Un problème digne des Shadoks. C'est ainsi que l'on pourrait décrire la situation environnementale et sanitaire engendrée par les désormais fameux « polluants éternels », les PFAS (pour per- et polyfluoroalkylés), et leur indispensable traitement. D'origine exclusivement anthropique, ces composés perfluorés ont commencé à être produits à l'échelle industrielle au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Développés pour leurs propriétés antiadhésives, imperméabilisantes et ignifuges, ils sont de nos jours utilisés dans quasiment tous les secteurs industriels, dont le BTP. Ils se retrouvent donc dans de nombreux produits de consommation courante, des textiles aux produits phytosanitaires, en passant par les cosmétiques, les emballages alimentaires ou les mousses anti-incendie. Selon les sources, le nombre de PFAS officiellement recensés, et donc pouvant potentiellement être réglementés, oscille entre 4 730 et… 7 millions !
Le principal souci avec ces substances reconnues aujourd'hui comme perturbateurs endocriniens, cancérigènes et reprotoxiques, c'est leur durée de vie. Laquelle peut atteindre des centaines, voire des milliers d'années. Conséquence ? Elles sont omniprésentes et persistantes, dans tous les milieux naturels - y compris dans les eaux de surface et les aquifères - comme dans les espaces confinés des bâtiments (sous forme de poussières notamment). « Du fait de leur structure chimique extrêmement stable, les PFAS ne se dégradent pas naturellement, explique Julie Mendret, chercheuse à l'université de Montpellier, spécialiste du traitement de l'eau. Cette spécificité s'explique principalement par la présence de liaisons quasi indestructibles entre les atomes de carbone et les atomes de fluor qui les constituent, des liaisons parmi les plus fortes en chimie organique. »
Nouvelle réglementation
En 2024, les associations Générations futures et PAN Europe révélaient que 79 % de 23 échantillons d'eau superficielle et souterraine provenant de 10 pays de l'Union européenne contenaient de l'acide trifluoroacétique (TFA), un produit issu de la dégradation des PFAS. « La contamination est généralisée », indiquaient-elles alors. Pour réduire les risques induits par ces polluants éternels sur la santé humaine, une nouvelle réglementation entrera en vigueur le 1er janvier 2026. Elle concernera les 20 substances les mieux connues et les plus fréquemment retrouvées dans l'eau du robinet, dont la concentration ne devra pas excéder 0,1 µg/l. Les producteurs d'eau potable et les gestionnaires de réseaux, aux premiers rangs desquels les collectivités locales, sont sur le pont pour adapter leurs équipements à cette nouvelle norme.
Une adaptation qui pose déjà de nombreux défis. Comme l'explique Franco Novelli, expert technique à la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), « le premier est celui de la surveillance des polluants dans l'environnement. Les laboratoires spécialisés intègrent progressivement des méthodes d'analyses dédiées. Leur travail permettra d'aider les collectivités à cartographier, quantitativement et qualitativement, la pollution sur leur territoire, les situations locales étant disparates. »
Une eau plus chère
Un autre défi réside dans les surcoûts induits par le traitement de composés quasiment indégradables. Si les producteurs d'eau potable peuvent, en amont, prévenir les risques de pollution autour des points de captage - en lien avec les industriels et les agriculteurs -, les investissements dans les usines de production s'avèrent incontournables (lire encadrés ci-contre et p. 49). Problème : outre leurs limites techniques intrinsèques, ces nouvelles unités de traitement ont un coût, qui sera in fine répercuté sur le prix de l'eau. Pour Franco Novelli, « d'ici dix ans, la hausse devrait s'établir entre 40 et 60 centimes par m3. » Et l'expert d'ajouter : « Une taxe pollueur-payeur a bien été instaurée par la loi du 27 février 2025 [visant à protéger la population des risques liés aux substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées, NDLR] mais son produit n'a pas encore été officiellement fléché vers les collectivités, qui ont aussi d'autres priorités à gérer, comme le renouvellement des canalisations. » Indirectement, les entreprises du BTP, et en particulier celles qui construisent ou entretiennent les réseaux, seront concernées, au même titre que les collectivités, par l'application de la loi de février. Elles devront ainsi obligatoirement faire l'acquisition de vêtements professionnels et de chaussures sans PFAS. De plus, les entreprises spécialisées dans les travaux de réseaux devraient à terme adopter les alternatives aux produits contenant des polluants éternels, par exemple pour les joints et les membranes d'étanchéité. Mais, « pour l'heure, il n'y a pas de restriction sur ces matières », constate Franco Novelli.

