"En cette période électorale, tout est ouvert, tout est permis " par Cristina Conrad, Présidente de l’Ordre des architectes d’Île-de-France

En cette période électorale qui fait converger les élections ordinales, présidentielles législatives et municipales, tout est ouvert, tout est permis. Nous pouvons espérer une France où l'architecture serait reconnue et désirée.

Au nom de l’Ordre des architectes d’Ile-de-France, je m’autorise à faire, le catalogue des propositions qui pourraient faire partie d’un programme électoral. Ce catalogue est bien sûr non exhaustif. Il est destiné à s’enrichir de vos propres idées, que vous ne manquerez pas de nous faire parvenir.

En premier lieu, je proposerai une réelle fusion des communes comme en Belgique, l’intercommunalité ayant malheureusement montré ses limites. Au contraire de l’émiettement actuel en 36.000 communes, ce regroupement en 8.000 entités administratives par exemple, permettrait une diffusion de la culture architecturale et urbaine, une gestion plus efficace et cohérente avec de réels moyens d’agir en faveur d’un aménagement du territoire économe, solidaire et durable.

Ensuite, m’inspirant des exemples de la Hollande ou de l’Angleterre, je mettrai en oeuvre la municipalisation des sols avec des baux emphytéotiques. C’est une des principales façons de lutter contre la spéculation foncière et les inégalités sociales qu’elle produit. La hausse des prix du terrain maîtrisée, le coût de la construction pourra alors intégrer la prise en compte indispensable de la qualité architecturale.

Enfin, je mettrai en application le "droit au logement pour tous".

A ce sujet, je souhaiterai rappeler à toutes et à tous, la disparition brutale à la fin du mois d’août dernier de Bernard Birsinger, maire de Bobigny.

Bernard Birsinger aimait l’architecture. C’était un homme politique courageux et convaincu de l’absolue nécessité d’une politique du logement pour tous et spécialement des personnes en difficulté. Il n’avait nul besoin d’être mobilisé par les médias pour réagir mais soyons en sûr, il aurait été aux côtés des Enfants de Don Quichotte comme il était à Cachan pour soutenir les expulsés.

Ainsi, lors des Etats généraux du logement en 2004, il développa l’idée d’un service public du logement et il a été le premier maire à prendre un arrêté interdisant les expulsions dans sa commune n’hésitant pas à braver la loi qui ne garantissait pas ce qu’il considérait comme un droit élémentaire, le droit à un logement pour tous.

Pour la petite histoire qui prend toute sa saveur aujourd’hui, la préfecture attaqua la ville devant le tribunal administratif.

Le droit à un logement pour tous, réclamé par l’Abbé Pierre il y plus de 50 ans, ce "droit à un logement digne et décent" inscrit dans la loi Besson en 1990, ce droit reconnu comme un principe à valeur constitutionnelle en janvier 1995, ce droit n’est toujours pas inscrit dans le préambule de la Constitution.

Mais réjouissons-nous, la campagne des présidentielles aura permis la mise en place du droit au logement opposable, cette idée sur laquelle travaillent depuis des mois, le monde associatif, le Conseil économique et social, le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées… Ce droit adopté en Ecosse en 2003 a été défendu en France depuis l’origine et toutes tendances politiques confondues, par Marie-Noëlle Lienemann, Laurent Fabius et Christine Boutin. Saluons ces précurseurs !

Nous ne pouvons que nous réjouir que toutes et tous aujourd’hui, adhérent à ce projet.

Mais que de temps perdu !

Que de temps perdu à nier la réalité d’un pays qui ne sait plus loger tous ses habitants !

Que de temps perdu dans des œuvres caritatives ponctuelles palliant comme un cautère sur une jambe de bois, une vraie politique du logement !

Que de temps perdu à batailler contre la disposition du pourcentage de logements sociaux dans les communes !

Pour rattraper ce retard, je propose que le droit au logement intègre un volet coercitif. Je m’explique : la compensation par logement non construit dans les communes qui offrent moins de 20 % de logements sociaux devra passer de 126 € par logement par an à 10 000 €. Cette taxation des collectivités territoriales qui se refusent à la solidarité donnera les possibilités d’un financement de logements nouveaux ou de bonification des réalisations prévues.

Pour rattraper ce retard, je propose de prendre le temps nécessaire pour réfléchir à notre patrimoine et à l'avenir que nous voulons pour nos enfants et nos concitoyens. Ce temps est un gain de temps et un gain économique, gains qui éviteront la perte de 10 années d'accompagnement social et la démolition de ce qui aura été mal conçu.

Pour rattraper ce retard, je mets en garde contre le danger de rééditer les logements répétitifs, sans âme, insuffisamment pensés qui ne pourront que reproduire à l'horizontale les problèmes que nous connaissons aujourd'hui dans nos grands ensembles HLM.

Et parce qu’il est toujours instructif de tirer des enseignements de l’expérience des autres, regardons du côté des Etats-Unis où la crise sociale s’est jouée aussi bien en centre ancien que dans des quartiers d'habitat individuel. Ce pays nous apprend que ce n’est pas la typologie architecturale qui induit le mal-vivre mais le mépris, la mise à l'écart, l'exclusion, le zonage, l'accumulation en un même lieu de tous les problèmes qui fabriquent la haine, la violence, la destruction...

Mais reprenons notre programme électoral. Si avec les conseillers de l’Ordre des architectes d’Ile-de-France, dans un gouvernement futur, nous devions être en charge de la politique de l’habitat et de la ville :

- nous revaloriserions le financement du logement avec une hausse de "l'aide à la pierre".

En effet, est-il normal que soit consacré aux logements sociaux qui sont le quotidien de millions de personnes, deux à trois fois moins d'argent au mètre carré que celui dédié à la majorité des équipements publics (des archives notamment,..) ?

Comment expliquer que l'Autriche et la Hollande réalisent des logements sociaux à 1500 € le m2 alors que la France se contente de 900 € au m2 ?

- nous adapterions la réglementation au bénéfice du coût global, de la durabilité, de l'économie des charges et de l'énergie plutôt qu'à l’addition systématique de normes rigides qui aboutissent à des projets inadaptés aux besoins des habitants.

- nous favoriserions l’investissement grâce à la création des prêts relais spécifiques aux équipements à la place des partenariats publics privés qui ne se préoccupent pas de la qualité architecturale, donc de la qualité d’usage.

- nous exigerions que toute aide publique aux logements ait une contrepartie sociale ou d’intérêt collectif ;

- nous interdirions toute réalisation de logements nouveaux à plus d'un kilomètre des commerces et des écoles.

- nous généraliserions les conseils de quartier pilotés par un élu, entouré d'architectes, paysagistes, urbanistes, sociologues qui étudieraient la spécificité, les potentialités et élaboraient les schémas directeurs de quartier, fondement des marchés de définition de projets urbains.

- nous aiderions à la mise en place de vrais espaces publics afin qu’ils soient des espaces citoyens, espaces de la mixité urbaine, sociale et fonctionnelle.

- à l’instar de l’Allemagne et de ce qui s’est fait à Fribourg, nous organiserions le financement de quartiers durables.

- enfin nous nous battrions pour le droit au logement mais aussi et surtout pour le droit à la ville car la véritable ségrégation réside dans l’éloignement toujours renforcé des habitants les plus démunis vers la périphérie et dans la difficulté d’accès physique, psychique, économique aux atouts de la ville.

(…)

Le bâtiment étant responsable du quart des émissions françaises de CO² et de 42% des consommations d’énergie, nous prendrons un certain nombre de mesures simples :

- l’interdiction de toute construction sur d’importants sites agricoles et paysagers comme au Québec,

- la prescription de ceintures vertes autour des noyaux urbains comme à Vienne en Autriche

- l’interdiction de réalisations dans les communes sans PLU.

Toutes ces propositions sont viables. La preuve c’est qu’elles existent ailleurs. Ce ne sont pas les contraintes du libéralisme qui obligent à l’étalement urbain, à la présence de SDF, à la ségrégation sociale, au mal-vivre. Bref, l’action des politiques est possible. Il suffit de le vouloir.

Enfin, comme pour mettre en œuvre cette politique de l’ "être ensemble", il faut de l’efficacité, de la modernité, de la réactivité, nous repenserons l’organisation ministérielle.

L’architecture est à la fois concernée par l’environnement, la culture, l’urbanisme, les transports, le social, le logement, le patrimoine…Son insertion au sein du Ministère de la Culture et d’une Direction davantage préoccupée par le Patrimoine que d’Architecture, ne lui donne pas la dimension nécessaire à son épanouissement.

Nous la ferons donc relever d’un grand ministère d’Etat, celui de la Ville dont la mission sera d’articuler les projets urbains depuis la DATAR (réhabilitée dans sa vocation d’aménageur) jusqu’à la rénovation urbaine, le bâtiment et le paysage.

Pour ce faire, notre profession doit s’interroger.

Saurons-nous être ingénieux, créatif, généreux, capables de prendre en compte les nouveaux modes de vie, les parcours résidentiels, les contraintes des familles, les besoins de l’âge, les moyens des habitants….

Saurons-nous diversifier l’habitat et sortir des schémas binaires : logement social / accession à la propriété ? Logement individuel /logement collectif ? Saurons-nous inventer une offre nouvelle de logement ?

Saurons-nous prendre en compte les nouveaux besoins, les contraintes financières et les nouveaux modes de vie dont la mobilité qui devient une tendance lourde de la société ?

Saurons-nous inventer de nouvelles morphologies urbaines ?

Saurons-nous construire en haute qualité environnementale, programmer l’économie des charges, la qualité des espaces publics, la présence des infrastructures de transport et de service… ?

En un mot, saurons-nous participer à la lutte contre le mal logement et plus largement le mal vivre?

(…)

Pour conclure et par ce que c’est plus que jamais d’actualité, je voudrais vous citer les articles 10 et 11 du Préambule de la constitution rédigé au lendemain de la deuxième guerre mondiale :

La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement.

Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence.

Au nom du Conseil de l’Ordre des architectes d’Ile-de-France, je forme le vœu que ces deux articles trouvent une implication et que les politiques portent sur l’ensemble du territoire des projets urbains et architecturaux et je vous offre tous mes vœux de bonheur et de santé pour l’année 2007.

Extraits du discours des vœux de Cristina Conrad, Présidente de l’Ordre des architectes d’Île-de-France prononcé le 9 janvier.

www.architectes-idf.org

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