Comment avez-vous abordé la mise en place du confinement ?
Marika Frenette : Nous avons des amis en Lombardie (Italie). Nous étions donc tenus au courant de l’évolution de la situation chez eux. Nous avons anticipé autant que possible et nous avons dressé un inventaire des projets en cours. Il faut préciser que notre équipe de dix personnes s’organise en deux entités. L’une est dédiée aux missions d’assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO) et travaille en amont des projets. C’est celle dont je m’occupe beaucoup. Notre activité historique, l’ingénierie, se trouve elle davantage sur les chantiers en tant que maîtrise d’œuvre. Par chance, au moment du confinement, nous pouvions continuer à travailler sur 80% des opérations en cours.
Concrètement, quelles adaptations avez-vous du réaliser ?
Cela fait quatre ans que le télétravail est en place chez Wigwam, nous avions donc l’habitude de travailler à distance. En revanche, certaines connexions Internet n’étaient pas suffisantes. Nous avons décidé d’augmenter tous les forfaits de téléphonie mobile pour passer en illimité. Ainsi, le débit reste correct même lors d’un partage de connexion avec un ordinateur.
Vous pouvez donc travailler presque normalement malgré le confinement ?
Malheureusement, ce n’est pas le cas. Aujourd’hui, l’activité est réduite de 70%. Nous avions bien prévu l’arrêt des chantiers, mais pas la désorganisation que cela allait entraîner dans les équipes de maîtrise d’ouvrage. Au début du confinement, j’ai constaté que les liens humains en particulier étaient toujours là. Nous arrivions à joindre nos interlocuteurs et ils avaient à cœur que les projets se poursuivent. Il s’agissait aussi bien de personnes au sein de grosses collectivités de l'Ouest que de villes plus petites d’environ 5000 habitants. Mais lorsque nous arrivons au moment de prendre une décision politique, les délais deviennent très longs.
Comment l’expliquez-vous ?
J’avance plusieurs hypothèses et en premier lieu ce que je qualifierai de « désert numérique » pour les collectivités. La plupart de nos interlocuteurs ne disposent ni de téléphone, ni d’ordinateur portable et encore moins de serveur opérationnels à distance ou de connexion sécurisée. Ils ne sont donc pas équipés pour travailler correctement à distance. Nous avons dû nous adapter et certains ont utilisé leur matériel personnel. Par ailleurs, l’éloignement physique engendre une diminution de l’agilité lors de demande d’informations par exemple. Enfin, nous sommes dans un contexte particulier au niveau politique avec l’entre-deux tours des élections municipales. Les équipes ne sont pas toujours opérationnelles, même si elles ont été réélues dès le premier tour. Et surtout, les élus locaux doivent gérer un quotidien très lourd entre la prise en charge des personnes âgées, les déchets, etc. Je comprends que faire avancer des projets comme un tiers lieu qui verra le jour dans trois ans, ne soit pas en tête de leur priorité.
Quelles solutions préconisez-vous ?
Dans ce contexte inédit, aider les petites entreprises comme la nôtre ne suffira pas. Il est important d’aider également les collectivités locales, pour qu’elles disposent en premier lieu du matériel nécessaire et des connexions sécurisées dont elles ont besoin. C’est ce binôme qui doit être soutenu. Il sera nécessaire aussi de former ou sensibiliser élus comme gestionnaires aux impacts de leurs choix : en continuant à travailler et à faire avancer les projets, les MOA publiques sont au cœur d’une chaîne de compétence qui ne demande qu’à travailler et à poursuivre ses missions, afin de préparer la reprise dès maintenant.
Comment gérez-vous cette situation inédite après un mois de confinement ?
Je n’avais pas imaginé cette dégringolade dans les projets. L’équipe ne travaille donc plus qu’à 30 % de notre activité normale et se retrouve au chômage partiel. De mon côté, en tant que chef d’entreprise, je mets les bouchées doubles pour maintenir l’activité. Nous avons fait preuve de créativité et proposé de convertir la réunion de concertation d’une ZAC en webinaire participatif. Concrètement, nous avons réussi à convaincre l’aménageur privé, trouver les outils numériques adaptés et s’y former via des réunions avec les Etats-Unis. L’objectif est de parvenir à ce que 1000 personnes se connectent et ainsi faire participer des jeunes et des familles à la concertation. Si les questions de logistiques sont réglées, nous restons dans l’attente d’une décision du maître d’ouvrage. Or, trois semaines se sont écoulées sans nouvelle. Il s’agit pourtant d’un bel exercice de démocratie participative dématérialisée.