La Cellule Économique de Bretagne a lancé, début mars, une étude sur le développement économique de la filière paille dans l’ouest. Elle s’adresse aux entreprises et aux maîtrises d’ouvrage. Commanditée par la Région Bretagne, en lien avec le Collectif Paille Armoricain (CPA), la Chambre d’Agriculture et la Fédération Bretonne des Filières Biosourcées (FB²). Elle vise à dresser un état des lieux de la filière paille construction. Objectif : analyser le marché actuel de la construction paille en Bretagne et évaluer son potentiel développement. La paille en remplissage isolant, dont les règles professionnelles sont validées par la C2P (Commission Prévention Produit) depuis 2012, est de plus en plus utilisée en Bretagne. Elle sert à la construction de maisons individuelles, mais aussi sur de grands chantiers publics d’envergure (notamment le futur collège Jacques-Prévert à Guingamp, dans les Côtes-d’Armor). La paille dispose d’une grande capacité à répondre aux enjeux climatiques et énergétiques à venir dans le secteur du bâtiment. Avec l’entrée en vigueur de la RE 2020, la filière paille est en fort développement. Mais les spécialistes n’entrevoient pas encore de perspectives exponentielles.
Production excédentaire
La Bretagne est considérée comme le fief des maisons en paille. S’il n’existe pas de statistique officielle sur le nombre de constructions en paille en France, la réputation de la Bretagne s’explique en partie par une forte présence de l’agriculture dans la région et de centres de formations reconnus. « La construction en paille est née du monde agricole avec la botte de 36 X 46 cm de plein champ. Ce matériau est prêt à l’emploi, assurable sans déclaration, car considéré comme technique courante dans le respect des règles professionnelles. Il a connu un franc succès auprès de l’auto-construction. En ce qui concerne les ressources, la production de paille est même excédentaire de 5 % en Bretagne », explique Benoît Dufraiche, membre du CPA et coordinateur de la filière construction paille en Bretagne et Pays-de-Loire. Le matériau est donc disponible en quantité suffisante, y compris pour construire des ERP. « Il n’y a pas de concurrence d’usage de la paille en Bretagne. En partant d’une hypothèse de 10 % du marché de la construction neuve en paille, il suffirait de prélever 1,2 % de la paille. »
Bilan carbone négatif
La paille a des propriétés encore méconnues et une réputation erronée : elle résiste bien au feu (sous réserve du respect des règles de pose), n’attire pas les rongeurs qui n’y trouveraient rien à manger et dure dans le temps. Pour preuve, la plus vieille maison en paille de France, la maison Feuillette, a été construite en 1920 à Montargis et a fêté ses 100 ans en pleine forme.
Parmi les isolants référencés dans la base Inies, le matériau biosourcé dispose surtout d’un des meilleurs bilans carbone : la paille est peu transformée et majoritairement issue de circuits courts. « Avec une épaisseur de 36 cm, un ballot de paille obtient un R de 7,10 m².K/W qui permet d’atteindre des standards passifs. Un mur en paille stocke le carbone à hauteur de 9,94 kg/m² eqCO2 pour une paille bio et 9,11 en conventionnel (sources FDES). Son bilan carbone est donc négatif », précise Benoît Dufraiche.
Auto-construction et chantiers participatifs
La paille n’a pas attendu les nouvelles réglementations et l’urgence climatique pour se massifier en Bretagne. Depuis les années 80, l’auto-construction de maisons individuelles se développe sur le territoire breton. Comme un véritable laboratoire d’innovations, les auto-constructeurs expérimentent de nouvelles techniques qui deviennent des références. Ils constatent et répertorient d’éventuels désordres, cherchent et y apportent des solutions. Ils créent des formations, se regroupent en associations, partagent leurs compétences à l’occasion de chantiers participatifs qu’ils organisent. L’association Botmobil, par exemple, fondée en 2006, est un réseau d’encadrants professionnels. Elle a pour objectif d’aider les particuliers qui souhaitent construire en terre et paille. Elle est aussi très active pour sensibiliser sur ce mode de construction et le faire évoluer. Elle référence, organise et coordonne de nombreux chantiers participatifs. Botmobil a participé à la création des Compaillons, devenus RFCP (Réseau Français de la Construction en Paille). Ses membres ont également pris part à la rédaction des Règles Professionnelles de la construction en paille, éditées en 2012.
Préfabrication
Les Règles CP 2012 constituent aujourd’hui un cadre de référence pour l’utilisation du matériau paille comme isolant et support d’enduit. Les ouvrages isolés en paille, conçus et construits conformément aux Règles CP 2012, appartiennent désormais aux « techniques courantes » de construction, y compris pour le marché public. « Nous venons d’être retenus à l’appel d’offre pour la construction de la Maison des Jeunes à Quiberon (56). Nous avons aussi réalisé la nouvelle école primaire de Quistinic (56) et des logements sociaux à Elven (56). », explique Camille Poulain, associée dans la société Echopaille et chargée de clientèle (et de la communication). Située à Questembert, au sud du Morbihan, la Scop compte 17 salariés qui sont aussi associés. Echopaille est spécialisée dans la préfabrication en atelier de murs caissons avec l’isolation paille intégrée. Cette innovation est une évolution pertinente de la construction paille, car elle permet de monter les maisons en environ 48 heures environ.
Règles professionnelles
Les marchés publics qui intègrent la paille sont évidemment un levier pour booster la construction paille. Les collectivités locales s’interrogent sur l’impact environnemental de leurs bâtiments et montrent l’exemple. Mais les techniques de construction sont aussi en constante évolution. « Les Règles CP 2012 offrent une garantie assurantielle, mais elles sont circonscrites à un domaine d’emploi, notamment le dernier plancher à 8 m du sol,» précise Benoît Dufraiche. D’autres méthodes d’isolation existent, comme la paille hachée insufflée, développée et commercialisée par la coopérative ielo, située dans la Vienne. De nombreuses techniques existantes ne sont pas encore réglementées, entre autres en rénovation : paille porteuse, isolation thermique extérieure, augmentation du domaine d’emploi au-delà du R + 2… Autant de chantiers de travail pour le RFCP et les collectifs en région, qui obligent surtout les acteurs de la filière à réfléchir à un modèle économique adapté.
Côté ressources, les fournisseurs ne manquent pas. Deux d’entre eux, en France, ont industrialisé la fabrication d’isolation paille : Profibres à Challans, en Vendée et Isol’en Paille à Lys-Haut-Layon, dans le Maine-et-Loire. Les bottes de paille sont calibrées pour que la pose soit plus rapide. Mais en Bretagne, l’offre n’est pas encore structurée. Même si des groupes d’agriculteurs souhaitent s’orienter vers une industrialisation de la production de bottes de paille, « il s’agit de réfléchir à un modèle cohérent pour le monde agricole breton », explique Benoît Dufraiche. « Quelle rémunération pour la paille, compte tenu des efforts à fournir en matière d’investissements et de montée en compétences ? Quel format pour les bottes en fonction des évolutions des techniques de construction ? ». De nombreuses questions auxquelles l’étude de la Cellule Économique de Bretagne va permettre d’apporter des débuts de réponses. Rendez-vous en septembre 2023 pour la validation, par le Conseil régional de Bretagne, des données recueillies.
