Dans quel état se trouve le réseau ferré national ?
L'analyse diffère selon qu'on étudie les 27 000 km de lignes classiques ou les 2 700 km dédiés à la grande vitesse. Cette dernière partie du réseau reste très performante, même si elle fait l'objet de travaux de renouvellement sur ses voies les plus anciennes. Par opposition, le réseau classique a terriblement souffert d'un sous-investissement chronique dans les années 2000. Au fil du temps, de nombreux rapports sont venus confirmer un état de vieillissement avancé.
Depuis cinq ans, nous avons donc entrepris d'augmenter nos efforts pour rattraper le retard accumulé, en nous appuyant sur un ambitieux plan national de renouvellement.
Comment cela se traduit-il en termes d'investissements ?
Entre 2000 et 2010, nous engagions en moyenne 1 milliard d'euros par an. Un investissement fléché vers le réseau dit structurant, soit les 15 000 km de lignes qui concentrent 80 % des circulations. Aujourd'hui, la donne a radicalement changé. Pour cette seule année 2018, nous avons consacré 2,7 milliards d'euros à l'entretien du réseau et obtenu que cette enveloppe continue d'augmenter pour atteindre 3,2 milliards à partir de 2022. Un budget conséquent qui devra être maintenu sur une longue période, comme le font nos voisins européens. A titre de comparaison, les Allemands et les Britanniques dépensent chaque année environ 4 milliards d'euros pour leurs voies ferrées.
"Les travaux de renouvellement sont menés dans un cadre très contraint"
Quelle place occupent les contrats de plan Etat-région dans la politique d'entretien du réseau ?
Il faut bien distinguer ces investissements de ceux précédemment évoqués et financés par SNCF Réseau sur fonds propres en vue de traiter le réseau structurant.
Les contrats de plan Etat-région portent sur les 12 000 km de dessertes fines du territoire qui reçoivent 20 % des circulations ferroviaires. Lorsque la maintenance courante ne suffit plus, l'Etat et le conseil régional s'accordent sur les lignes qui doivent être remises à niveau pour en maintenir l'exploitation. SNCF Réseau assurera alors ces travaux en qualité de maître d'ouvrage avec un engagement financier à hauteur de 8,5 %. Pour l'année 2019, l'Etat a fixé une enveloppe nationale de 1 milliard d'euros. Ce chiffre était de 800 millions d'euros en 2018. Si l'on considère l'intégralité des investissements en matière de renouvellement, 2019 sera une année record pour la France : 3,8 milliards d'euros seront injectés sur l'ensemble du réseau, soit 300 millions de plus que cette année.
Ces travaux de renouvellement supposent-ils une organisation particulière ?
Les chantiers se déroulent essentiellement de nuit, le week-end et en période estivale. En somme, nos équipes sont au travail lorsque les Français dorment ou sont en vacances. Ces opérations sont menées dans un cadre très contraint avec des plages d'intervention nocturnes limitées à quatre heures effectives, parfois sous exploitation, et avec l'obligation systématique de restituer la voie aux circulations le matin. Toutes ces exigences supposent un haut niveau de programmation et d'anticipation. Rien de comparable avec la création d'une ligne nouvelle faite de problématiques techniques fortes, mais où les questions de sécurité ferroviaire, d'arrêt et de suspensions temporaires des circulations sont inexistantes.
"Nous confions en effet davantage de marchés à nos partenaires privés que par le passé"
La croissance inédite du nombre de chantiers a-t-elle fait évoluer vos relations avec les entreprises de travaux ferroviaires ?
Nous confions en effet davantage de marchés à nos partenaires privés que par le passé. Aujourd'hui, près de 70 % des travaux de renouvellement et 25 % de nos opérations de maintenance courante sont externalisés. Néanmoins, nous nous appliquons à conserver la maîtrise de nos métiers, notamment par la réalisation de travaux en propre. En tant que dépositaire de la qualité pour ses clients [les entreprises ferroviaires, NDLR], SNCF Réseau se doit et se devra toujours d'assurer le pilotage des opérations. Or, pour superviser efficacement des partenaires, il est indispensable de s'appuyer sur une solide expertise. D'où notre volonté de ne pas accroître davantage l'externalisation des travaux de renouvellement. Pour la maintenance, nous ne dépasserons pas le seuil des 30 %. Et pour cause : lorsqu'un fil caténaire vient à rompre, il ne faut pas seulement être réactif pour envoyer une équipe sur place dans les dix minutes.
Il faut aussi savoir résoudre le problème en s'appuyant sur la connaissance fine du réseau détenue par les cheminots. La fréquence de ce type d'interventions devrait d'ailleurs se résorber progressivement sous l'effet du renouvellement de nos infrastructures et du développement de la maintenance prédictive.
Cet accent mis sur l'entretien et la modernisation commence-t-il à porter ses fruits ?
Pour ce qui concerne la voie [rail, traverses et ballast, NDLR], nous avons inversé la courbe de vieillissement. Néanmoins, il nous faudra encore plusieurs décennies d'efforts pour revenir à un régime normal sur les voies classiques. L'enjeu porte désormais sur l'infrastructure caténaire et sur la signalisation, qui continue de se dégrader. En témoigne l'augmentation constante du nombre d'incidents causés par les défauts de signalisation. Dans les années à venir, nous allons donc accélérer l'investissement et moderniser nos systèmes.
