Interview

« En trois ans, nous avons investi plus de 200M€ rien que sur la décarbonation », François Petry (Holcim)

Dans la foulée de la signature avec l’Etat des contrats de transition écologique des sites les plus émetteurs de son groupe, le président de Holcim France détaille, pour « Le Moniteur », les initiatives prises pour décarboner ses cimenteries. 

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François Petry, président de Holcim France.

Vous avez signé un contrat de transition écologique avec l’Etat pour la décarbonation de vos sept cimenteries sur la base d’un « scénario central » de réduction de 47% des émissions de CO2 d’ici 2030. Une trajectoire plus ambitieuse projetait -69%. Qu’est-ce qui vous a poussé à favoriser le « scénario central » ?

Le scénario ambitieux repose sur le développement de la capture et de la séquestration du carbone, le « CCS », dans les années à venir. La partie cible sur laquelle nous avons vraiment la main, ce sont ces -47%. Qui n’intègrent d’ailleurs le basculement que d’un seul des sites concernés vers le CCS. Un petit tiers de ces 47% sont constitués d’un cumul d’initiatives - en cours ou qui vont bientôt démarrer - sur nos sites afin de baisser le poids carbone de nos produits et nos émissions.

L’objectif de réduction de 47% est-il global ou est-il fixé pour chaque site ?

Il y a des actions sur chacun des sites et l’ampleur de ces actions va varier selon leur maturité. Saint-Pierre-La-Cour, en Mayenne, et Martres-Tolosane, en Haute-Garonne, sont les plus avancés. Ce sont aussi les sites les plus importants. Nous y investissons massivement avec l’ambition d’aller jusqu’au bout de la décarbonation d’ici 2030. 

A Martres-Tolosane, nous avons investi 120 M€ pour faire une nouvelle usine équipée des meilleures technologies et des process les plus efficaces

En quoi consistent ces actions ?

Je pense à des rénovations de sites et des nouvelles usines plus performantes. C’est le cas par exemple à Martres-Tolosane. Nous avons investi 120 M€ pour équiper le site des meilleures technologies et des process les plus efficaces qui ont déjà permis une baisse de 20% de nos émissions. Un étage additionnel sur lequel nous avons déjà très vite avancé porte sur l’utilisation de déchets et de matières alternatives pour remplacer les combustibles fossiles.

Comment procédez-vous ?

Notre activité Geocycle « source », sur le marché, des produits valorisables d’un point de vue thermique. Nous allons chercher de la biomasse et des produits issus de centres de tri ou déchèteries (CSR). La tension et la pression sur ces produits augmentent. Nous avons besoin de plus de technicité pour répondre à nos besoins de substitution de produits pétroliers. Beaucoup d’acteurs ont identifié la biomasse comme solution de décarbonation. Nous devons donc mobiliser plus d’expertise et être capables d’utiliser des produits plus compliqués dans nos fours. Pour cela, nous développons des plateformes de préparation souvent en partenariat avec des acteurs du déchet. Il y a une vraie valeur et un savoir-faire qui se déploient sur ces sujets. Nous avons déjà atteint un taux de substitution de plus de 60% sur nos sites et nous avons des objectifs à plus de 80% à terme.

Sur votre site de Saint-Pierre-La-Cour, vous possédez une plateforme dédiée à la biomasse. Quels sont les avantages de cette source d’énergie  ? 

La combustion de cette biomasse émet un CO2 dit « biogénique » qui aujourd’hui n’impacte pas le poids carbone de nos produits et est en plus valorisable. Nous avons ainsi signé des accords avec une filiale d’EDF pour valoriser ce CO2 biogénique et le transformer en carburant pour les avions. Ce qu’on appelle le « CCU » (pour Carbone Capture and Usage, NDLR). Nous avons aussi d’autres investissements de valorisation en cours, mais le problème est qu’à partir de 2041, la réglementation européenne ne permettra plus de valoriser que le CO2 biogénique. Or, les investissements nécessaires pour cette valorisation ne seront pas rentabilisés dans le temps très court qui nous sépare de cette échéance. Cela crée une difficulté sur les sujets de valorisation du CO2.

Nous avons signé des accords avec une filiale d’EDF pour valoriser le CO2 biogénique et le transformer en carburant pour les avions

L’autre angle d’attaque, c’est évidemment la réduction du facteur clinker dans nos ciments pour en diminuer le poids carbone, ce qui nous permet de mettre sur le marché des produits bas carbone – notre béton ECOPact et notre ciment ECOPlanet - conformes aux exigences réglementaires et en particulier à la RE2020. Point fort de cette année 2024, nous allons rendre massivement disponibles dans le courant de l’année toutes nos offres de ciment et béton bas carbone (avec un poids carbone à la tonne réduit de minimum 30% par rapport à des produits traditionnels) sur l’ensemble du territoire. Tous nos sites sont donc concernés. Notre engagement, à terme, ne vise pas uniquement notre neutralité en 2050, dans le cadre d’un contrat avec l’Etat. Nous souhaitons en oitre être chaque année moins impactant et faire progresser notre empreinte environnementale.

Comment réduisez-vous ce facteur clinker ? Avec des laitiers de hauts-fourneaux ? C’est pourtant une ressource qui est appelée à disparaître…

Que ce soit l’acier ou le ciment, nous évoluons dans des environnements comparables avec une pression réglementaire et un impératif de décarbonation comparables. Le procédé de fabrication de l’acier, très émissif, est aussi contraint que le nôtre. Effectivement, l’évolution de ce procédé va peser sur les volumes de laitiers. Nous travaillons donc à la production de solutions alternatives et en particulier l’argile calcinée. Nous avons investi dans notre site de Saint-Pierre-la-Cour dans la première ligne de production d’argile calcinée neutre en France. Cette argile a un poids carbone très faible car nous utilisons, pour sa production, les gaz recyclés d’une autre ligne avec un complément d’énergie apporté par de la biomasse. A l’issue de ce cycle de production, l’argile calcinée utilisée dans le ciment possède un poids carbone extrêmement faible.

Nous sommes engagés dans une démarche de développement de solutions alternatives aux laitiers et aux cendres volantes.

Quelle est la capacité de cette nouvelle ligne ?

Elle est en service ! Nous avons encore quelques travaux à réaliser dans les mois à venir pour l’optimiser, mais déjà, cette année, nous entrerons dans un cycle de production de 100 000 tonnes par an. Nous travaillons avec des argiles sur d’autres lignes comme à La Malle, dans les Bouches-du-Rhône, où nous investissons dans un four classique pour produire des argiles calcinées. Nous ne serons pas complètement neutres car il s’agit d’une reconversion. Mais comme l’argile n’émet que très peu de CO2 lors de sa cuisson, nous aurons des poids carbone à la tonne de ciment et des émissions qui seront beaucoup plus basses.

En 2023, nous avons également investi dans une entreprise qui travaille sur des calcaires micronisés. Ceux-ci apportent un complément décarboné à nos produits. Enfin, à Val d’Azergues, au nord de Lyon, nous avons lancé notre nouvelle gamme de ciments à la pouzzolane. Nous sommes donc tout à fait engagés dans une démarche de développement de solutions alternatives aux laitiers et aux cendres volantes.

Un autre levier de décarbonation réside dans l’économie circulaire. Où en êtes-vous ?

C’est un axe très important. Nous avons la capacité dans nos usines d’utiliser des produits de démolition ou des déchets que nous allons refaire passer dans nos process. Ils vont émettre moins de CO2 mais permettre de produire des ciments et des bétons de façon aussi efficace. C’est un domaine important de recherche et d’action aujourd’hui pour nous. Par exemple, sur un de nos sites industriels dans la vallée du Rhône, grâce à notre plateforme technologique ECOCycle, nous allons retraiter les fines de béton de démolition pour les recarbonater afin de les utiliser comme ajouts dans le ciment. Sur ce site près de Lyon nous sommes capables de régénérer des granulats de très bonne qualité, toujours à partir des bétons de démolition pour les réutiliser de façon optimale dans des produits neufs. Nous sommes de plus en plus ambitieux sur la partie recyclage.

Pour en revenir à la question énergétique, développez-vous l’usage d’EnR ou d’hydrogène ?

Holcim est gestionnaire de grands domaines fonciers. Nous avons donc systématisé l’analyse des terrains non occupés pour les utiliser pour du photovoltaïque ou de l’éolien. Le volet énergétique est aussi totalement associé à nos projets de capture du CO2, avec en particulier la valorisation de l’énergie produite avec la récupération de chaleur fatale mais aussi avec du solaire et de l’éolien, quand cela est possible.

