« La monofonctionnalité coûte cher ». Pilote du réseau Forêt à France Nature Environnement (FNE), Christophe Chauvin résume en quatre mots une analyse désormais partagée par de nombreux acteurs de l’aménagement forestier, après les incendies de juillet et août dans les Landes du Golfe de Gascogne.
Contre modèle landais
« Maintes fois replantées, ces forêts industrielles, destinées au départ à la production d’essence de térébenthine, symbolisent ce qu’il ne faut plus faire », insiste l’ingénieur forestier, qui a nourri ses convictions dans sa vie d’ingénieur à l’Office national des forêts (ONF), puis de chercheur à l’Institut national de recherche en agriculture et environnement (Inrae).
Pour FNE, l’introduction de la multifonctionnalité doit commencer dès les premiers travaux de réhabilitation. Pour laisser sa chance à la nature, l’association recommande d'abord d'éviter le dessouchage systématique, puis d’épargner les sols et les arbres survivants. "Ces chantiers offrent l’opportunité d’organiser un réseau de coupe-feu non boisés, de réserves d'eau et de pistes d’accès à ouverture au public limitée", détaille le pilote du réseau Forêt de FNE. Il plaide pour la multifonctionnalité des trames vertes et bleues, qui intégreraient les accès et les cours d'eau.
Plaidoyer multifonctionnel
« Le débroussaillement ne suffit pas à empêcher la propagation par les cimes. Seules de larges zones non forestières offrent des barrières efficaces, ce qui suppose une activité agricole », développe Christophe Chauvin. Autant que possible, le couvert forestier ne devrait pas, selon lui, dépasser le seuil de 60 % d’un territoire, sauf grandes réserves inhabitées où le feu serait accepté comme perturbation naturelle. "Au-dessus de 80% on ne maîtrise plus les grands feux", selon l'expert.

Le sylvopastoralisme fait partie des outils prônés par France Nature Environnement pour prévenir les incendies
Les sources d’inspiration ne manquent pas : « A la fin du XIXème siècle, la lutte contre l’érosion a inspiré les pionniers de l’écologie forestière, en particulier dans les Alpes du Sud et sur le mont Aigoual », rappelle Christophe Chauvin. De ces expériences sont nées les pratiques de réensemencement ou de plantation d’essences rustiques. Les héritiers d’aujourd’hui y ajoutent des espèces méditerranéennes déjà acclimatées.
Planification horizontale
La réinterprétation des modèles précurseurs à l’aune du changement climatique passe par la planification locale. Dans le sillage du récent rapport sénatorial sur les forêts, FNE souscrit à l’établissement de plans locaux concertés de protection des forêts contre l’incendie (PPFCI). Ces outils déclineraient, à l’échelle parcellaire, les orientations des plans départementaux. Ils s’imposeraient aux autres documents d’urbanisme.
Dans l’ingénierie du BTP comme dans celle des forêts, les mentalités et les formations ont évolué dans un sens favorable au tournant prôné par FNE, à en croire Christophe Chauvin : « Un ingénieur autoroutier m'a dit que son métier consiste à optimiser sous contrainte. Cette manière de penser vaut aussi pour la filière Forêt bois », veut croire l’ingénieur forestier, par ailleurs secrétaire de l’association Pro Silva, militante des futaies irrégulières.
Ressources humaines en berne
« La filière forêt bois a la capacité d’adapter ses pratiques aux nouvelles conditions climatiques », complète FNE dans le courrier en instance d’envoi aux ministres de l’Agriculture, de l’Ecologie et de la Biodiversité.
Mais le pilote du réseau Forêt de FNE ne méconnaît pas pour autant l’obstacle des moyens, aggravé par la réduction constante des effectifs de l’ONF : un sujet qui reviendra sans nul doute à l’ordre du jour des concertations annoncées par le gouvernement, pour rebondir sur les incendies de l’été 2022.