Entretien avec François de Mazières Président de la Cité de l’architecture et du patrimoine

« Le patrimoine est un levier pour découvrir l’architecture contemporaine »

Réservé aux abonnés
Image d'illustration de l'article
PHOTO - Mazieres1.eps

Les galeries temporaires de la Cité de l’architecture et du patrimoine ont été inaugurées le 20 mars. C’est la deuxième étape d’ouverture de ce nouveau lieu d’exposition et d’enseignement installé dans l’aile nord du palais de Chaillot, à Paris. A cette occasion, François de Mazières évoque les missions et le programme de ce grand projet culturel d’architecture. Cette étape précède la livraison des trois galeries permanentes, de la bibliothèque et des ateliers pédagogiques, programmée début septembre.

Quelles expositions accueillent les galeries temporaires de la Cité de l’architecture et du patrimoine pour leur ouverture ?

Pour cette deuxième étape du processus d’ouverture, nous avons choisi trois expositions à caractère contemporain : « Avant-après ou l’architecture au fil du temps », « Portzamparc, rêver la ville », et « Génération Europan » (1). La première est un voyage dans le temps sur la mutation de l’architecture imaginé par Patrice Goulet, commissaire de l’exposition. Elle utilise le cinéma comme vecteur de communication grand public à travers cent cinquante films montrant l’avant, le pendant, et l’après construction de bâtiments et d’espaces urbains – emblématiques ou non – réalisés ces trente dernières années ou en cours. A côté, l’exposition sur Christian de Portzamparc préparée par Sophie Trelcat, commissaire de l’exposition, est consacrée aux réalisations récentes et aux projets majeurs de l’architecte et urbaniste français, prix Pritzker d’architecture. Elle se déploie en trois volets : « Forêt de tours », « Grands bâtiments » et « Morceaux de ville ». Cette exposition annonce une série de monographies que nous créons. Enfin, l’exposition Europan retrace vingt ans de concours qui ont fait émerger sur la scène architecturale et urbanistique européenne de jeunes talents.

Pourquoi avoir créé ce musée qui réunit l’Institut français d’architecture, le musée des Monuments français et l’école de Chaillot (2). Le public s’intéresse-t-il aujourd’hui davantage à l’architecture ?

Nous sommes à un moment où l’architecture correspond à une évolution de la culture. Le grand fait de ce début de siècle c’est l’Internet, média universel, qui permet aux gens d’avoir une culture mondiale. Et en même temps, les gens qui sont ballottés dans un univers trop grand pour eux recherchent une pratique culturelle de proximité : phénomène normal de préservation de leur identité. L’architecture leur apporte cette proximité. Elle se voit au coin de la rue. Elle rassure.

Elle correspond donc à une nouvelle attente ?

Oui. Beaucoup de maires élaborent par exemple leur programme sur l’Agenda 21 (ndlr : de développement durable en matière environnementale, sociale et économique). L’architecture, avec la maîtrise urbaine et environnementale, la préservation des ressources naturelles, les économies d’énergie…, est peut-être le premier domaine de cet Agenda 21. La Cité de l’architecture et du patrimoine arrive à ce moment-là. L’architecture est totalement ouverte à ces problématiques qui sont devenues le cœur des préoccupations des gens. Nous sommes dans ce qui devient la demande numéro un : ce que l’on vit au quotidien.

Comment allez-vous attirer le grand public au palais de Chaillot ?

Cela se fait par entraînement. Si une exposition apparaît comme un événement, le grand public ira à cette exposition. C’est un peu comme le musée du Quai-Branly. On ne parlait pas des « Arts premiers » il y a quelques années. Et pourtant, un public s’est créé. C’est la même chose pour l’architecture. Dans la pratique, nous avons trouvé le juste équilibre entre la promotion du patrimoine et de l’architecture contemporaine. Nous voulons utiliser l’amour des Français pour le patrimoine comme un levier pour les amener à la connaissance de l’architecture contemporaine. Nous ne sommes pas forcés de marier les deux. Nous respectons les cultures différentes, mais nous encourageons les échanges entre ces deux matières au sein de la Cité.

Envisagez-vous une ou plusieurs déclinaisons de la Cité en province ?

Nos déclinaisons sont nos partenariats avec des institutions telles que le réseau des maisons de l’architecture ou Arc en rêve centre d’architecture. Cela consiste également à produire des expositions itinérantes telles que celles sur les Nouveaux albums des jeunes architectes (Naja), qui sera présentée dans huit villes.

L’ouverture de la Cité s’étale dans le temps et semble difficile…

Lorsque je suis arrivé, il y a trois ans, le projet de Cité de l’architecture et du patrimoine patinait beaucoup, jusqu’à ce que l’on s’interroge sur son maintien. Le projet avait alors connu deux étapes : le lancement-réaménagement du musée des Monuments français (projet de Centre national du patrimoine en 1993/1995) et l’apport de Jean-Louis Cohen en 1998 qui créait le principe de la Cité de l’architecture et du patrimoine avec l’introduction de l’Institut français d’architecture (IFA) qu’il dirigeait alors. La troisième étape a été la mise en œuvre réalisée par mon équipe. En trois ans, le travail réalisé est considérable. Il a fallu obtenir un décret de création et fusionner trois institutions qui avaient des statuts juridiques et des cultures radicalement différents. Il a pu y avoir des tensions fortes, même si aujourd’hui les gens travaillent en synergie. De plus, nous avons déjà mis en place une programmation très riche depuis novembre dernier en matière d’architecture contemporaine. Nous avons par exemple créé les cours publics d’histoire de l’architecture, qui affichent complet aujourd’hui, et le Cycle architecture et maîtrise d’ouvrage (Camo) de sensibilisation des maîtres d’ouvrage, en partenariat avec l’association Architecture et maîtres d’ouvrage (AMO). Et tout cela avec les meilleurs spécialistes.

