Décryptage

Evaluation des tiers : les bonnes pratiques

Commande publique - L'acheteur doit vérifier les motifs d'exclusion des candidats aux marchés mais aussi contrôler l'intégrité des entreprises tout au long du cycle des achats.

 

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De prime abord, la notion de tiers pour les entités publiques renvoie le plus souvent à l'usager ou aux bénéficiaires du service public. Associée à la commande publique ou plus précisément au cycle des achats, elle prend un tout autre sens, celui de l'évaluation des tiers fournisseurs et de leur intégrité. Selon une enquête de l'Agence française anticorruption effectuée en 2018, seulement 7,3 % des collectivités territoriales avaient mis en place des mesures de prévention de la corruption. Or, la procédure d'évaluation des tiers (fournisseurs, partenaires… ) est aujourd'hui l'une des 12 mesures prévues par le plan national de lutte contre la corruption présenté le 9 janvier 2020 afin de mobiliser les ministères et les collectivités territoriales.

Tiers concernés et objectifs d'évaluation

En matière d'achats publics, l'évaluation des tiers repose sur un double fondement : l'article 17, II, 4° de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite « Sapin 2 ») ; et les exclusions de plein droit ou à l'appréciation de l'acheteur prévues dans le Code de la commande publique (CCP) aux articles L. 2141-1 à L. 2141-6 et L. 2141-7 à L. 2141-11. C'est une démarche qualité pour l'exécution des marchés au stade de la passation, de l'exécution, mais aussi une démarche préventive.

Les tiers principalement visés sont le candidat auquel le pouvoir adjudicateur envisage d'attribuer le marché, les cotraitants et les sous-traitants. L'évaluation ne concerne donc pas a priori l'ensemble des candidats ou soumissionnaires à un marché. L'acheteur peut, par exemple, décider de procéder à cette analyse pour les tiers représentant un risque financier, juridique ou d'image, au vu des éléments externes dont il disposerait (condamnation du dirigeant par le passé, risque d'ententes, « sollicitation » ou pression du candidat pour l'obtention du marché… ). La traçabilité des opérations de sourcing, des échanges avec les candidats ou opérateurs économiques (par le biais des profils d'acheteurs) constitue un premier niveau de contrôle et d'évaluation.

Exclusions de plein droit. Les exclusions de plein droit de candidater à un marché public sont consécutives à une infraction pénale et, pour l'essentiel, liées aux manquements à la probité. On retrouvera ici, principalement, la prise illégale d'intérêts, le favoritisme, la concussion, la corruption active ou passive, le trafic d'influence et les atteintes à l'administration publique. L'acheteur public pourra mobiliser différents moyens pour s'assurer que l'opérateur économique n'est pas frappé d'une exclusion :

- l'attestation sur l'honneur adressée par le candidat ;

- les documents de consultation type Dume ;

- ou encore, le dispositif proposé notamment par la société e-Attestations, qui permet aux acheteurs publics de solliciter directement la DGCCRF, l'Urssaf, la direction régionale des finances publiques, etc. , pour identifier toutes irrégularités manifestes susceptibles d'entraîner l'exclusion de marchés publics.

Exclusions facultatives. D'autres exclusions sont laissées à l'appréciation de l'acheteur. Prévues aux articles à du CCP, elles exigent une analyse in concreto des motifs de rejet. Ces exclusions facultatives reposent sur une pluralité de critères, cumulatifs, posés par le code et par le juge administratif :

- un constat préalable à la passation du marché ayant pour effet de démontrer, par exemple (art. L 2141-7), un manquement grave ou persistant des obligations contractuelles au cours des trois dernières années et ayant donné lieu à des dommages et intérêts, résiliation ou autre sanction. L'exclusion repose ici sur des faits personnellement constatés par l'acheteur public, qui pourra notamment se fonder sur un retour d'expérience des services prescripteurs ou bénéficiaires des prestations ;

- le respect du principe du contradictoire permettant à l'opérateur économique d'apporter tout élément de justification ;

- un caractère proportionné de l'exclusion. Celle-ci ne doit être envisagée qu'en ultime hypothèse et lorsque l'acheteur public ne dispose pas d'autres moyens.

Outils méthodologiques

Plusieurs outils d'évaluation des tiers sont compatibles avec une approche juridique, économique et opérationnelle des achats publics. En premier lieu, la mise en place de revues de contrats régulières permet de suivre l'exécution des marchés et de déceler, sur la base de fiches d'incidents (en associant les services prescripteurs), d'éventuels risques. La fréquence de ces revues de contrats (mensuelles, trimestrielles… ) sera fonction du montant, du type ou de la sensibilité du secteur concerné. L'évaluation portera par exemple sur les capacités financières, techniques, professionnelles, économiques des opérateurs.

Cartographie des risques. En second lieu, une cartographie des risques peut être mise en place. Elle repose sur une analyse objective et vise à identifier, évaluer, hiérarchiser les risques d'atteinte à la probité inhérents aux activités de l'entité (taille de l'entreprise, risque de réputation, secteur économique concerné, niveau de concurrence… ). Cet outil permettra une cotation des tiers (risque d'occurrence et impact sur l'entité) en fonction du risque qu'ils représentent en termes de conflit d'intérêts, d'image ou de défaut d'exécution des prestations.

Une attention particulière doit être accordée au risque de conflit d'intérêts susceptible de caractériser un défaut d'impartialité de l'acheteur public, une atteinte aux principes généraux de la commande publique et, plus encore, une infraction pénale de type prise illégale d'intérêts. Dans sa décision « Région Nord-Pas-de-Calais » (, mentionné aux tables du recueil Lebon), le Conseil d'Etat a jugé « qu'au nombre des principes généraux du droit qui s'imposent au pouvoir adjudicateur […] figure le principe d'impartialité, dont la méconnaissance est constitutive d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence ». Il en est de même, plus récemment, pour des juges du fond () qui, compte tenu de la particulière gravité du vice entachant le contrat ayant affecté le choix de l'attributaire, avaient prononcé l'annulation du marché. Il est donc possible de voir dans les dispositions du CCP (principalement les articles L. 3 et suivants) et dans celles déontologiques et statutaires de la fonction publique (art. 25 et s. de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires) une certaine symétrie. Le respect des principes généraux de la commande publique impose le respect des obligations et valeurs déontologiques du service public.

La mise en place de revues de contrats régulières permet de suivre l'exécution des marchés et de déceler d'éventuels risques

En cas de risque de conflit d'intérêts, l'acheteur public devra s'abstenir de toute intervention ou instruction et mettre en place un arrêté de déport pour les agents, services, élus et AMO susceptibles d'être concernés par l'intérêt en cause.

In fine, l'évaluation des tiers est une procédure itérative, à mener avant le lancement d'une consultation, lors de la rédaction des pièces et l'analyse des offres des candidats, lors de l'attribution du marché et de son exécution. De surcroît, elle constitue une brique du dispositif de prévention de la corruption, raison supplémentaire pour les acheteurs publics d'y adhérer sans réserve.

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