Osmose inverse : au Sedif, deux technologies et un triple circuit
Pour distribuer, chaque jour, quelque 750 millions de litres d'une « eau pure » au robinet de 4 millions de Franciliens, le Syndicat des eaux d'Ile-de-France (Sedif) modernise actuellement ses trois principales usines de production, sur la Seine, la Marne et l'Oise. Pour ce faire, l'établissement public met en œuvre, en fin de process sur chacun de ses sites, une filière de filtration membranaire haute performance. « Ce dispositif est basé sur la nanofiltration et l'osmose inverse basse pression, explique Adrien Richet, ingénieur au Sedif.
Concrètement, l'eau à traiter est envoyée à une pression de 10 bars sur ces membranes en polymères synthétiques, dont les pores sont jusqu'à 1 million de fois plus fins qu'un cheveu, si bien que 95 % des PFAS y sont bloqués. » Pour atteindre une qualité optimale, l'eau passe au total trois fois par ce circuit, sur trois étages. Principales limites à ce dispositif : le remplacement régulier des membranes (tous les trois à sept ans en moyenne) et leur incinération en fin de vie, ainsi que la hausse de la consommation électrique de plus de 30 % due au pompage de l'eau. Quant au coût global du programme de modernisation du Sedif, il atteint le milliard d'euros.
Charbon actif : Suez opte pour un renouvellement en continu
Au sud de Lyon (Rhône), la vallée de la chimie est tristement connue pour ses taux de pollution élevés. La contamination aux PFAS ne fait pas exception, avec des concentrations mesurées dans l'environnement qui y atteignent 178,65 ng/l (1) alors que les experts parlent de « hot spot » dès que le taux dépasse 100 ng/l. Une pollution qui se retrouve ensuite dans l'eau potable.
Pour améliorer la qualité de celle qu'il délivre à ses 170 000 usagers, le syndicat mixte d'eau potable Rhône-Sud (Smep) équipe donc actuellement son site de Ternay d'un dispositif innovant. Breveté par Suez, le système tient compte d'essais en laboratoire, qui ont mis en évidence la saturation rapide des six filtres à charbon actif existants (des bassins de 6,60 m sur 3 m), ce qui réduit leur capacité à abattre les PFAS. La solution, qui s'appuie sur un premier pilote industriel, consiste à transformer ces bassins en autant de réacteurs.
Concrètement, des équipements y sont ajoutés pour injecter et retirer le charbon actif en continu, sans avoir à interrompre la production d'eau potable. Un processus qui ne nécessite ni plus d'énergie, ni plus d'eau que le traitement actuel, assure Suez.
Les résultats sont concluants, puisqu'en sortie de process, les taux de PFAS pour les 20 molécules réglementées sont bien inférieurs au seuil de 0,1 µg/l fixé par la directive européenne. Quant au charbon actif utilisé, une fois sorti de l'usine par camion, il est régénéré par un traitement à très haute température qui détruit les polluants éternels fixés en surface, pour ensuite être réutilisé.
A l'issue des travaux, qui doivent s'achever en avril 2026, le syndicat aura investi 4,2 M€ TTC. Le coût de fonctionnement pour remplacer le charbon actif est, lui, estimé à 500 000 euros par an.
(1) Source : enquête du Forever Pollution Project.
« Particulièrement efficace, l'osmose inverse requiert une énergie non négligeable », Julie Mendret, spécialiste du traitement de l'eau et maîtresse de conférences à l'université de Montpellier.
« A ce jour, deux techniques de dépollution sont principalement mises en œuvre dans les usines de production d'eau potable : la captation des polluants sur charbon actif et la séparation membranaire, par osmose inverse en particulier. Chacune présente des avantages et des inconvénients. Par exemple, les charbons actifs sont moins chers que les membranes poreuses, mais leur régénération - à une température de 1 200 °C pour les PFAS - nécessite beaucoup d'énergie. De plus, ils sont majoritairement importés de Chine, même si la régénération peut se faire en France.
L'osmose inverse, de son côté, est particulièrement efficace pour traiter un maximum de PFAS, du fait de son spectre d'action très large. Son utilisation requiert toutefois, elle aussi, une énergie non négligeable pour faire circuler l'eau.
Mais le principal problème de cette technologie réside dans la gestion du concentrat, c'est-à-dire l'eau polluée séparée de l'eau propre par les membranes. Actuellement, les usines de production d'eau potable rejettent ce concentrat [aussi appelé refus membranaires, NDLR] dans les eaux naturelles, comme les fleuves, pour qu'il s'y dilue, un procédé qui fait l'objet de critiques. Des solutions de traitement se développent donc actuellement pour le dégrader définitivement, comme celles basées sur l'électro-oxydation. Il s'agit, en créant un courant électrique dans cette eau polluée, de casser les liaisons chimiques qui relient très fermement entre eux les atomes de carbone et de fluor constitutifs des PFAS. Pour en valider le principe, cette solution est aujourd'hui testée en laboratoire.
Un pilote industriel devra encore être développé ultérieurement. »