Chez les Bamum de l’ouest du Cameroun, il était d’usage, à la naissance d’un conflit, de libérer un captif de guerre du groupe adverse. Rentré chez lui, ayant une claire idée du rapport de force, il pouvait jouer le rôle de temporisateur ou, à l’occasion, celui de médiateur. Des mécanismes immémoriaux de gestion des conflits ont toujours existé dans les sociétés africaines traditionnelles. Qu’ils soient faiseurs de paix à l’instar de diplomates plénipotentiaires, négociateurs ou médiateurs, leurs acteurs ont toujours privilégié l’usage de la parole, véritable logothérapie, comme le montre l’importance donnée à la "palabre". Le but ultime de ces mécanismes étant la restauration de l’équilibre social.
Ces modes de règlements des conflits perdurent dans les usages communautaires et irriguent aujourd’hui l’inconscient des acteurs économiques africains. Toutefois, malgré la création de nombreux centres de médiation commerciale sur le continent, la grande majorité des litiges reste l’apanage des tribunaux nationaux. Pourtant, nul ne se déclare satisfait du travail des cours dites "locales". Les signataires des grands contrats d’infrastructure et de construction conclus à l’international identifient à juste titre un risque accru dans la résolution des litiges en Afrique par rapport aux autres régions. De fait, les opérateurs étrangers font rarement confiance à la capacité des juridictions ordinaires à régler leurs litiges de manière indépendante et efficiente.
Le recours à la médiation et à l’arbitrage international est-il la panacée en Afrique ?
Conscients de l’impératif de délocaliser la gestion des litiges impliquant des parties africaines, les acteurs de la construction ou de l’énergie notamment demeurent malgré tout réticents à engager des procédures d’arbitrage en raison de leur coût, de leur longueur, mais aussi de la complexité de la procédure. Si l’on ajoute le défi que présente l’exequatur de certaines sentences sur le Continent, on comprend qu’un phénomène de rejet de l’arbitrage ait pu investir quelques directions juridiques et notamment des entreprises de taille moyenne. Par ailleurs, bien que souvent avertis de l’intérêt de ce processus, ces acteurs rechignent encore à avoir recours à la médiation internationale pour tenter de trouver une solution quand les négociations directes ont échoué avant d’engager un contentieux. Pour autant, l’arbitrage reste effectivement la panacée pour résoudre les litiges internationaux quand aucune solution amiable n’a pu être trouvée, dans la mesure où il garantit la neutralité de la juridiction, un examen minutieux des problématiques tant juridiques que financières et techniques des dossiers par des juges (arbitres) soigneusement choisis par les parties, s’investissant pleinement dans la résolution sur mesure des problématiques qui leur sont soumises.
Les institutions internationales d’arbitrage, conscientes des difficultés rencontrées par les justiciables, ont révisé leurs règlements comme leurs modes opératoires afin de permettre aux parties de maîtriser au mieux les délais et les coûts de la procédure comme la qualité des sentences rendues. C’est pourquoi il est fortement recommandé de recourir à l’arbitrage institutionnel et non l’arbitrage ad hoc qui n’apporte pas ces garanties. À ce titre, même si de nombreuses institutions d’arbitrage international ont été créées ces dernières années sur le continent africain, il reste encore aujourd’hui fortement recommandé de recourir à la Chambre d’arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale (CCI), dont l’expertise dans la gestion des litiges impliquant des parties africaines n’est plus à démontrer, et qui apporte toutes les garanties de maîtrise de la procédure sus-évoquée. La possibilité d’élire le siège de l’arbitrage à Paris, facile d’accès pour des parties africaines, peut simplifier la mise en œuvre de la procédure et en réduire les coûts.
Ce mode de résolution des litiges permet de résoudre les conflits dans des délais et des coûts fortement réduits tout en maîtrisant la solution et en préservant la relation d’affaires. La médiation est également inscrite dans les gênes du continent africain. Pour toutes ces raisons, il est vivement conseillé de prévoir dans les clauses contractuelles dites de juridiction, un recours à la médiation avant l’arbitrage. Encore une fois, la CCI dispose non seulement d’un règlement de médiation auquel il peut facilement être fait référence, mais également d’un panel de médiateurs interculturels aguerris.
En tout état de cause, et parce qu’il vaut toujours mieux prévoir que guérir, les entrepreneurs aux prises avec des situations conflictuelles sur le continent doivent avant tout établir une stratégie en amont d’appréhension des litiges. Cela passe évidemment par une rédaction soignée des clauses attributives de juridiction, mais aussi par la mise en œuvre d’outils de gestion contractuelle.
L’ascension de la gestion contractuelle
L’autre tendance est le développement de la gestion contractuelle ou "contract management". Pour rappel, celui-ci peut être défini comme l’ensemble des techniques, procédés et méthodes visant à assurer, dans toute la chaîne de relation contractuelle, une gestion optimisée de la relation entre deux parties à un contrat. Cette forme de gestion contractuelle n’est pas, en soit, une garantie contre la survenance d’un conflit, mais permet, s’il survient, de l’appréhender sous de meilleurs auspices. Elle implique la mise en place d’équipes pluridisciplinaires : aux compétences propres des juristes, seront adjointes celles d’ingénieurs ou de financiers et parfois même des cabinets spécialisés dans la quantification des réclamations.
Un tel dispositif nous paraît essentiel sur des contrats conclus à l’international et particulièrement sur le continent africain.
La pratique n’est d’ailleurs pas homogène sur le continent entre les pays d’expression francophone et ceux de langue anglophone. En effet, si les premiers sont encore peu sensibles à une approche contractualisée de la relation, les seconds y sont, sous l’influence du modèle anglo-saxon, plus familier.
Comment assurer une gestion contractuelle optimisée des contrats en Afrique ?
Sur le continent plus qu’ailleurs, il importe de prendre en compte des facteurs à la fois endogènes liés aux risques induits par la nature des travaux réalisés (un pont à haubans reste un ouvrage d’art complexe) et des facteurs exogènes résultant du ou des pays (si le pont est frontalier… ou dans le cas d’une voie de chemin de fer transnationale) d’exécution du contrat.
L’instabilité politique, le risque fort de changement de loi, les incertitudes sur le foncier, l’absence de taux de change fixe et surtout le paiement du prix devront être strictement encadrés à l’aide d’outils dédiés et adaptés au contexte. La perception du risque étant différente en Afrique, la grille de lecture devra s’y conformer : par exemple, le risque de défaut de paiement étant élevé chez certains clients publics, des mécanismes préventifs (l’assurance de l’obtention de financements dédiés et la mise en place de garanties de paiement) et curatifs (tel que le droit de suspendre assorti à une courbe de trésorerie en cash positive) sont à privilégier.
Dès lors, seule une équipe plurielle formée de compétences complémentaires internes comme externes sera à même de cerner les diverses implications des risques, mais aussi des opportunités que présentent une anticipation et une gestion contractuelle optimisée des conflits. Comme le dit le proverbe togolais : « Une seule main ne peut cerner le tronc du baobab ».