Vous êtes-vous inspirés d’autres établissements existant dans le monde ?

Il n’y a pas d’établissement qui ressemble à la Cité. C’est un modèle unique avec, en plus, une école qui forme les architectes sur le patrimoine. La France se trouve souvent en avance en matière culturelle. Le ministère de la Culture est une création française, la politique des théâtres, des centres nationaux de la danse, la fête de la musique… également. La Cité est une création. C’est ce qui fait son intérêt. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture, s’est impliqué personnellement dans ce projet.

Quelles sont vos missions ?

Sensibiliser les publics, enseigner et participer à la recherche. Cette maison est comparable au centre Beaubourg ou au musée du Quai-Branly par la diversité des publics à laquelle nous nous adressons et l’étendue des surfaces d’expositions. Pour les professionnels notamment, la bibliothèque sera ouverte en septembre. Ce sera la plus grande bibliothèque dédiée à l’architecture contemporaine : 25 000 ouvrages à l’ouverture avec pour objectif 50 000, et 450 abonnements périodiques. Les archives resteront quant à elles rue de Tolbiac, à Paris. Nous apportons un soin particulier à la mission pédagogique du musée. Nous faisons par exemple notre signalétique en interne pour maîtriser nos budgets, mais surtout pour qu’elle soit didactique. Nous sommes dans une mission d’intérêt général, qui nous impose une maîtrise totale de notre communication.

Y a-t-il une place pour la technique et le monde de l’entreprise de travaux ?

Les grandes maquettes réalisées du temps d’Anatole de Baudot (1834-1915), premier enseignant de l’école de Chaillot, sont des « écorchées » d’architecture. Elles étaient destinées à la formation des architectes. Pour les galeries modernes et contemporaines, nous avons fait faire des maquettes qui relèvent de la même démarche. La Cité doit être ce lieu de rencontre des acteurs de la construction et des entrepreneurs. Mais si vous voulez motiver les entreprises à l’architecture, il y a un cercle vertueux : il faut d’abord motiver la population, puis la population va motiver ses élus, qui vont à leur tour être plus exigeants à l’égard des entreprises en matière d’architecture. S’il y a un intérêt pour elles à faire de la qualité architecturale, en termes d’image ou économique, elles le feront.

Comment progressent les travaux d’achèvement des galeries permanentes ?

C’est un chantier complexe. D’abord parce qu’il concerne un monument historique, ensuite pour faire correspondre les circulations des trois départements de la Cité. Notre volonté de communication entre patrimoine et architecture contemporaine nous a notamment amené à supprimer l’escalier circulaire central initialement projeté, contraire au parti originel du bâtiment et à son fonctionnement sur ses deux extrémités. Par ailleurs, pour le confort des visiteurs, deux entrées sont nécessaires.

Comment fonctionnent les deux entrées du musée ?

Le pavillon d’About (extrémité nord-est de l’aile nord du palais de Chaillot), ouvert depuis novembre dernier, est plus axé sur l’architecture contemporaine et un public de professionnels. Il est déjà adopté par son public si l’on se reporte aux succès des premières manifestations gratuites qui s’y sont déroulées (galeries d’actualité où ont notamment été exposés les concours Artem de Nancy et de la Tour phare de Paris-La Défense, du futur tribunal de grande instance de Paris, les lauréats des Nouveaux Albums des jeunes architectes). Ces galeries sont attenantes à l’auditorium dans lequel nous avons maintenu les entretiens de Chaillot autour d’un architecte contemporain, et dans lequel nous avons créé « Les défis de ville » (en partenariat avec « Le Moniteur ») et « Les défis d’entreprise » pour montrer l’importance de l’implication de la maîtrise d’ouvrage à côté de la maîtrise d’œuvre dans l’évolution du cadre bâti. Nous sommes dans un bâtiment qui fonctionne sur cette logique : le visiteur assiste à une exposition, débat dans l’auditorium, et peut ensuite se retrouver en haut du pavillon dans l’« Espace de partenariat », qui correspond aux deux anciens appartements transformés.

A l’autre extrémité de l’aile nord, le pavillon Tête (extrémité sud-ouest de l’aile nord) donne sur la place du Trocadéro et sera ouvert en septembre prochain. Ce sera l’entrée des trois galeries d’expositions permanentes : galeries des moulages, des peintures, moderne et contemporaine, consacrées à l’architecture de 1850 à nos jours. Cette dernière, accessible aussi par le pavillon d’About, fait le lien entre les expositions permanentes et temporaires.

Image d'illustration de l'article
PHOTO - Mazieres1.eps PHOTO - Mazieres1.eps

Image d'illustration de l'article
PHOTO - Mazieres2.eps PHOTO - Mazieres2.eps

Image d'illustration de l'article
PHOTO - Mazieres5.eps PHOTO - Mazieres5.eps

Image d'illustration de l'article
PHOTO - Mazieres4.eps PHOTO - Mazieres4.eps

Image d'illustration de l'article
PHOTO - 5391 De Mazieres plan.eps PHOTO - 5391 De Mazieres plan.eps

Image d'illustration de l'article
PHOTO - Cite archi3.eps PHOTO - Cite archi3.eps

Image d'illustration de l'article
PHOTO - Cite archi1.eps PHOTO - Cite archi1.eps
Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !