Les plantes invasives n’existent pas, dans les jardins en mouvement de Gilles Clément. Depuis le paradis qu’il entretient en Creuse, sa démonstration passe par la grande berce du Caucase - Heracleum mantegazzianum - une des nombreuses mal-aimées dont il se plait à tresser les couronnes : « Je coupe les hampes florales avant que les graines n’atteignent leur maturité ; elles se transforment alors en vivaces. Au bout de 10 ans, elles fatiguent, je les laisse alors regrainer… ».
Retournement d’image
Le retournement d’image se heurte à un mur mental. Gilles Clément s’évertue à aider ses contemporains à le franchir, notamment dans les services territoriaux d’espaces verts : « Ceux qui ont appris à tuer continuent à le faire. Pour les jardiniers communaux les plus âgés, il est très difficile d’accepter qu’il n’existe pas de mauvaises herbes ». Mais loin de s’arrêter devant l’obstacle, Gilles Clément s’emploie à le contourner par la pédagogie, avec la force tranquille d’une grimpante à l’assaut d’une muraille.
« Quand on enseigne le nom d’une espèce et son rôle dans l’équilibre du vivant, l’image de la mauvaise herbe commence à s’éloigner. A Grenoble, les services l’ont compris », constate l’ingénieur, jardinier et poète, qui a longtemps enseigné à l’école du paysage de Versailles, et qui contribue aujourd’hui à la renaissance de l’Ecole supérieure d’architecture des jardins de Paris. La tâche se révèle plus aisée avec les étudiants de la génération montante, qui se jettent corps et âme dans le modelage de nuages verts à partir d’un chaos broussailleux.
Pédagogie
Le franchissement du mur est devenu une nécessité vitale : « Partout dans le monde, le local s’hybride avec l’exogène. Le changement climatique nécessite de regarder ce phénomène avec beaucoup d’attention », recommande Gilles Clément, en s’appuyant sur l’exemple des chauves-souris de l’île Maurice : « La raréfaction des cyclones rompt le système de régulation traditionnelle de cette espèce endémique qui, du coup, dévore les vergers. L’endémique est devenu envahissant ».
Aucun dogme ne sort indemne d’une telle leçon, ni ceux du jardin à la française, ni ceux du végétal local. Mais la voix douce d’un conteur en contact intime avec le monde vivant permet aux messages les plus radicaux de transpercer les carapaces mentales les plus coriaces. Le paysagiste achève alors sa conférence en mode webinar, et un flot d’enthousiasme déborde sur le Chat du site du club Urbanisme, bâti et biodiversité (U2B), organisateur de l’événement qui embarque les bâtisseurs dans la défense de la biodiversité.
Fil conducteur de la 25ème rencontre du club de la Ligue pour la protection des oiseaux, la pédagogie paysagère et participative a trouvé un autre relais dans son second invité : la ville de Pessac tire vers la gestion écologique ses propres espaces verts en même temps que les jardins privés de son territoire, en application de sa convention signée en 2019 avec la ligue pour la protection des oiseaux.
Prochaine étape annoncée par Jérémie Landreau, adjoint au maire délégué à la biodiversité : la formation des agents du service bâtiment, « afin qu’ils sachent quelle conduite tenir, lorsqu’ils trouvent un nid dans un chantier ».