Leur crainte se focalise sur le renouvellement de l’accréditation Hcérès, dont dépend la pérennité de l’accès au titre de paysagiste-concepteur à l’issue de leur cursus.
La précarisation des enseignants alimente la mobilisation, décidée à l’issue d’un vote auquel ont participé 110 des 150 élèves, avec une voix contre et trois abstentions. « La part des vacataires ne cesse d’augmenter, de même que les non renouvellements de postes », dénonce Guilhem Dousson. L’ingénierie et la maîtrise d’œuvre échoient cette année à un vacataire, alors même que cette matière se trouve au cœur de la profession de paysagiste concepteur.
Convergence
D’où le caractère interprofessionnel que les étudiants veulent donner à la mobilisation : « Nous plaçons le bien-être au cœur de nos revendications. Cela passe par la revalorisation des salaires, dans le corps pédagogique comme dans le corps administratif », insiste Guilhem Dousson. L’idée d’une convergence des luttes fait son chemin.
S’exprimera-t-elle le 29 mars à l’école de Versailles à l’occasion de la proclamation du troisième palmarès national de la fédération française du paysage ? Les étudiants vont discuter de cette hypothèse dans les jours à venir.