Si, depuis la route, les longues façades surbaissées en pisé, quasiment aveugles, intriguent, elles se fondent néanmoins dans le paysage. « Le nouveau chai ne devait pas entrer en concurrence avec le château de style Tudor », annonce d'emblée Tristan Le Lous, ingénieur agronome dont la famille a racheté en 2019 le domaine Cantenac Brown, grand cru classé à Margaux-Cantenac (Gironde). Afin d'accompagner la progression qualitative de son vin et le développement de l'œnotourisme, il a fait appel à l'architecte Philippe Madec dont il apprécie la démarche écoresponsable. Homme clé, José Sanfins, directeur général et technique, a participé de près au projet afin que les lieux facilitent les gestes de ceux qui élaborent le vin.

Préoccupation bioclimatique. L'architecte a inscrit son intervention le long et entre les murs d'un hôtel construit sur la propriété dans les années 1990. De l'extérieur, sous un carrefour de toitures en tuiles, les nouveaux équipements jouent la carte de la discrétion. Remplaçant un barnum en location, la halle des vendanges, dont la charpente en bois massif s'affine au fur et à mesure qu'elle s'élève, abrite du soleil les premières manipulations des raisins. « La halle tient l'espace grâce à ses poteaux doublement moisés qui retrouvent une force de colonnes », décrit Philippe Madec dont la préoccupation bioclimatique se lit jusque dans l'interstice ménagé entre la halle et la façade du cuvier pour favoriser la circulation de l'air.

Le nouveau cuvier permet au domaine de revenir à la vinification gravitaire, processus ancestral perdu avec l'utilisation de pompes qui participent à la rationalisation des systèmes de production mais altèrent les qualités organoleptiques du vin. Le volume ouvert où s'alignent les cuves en Inox associe une structure en acier galvanisé à une charpente en bois qui se déploie en losanges. Au centre, les cuves élévatrices réalisent le remontage du vin durant lequel il s'imprègne des tanins et pigments. L'originalité de cet espace réside aussi dans le traitement de la lumière naturelle, rarement si généreuse dans les cuviers. Les tympans sont vitrés à l'est et à l'ouest, mais dûment protégés par des brise-soleil, pour offrir aux équipes et aux visiteurs une large vue sur le parc centenaire. Non chauffé, l'ensemble est surisolé avec de la laine de bois compressée.

Suite de Fibonacci et nombre d'or. « Philippe Madec a scénarisé et intégré le parcours du visiteur au même titre que le parcours du raisin pour la vinification », apprécie Tristan Le Lous. Dissimulé dans un mur de bois du cuvier, un passage obscur et étroit conduit au chai à barriques. « On passe de la lumière du jour et du travail quotidien, à l'ombre et au temps long du vin », analyse l'architecte. Avec son inertie thermique et sa porosité qui régulent naturellement température et hygrométrie, la terre crue se révèle idéale pour ce programme. Sous un large débord de toiture, les murs épais de 95 cm sont constitués d'un socle en pierre massive de Frontenac qui protège des remontées capillaires puis, au- dessus, d'un mur de terre crue de Montpon-Ménestérol (Dordogne) non stabilisée (50 cm), d'une double épaisseur de panneaux de liège croisés (20 cm), d'un vide d'air (5 cm) et d'un bardage intérieur en briques de terre comprimée stabilisée (20 cm). Plusieurs puits provençaux maintiennent l'air entre 15 et 16 °C toute l'année sans climatisation.

Dans le chai aussi, la virtuosité visuelle se concentre sur le bois. Les barriques se multiplient sous une voûte en chaînettes qui affiche « la plus belle décomposition des forces », dixit Philippe Madec. Les pièces droites de pin massif, chacune plus petite que la supérieure, composent une courbe dessinée selon la suite de Fibonacci et le nombre d'or, portée par des compas métalliques, un clin d'œil à Jean Prouvé. Après cet univers sombre et feutré, un escalier conduit les visiteurs à la lumineuse salle de dégustation, promontoire sur l'impressionnante mer de vignes.

Informations techniques
Maîtrise d'ouvrage : SCEA Château Cantenac Brown. AMO : MO2.
Maîtrise d'œuvre : Atelier Philippe Madec (APM) & Associé. BET : Ingérop Bordeaux, C & E / Jean-Marc Weill (structure) ; Le Sommer Environnement, Amàco (terre crue).
Bureau de contrôle : Alpes Contrôles.
Entreprises : Murari (pisé), SFBTP (briques de terre crue), Gessey (pierre), Juste, Degas, Environnement Bois, Structure Bois Couverture (charpentes bois).
Surface de restructuration : 5 236 m2 S P.
Livraison : septembre 2023.
Coût des travaux : 19,3 M€ HT.