Quant à l’hydrogène, nous ne sommes pas forcément positionnés comme un acteur de la filière. Mais pour valoriser le CO2, il faudra le recombiner avec de l’hydrogène. Dans la vallée du Rhône, nous avons été récompensés par le Fonds pour l’innovation européen pour notre projet eM-Rhône, qui captera l’ensemble du CO2 d’une des lignes du Teil en Ardèche, transformé en e-méthanol proposé ensuite aux chimistes. C’est à ce moment-là que nous nous rapprocherons des acteurs de l’hydrogène. Nous effectuons également des tests avec de l’hydrogène sur nos sites, notamment pour nos transports.

Ces trois dernières années, nous avons investi plus de 200 M€ rien que sur la décarbonation

Quelle somme représente l’ensemble de vos initiatives de décarbonation ?

Plusieurs centaines de millions d’euros pour les six sites concernés. Ces trois dernières années, nous avons investi plus de 200M€ rien que sur la décarbonation et nous ne sommes pas encore dans les phases d’investissement les plus massives avec le CCS.

Le grand défi à terme, c’est bien la capture et le stockage du CO2 fatal. Quelle part de vos émissions pensez-vous réussir à capturer d’ici 2030 et où en êtes-vous d’éventuels partenariats pour le transport et le stockage de ce CO2 ? 

Deux-tiers de nos émissions (celles du clinker en majorité) sont réputées fatales. Moins on mettra de clinker dans nos produits, moins on aura donc de CO2 à devoir capturer et stocker. Réduire le poids carbone lié au clinker est donc fondamental. Reste effectivement ensuite le CCS. Nous sommes présents dans trois zones géographiques qui possèdent des hubs industriels dédiés.

Dans l’Ouest, notre site de Saint-Pierre-La-Cour est connecté au hub de GO CO2, composé des plus gros émetteurs régionaux, qui ont pour projet d’amener par « carbopipe » le CO2 jusqu’au port de Saint-Nazaire, équipé d’un terminal qui permettrait de charger les bateaux pour les envoyer jusqu’à la mer du Nord. Au sud de Toulouse, nous sommes engagés dans le projet Pycasso de stockage terrestre de CO2 dans les anciens gisements du gaz de Lacq. Enfin, toute la vallée du Rhône se développe avec l’idée d’amener le CO2 vers Fos-sur-Mer pour charger les bateaux et stocker en Méditerranée. Les zones dédiées sont en cours de définition.

Avec un hub comme GO CO2 dans l’Ouest, il est intéressant de constater que le fait que les gros acteurs - qui font partie des « 50 » - travaillent ensemble, permet de faire émerger un projet qui permettra aussi de collecter le CO2 des plus petits émetteurs. On peut imaginer la même mécanique dans le Sud-Ouest et à Fos. L’idée, c’est d’être reconnu comme projet d’intérêt commun et de faire ensuite le travail de développement technique de ces réseaux.

Nous atteindrons les -95% d'émissions à l'horizon 2050

Ce sont des partenariats comme ceux-ci qui permettront de franchir le mur de l’investissement, ou est-ce que le soutien d’Etat doit être massif ?

Il y a différents étages. Il y a, d’une part, les investissements massifs dans nos propres usines – qui équivalent au coût des usines elles-mêmes en termes de montant – et là nous avons besoin de soutien pour absorber cela dans le temps. Au-delà de cette partie industrielle, il y a, d’autre part, toute la partie infrastructures – pipelines, terminaux – qui sont communes. C’est uniquement en travaillant avec d’autres industriels que nous pourrons les utiliser au mieux et mieux les amortir. Mais, pour cela, au moment du projet, il est nécessaire d’absorber les investissements massifs pour lesquels il faut un soutien collectif et/ou bancaire afin de financer et d’amortir ensuite sur le long terme.

L’objectif de réduction des émissions de vos cimenteries à horizon 2050 est de -95%. Le « gap » avec les -47% de 2030 paraît énorme…

Tout le travail qui est fait hors CCS concerne un tiers de nos émissions. Les deux-tiers des émissions sont les émissions fatales mais elles sont à appréhender en fonction du clinker que nous continuerons à utiliser dans nos produits. Or, nous travaillons à réduire le facteur clinker et le niveau d’émissions de nos ciments. Ces deux-tiers ne représenteront plus le même poids de CO2. Néanmoins, même si l’on travaille très efficacement, il restera un volume conséquent d’émissions de CO2 liées à la réaction chimique du process. Il faudra alors capturer et stocker ce CO2 pour atteindre les -95%.

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