Construite en 1953, la Maison radieuse, construite par Le Corbusier à Rezé (Loire-Atlantique), comporte deux façades ouest-est de 105 m de long sur 55 m de haut. Jamais reprises depuis lors, ces dernières, constituées de loggias et terrasses en béton, étaient fragilisées par la porosité du béton initial. Des travaux de restauration vont s'achever à la fin de cette année, après deux années d'études, de test et de chantier. Bouyer (groupe Bouygues), attributaire du marché d'entreprise générale, a développé des techniques particulières et peu bruyantes pour répondre aux contraintes de l'habitat - l'immeuble comportant 294 logements tous occupés -, et des Monuments historiques qui souhaitent une rénovation à l'identique.
« Premier élément, explique Philippe Renaudineau, conducteur de travaux de l'opération, le constat : les parements béton étaient poreux, le ferraillage oxydé par endroits, notamment parce que l'enrobage béton s'avérait insuffisant (moins de 2 cm) pour certains éléments des loggias, garde-corps, meneaux, claustras exposés plein ouest... Deuxième élément : l'immeuble géré par une société anonyme d'HLM, Loire-Atlantique Habitations, est inscrit à l'Inventaire supplémentaire des monuments historiques. Tous les remplacements des parements à granulats apparents, qui forment l'originalité du décor de façade, ont été engagés avec l'accord de la Drac (qui participe au financement), et de l'architecte des Bâtiments de France. »
Ces contraintes particulières ont poussé l'entreprise à réaliser sur place la préfabrication des éléments de façades et des loggias.
Préfabrication artisanale, mais béton hautes performances
« Nous avons phasé le remplacement des façades en quatorze plots, en fonction des joints en diapason qui tombent au niveau des pilotis sur lesquels est construit l'immeuble. Nous déposons les éléments du haut vers le bas, et après fabrication nous installons les nouveaux éléments du bas vers le haut », détaille le conducteur d'opération. Seuls certains éléments des loggias en béton préfabriquées sont remplacés : les voiles séparatifs sont conservés, ainsi que la plupart des claustras ; mais tous les garde-corps, parements, poutres-bandeaux, meneaux et potelets centraux sont remplacés. « Pour découper les parements, nous avons opté pour la pince hydraulique sur palan, portée sur des plates-formes élévatrices de 3 t de capacité de levage. Après essai, nous avons rejeté la pince hydrodécoupante, jugée trop bruyante pour les habitants. La Socotec donne son avis sur tous les ferraillages après découpe, et l'on remplace en fonction. »
Au vu des cotes toutes différentes des loggias, Bouyer a opté pour la préfabrication des éléments de façade sur site : 2 500 pièces ont été moulées sur lit de sable à granulométrie variable en fonction de l'apparence souhaitée.
Pour répondre aux contraintes des Monuments historiques et retrouver l'aspect des parements originaux, l'entreprise a récupéré les granulats dans leur carrière d'origine (Bouguenais), et retrouvé certains ouvriers du chantier de l'époque. «Ils nous ont donné des indications sur le mode de fabrication artisanal des éléments. Nous avons reconstitué sur place des coffrages bois ou acier sur des lits de sable plus ou moins tassés. » Des tests ont permis à Bouyer de définir deux types de parements à granulats plus ou moins saillants : ils sont disposés selon une répartition « aléatoire » pour une fréquence 25 % à granulats très saillants/75 % de parement plus lisse, qui permet de reconstituer l'apparence originelle, un peu hétérogène.
Enfin, pour refaire à l'identique les loggias, Bouyer a utilisé un béton hautes performances B55, dont la résistance de 55 MPa (le double de celle du béton d'origine) n'est pas liée à des contraintes techniques mais architecturales : « Il sert à réduire à 2-3 cm l'enrobage des structures acier des éléments de remplacement, alors qu'avec un béton classique, on aurait été contraint d'enrober à près de 5 cm, rendant impossible le remplacement des éléments dans les dimensions originelles, comme l'imposent les Monuments historiques », explique le conducteur d'opération.
FICHE TECHNIQUE
Maître d'ouvrage : syndicat des copropriétaires de la Maison radieuse (représenté par Loire-Atlantique Habitations, syndic).
Maître d'oeuvre : cabinet Aria (Rennes).
Entreprise générale : Bouyer.
Durée du chantier : de septembre 1996 au premier trimestre 1999.
Coût : 27 millions de francs.
PHOTO : L'immeuble étant inscrit à l'Inventaire supplémentaire des monuments historiques, tous les remplacements des parements à granulats ont été engagés avec l'accord de la Drac et de l'architecte des Bâtiments de France.