"Nous n'avons pas modifié les grandes gares depuis la Seconde Guerre mondiale"
En quoi une signalisation revisitée peut-elle améliorer la performance globale du réseau ?
Installés sur les voies, les récepteurs actuels qui entraînent le déclenchement des systèmes de signalisation ne prennent pas en compte une variable déterminante : la vitesse des trains. Les solutions de demain le feront et permettront de réduire l'écart entre deux trains, ce qui permettra d'augmenter l'offre ferroviaire.
A ce jour, le RER E propose 16 trains par heure. Grâce au nouveau système d'exploitation NExTEO qui sera mis en service sur cette ligne en 2023, 22 trains pourront y circuler chaque heure, à une vitesse qui atteindra 120 km/h dans Paris. Les RER B et D suivront pour permettre à l'infrastructure existante d'accueillir davantage de trains. On peut raisonnablement tabler sur une augmentation de la capacité de l'ordre de 25 %.
Et cette mutation concernera également les lignes à grande vitesse et les lignes classiques structurantes. Sur l'axe Paris-Lyon, nous menons une opération visant à équiper les trains du système ERTMS [un système standardisé européen, NDLR] qui nous permettra de passer de 13 TGV par heure à 16 à l'horizon 2025. Nous généraliserons ensuite ce système au réseau principal français. Nous parviendrons ainsi à rapprocher les trains et à améliorer la qualité de service dans le même temps, car le système sera nettement plus facile à redémarrer en cas d'incident.
Qu'en est-il des politiques de développement du réseau ?
C'est tout l'objet de la future loi LOM. La politique annoncée par le président Emmanuel Macron, le Premier ministre Edouard Philippe et la ministre des Transports Elisabeth Borne doit concerner prioritairement les nœuds ferroviaires. Il est grand temps : nous n'avons pas modifié les grandes gares depuis la Seconde Guerre mondiale. Leur réaménagement constitue le principal levier pour améliorer les trains du quotidien et la qualité de service dans les grandes agglomérations. Aujourd'hui, la capacité des gares se trouve limitée par une succession de croisements et d'aiguillages.
La restructuration et la simplification des fuseaux seront nos priorités dans les années à venir. Additionnés aux nouveaux systèmes de signalisation, ils doperont la capacité du réseau et permettront de développer l'offre ferroviaire.
La création de lignes nouvelles viendra en complément partout où elle sera pertinente. De nombreux projets sont actuellement à l'étude, comme sur la ligne Saint-Lazare-Mantes-Rouen, où l'infrastructure existante ne peut plus fournir la qualité de service attendue.
En quoi l'intégration de Gares & Connexions à SNCF Réseau contribuera à améliorer la qualité de service ?
Une gare, c'est d'abord un pôle multimodal d'échanges.
Pour avoir été directeur général délégué d'Aéroports de Paris, je suis bien conscient de ces enjeux. Le système ferroviaire actuel scinde circulations ferroviaires, flux en gare et intermodalité. Ces trois dimensions pourront être regroupées sous l'autorité d'un seul responsable qui sera un véritable « chef d'orchestre », grâce à la réforme qui rentrera en vigueur le 1er janvier 2020. Une évolution qui fera de SNCF Réseau le pivot du système ferroviaire.
«Les nouveaux systèmes d'exploitation permettront d'augmenter l'offre ferroviaire»
Les travaux sur l'axe Paris-Nord se multiplient en vue des Jeux olympiques. Faut-il craindre un embouteillage ?
Dans cette zone, de nombreux projets de rénovation et de développement programmés pour une livraison avant 2024 sont désormais étiquetés « JO ». Or, cette date butoir ne transforme pas les contraintes inhérentes à nos chantiers. Et la multiplication des travaux augmente proportionnellement l'impact potentiel sur la qualité de service. Aujourd'hui, on dénombre tout de même 500 projets. Pris individuellement, ils sont tous réalisables dans les temps. Reste à savoir si cela est toujours possible lorsqu'on les cumule. D'où la mission confiée au préfet de la région Ile-de-France et de Paris, Michel Cadot, pour coordonner et rendre des arbitrages si nécessaire. L'objectif reste néanmoins de relever le défi de 2024. Nous avons proposé différents axes de réflexion : l'augmentation des plages de travaux, l'autorisation de fermeture de lignes en été, la mutualisation de nos capacités d'études avec celles des ingénieries privées, ou encore la simplification des fonctionnalités de certains projets, voire leurs phasages. C'est notre contribution à la résolution d'une problématique collective.
Où en est la société du CDG Express ?
Elle a été créée le 10 octobre dernier. Le contrat de concession a reçu un avis favorable du Conseil d'Etat, qui a également rejeté les recours contre la déclaration d'utilité publique. L'Arafer [Autorité de régulation du secteur ferroviaire, NDLR] avait précédemment approuvé la participation de SNCF Réseau au financement de la société. Il n'y a donc plus d'obstacle : les contrats - notamment pour la concession et le prêt apporté par l'Etat - seront signés avant les fêtes. La société sera opérationnelle en janvier et les travaux pourront alors commencer.