Elan : les règles de la commande publique ratiboisées… pour bâtir plus vite ?

Dérogations à la loi MOP, concours d’architecture, conception-réalisation, offres variables, commission d’appels d’offres… Le projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Elan) veut faire bouger les lignes de la commande publique.

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Le projet de loi Elan retouche les règles de la commande publique et prévoit de nombreuses dérogations à la loi MOP.

Depuis la réforme des marchés publics de 2016, les acteurs demandent une stabilité des règles. Il va falloir encore attendre un peu… Plusieurs dérogations à la loi MOP du 12 juillet 1985 sont notamment prévues dans le projet de loi Elan pour apporter un certain nombre de souplesses aux bailleurs sociaux et aux aménageurs. Le texte précise aussi la compétence des commissions d’appels d’offres (CAO), et revisite les règles d’allotissement au bénéfice du secteur du préfabriqué. Zoom sur les différentes mesures de l'avant projet de loi daté de fin février que "Le Moniteur" a obtenu.

Concession d’aménagement : la maîtrise d’ouvrage des bâtiments facilitée

L’article 4-III du projet de loi Elan fait échapper à la loi MOP les ouvrages publics réalisés par le concessionnaire d’une opération d’aménagement d’ensemble. Selon l’étude d’impact du texte, cette mesure sécuriserait juridiquement les contrats de concession des collectivités locales comprenant la réalisation de bâtiments publics dans le cadre d’une opération d’aménagement. Cette exception allongerait ainsi la liste des autres opérations qui échappent à la loi MOP (1) et serait particulièrement utile pour « la construction des écoles, gymnases, etc., nécessaires au développement d’un nouveau quartier de logements », selon l’exposé des motifs du projet de loi.

Préfabrication : l’accès aux marchés publics simplifié

Pour soutenir le secteur de la préfabrication, notamment en bois, le projet de loi Elan envisage deux nouveautés en son article 18. Il prévoit tout d’abord d’introduire un nouvel article L. 111-1 dans le Code de la construction et de l’habitation, pour y définir la notion de préfabrication. Il vise ensuite à insérer deux alinéas dans le I de l’article 32 de l’ordonnance marchés publics du 23 juillet 2015, pour adapter les règles de l’allotissement. Les acheteurs publics pourront ainsi « inscrire dans leurs marchés des macro-lots adaptés » à la préfabrication, fait état l’étude d’impact du projet de loi. La préfabrication, qui consiste à concevoir et réaliser un ouvrage à partir d’éléments préfabriqués sur un site de production distinct du chantier sur lequel ils seront assemblés, installés et mis en œuvre, est, en effet, inadaptée au principe d’allotissement. Peu utilisée aujourd’hui, la préfabrication a pourtant tout pour plaire, selon l’étude d’impact du gouvernement : avoir des chantiers plus rapides, plus propres, moins accidentogènes, moins dépendants des aléas climatiques…

Les opérateurs économiques auront aussi la possibilité, mais seulement pour « permettre la mise en œuvre d’ouvrages préfabriqués », de « proposer des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d’être obtenus, dans les conditions fixées par l’avis d’appel à la concurrence, et le cas échéant, les documents de la consultation ». Une possibilité posée par l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics mais supprimée par la loi dite Sapin 2 du 9 décembre 2016. Résultats de l’opération : les professionnels du préfabriqué peuvent se retrouver « sélectionnés partiellement sur certains lots alors que [leur] proposition serait optimale pour [une] offre globale », explique l’étude d’impact (lire aussi notre article :  « Elan : coup de pouce à la préfabrication »).

La dérogation « conception-réalisation » prolongée pour les bailleurs sociaux

L’article 20-I du projet de loi Elan prolonge la dérogation à la loi MOP permettant de recourir librement à la conception-réalisation pour les opérations de construction de logements sociaux jusqu’au 31 décembre 2021. Initialement prévue jusqu’au 31 décembre 2013, elle avait déjà été étendue jusqu’au 31 décembre 2018. Selon l'étude d'impact, « l’absence de prolongation du dispositif provoquerait un renchérissement des coûts de 5 à 8% et une augmentation des délais de 6 à 12 mois ».

« Aujourd’hui, environ 15% des opérations de construction de logements sociaux sont réalisées en conception-réalisation », selon l’étude d’impact du projet de loi. Jusqu’au 31 décembre 2021, les bailleurs sociaux pourront donc librement recourir à ce type de contrat, sans se soucier de la limitation prévue la loi MOP. Pour rappel, cette dernière permet en principe d’utiliser la conception-réalisation seulement « si des motifs d’ordre technique ou un engagement contractuel sur un niveau d’amélioration de l’efficacité énergétique rendent nécessaire l’association de l’entrepreneur aux études d’ouvrages »

CAO : compétence limitée aux procédures formalisées

L’article 20-II-1° précise la compétence des commissions d’appels d’offres (CAO) pour les marchés publics dont la valeur est estimée supérieure aux seuils européens, telle que prévue par l’article L. 1414-2 du Code général des collectivités territoriales (CGCT). Il la circonscrit expressément aux contrats qui sont passés en application de procédures formalisées (appel d’offres, dialogue compétitif, procédure concurrentielle avec négociation, etc.).

La compétence des CAO est, en effet, sujette à deux interprétations depuis la réforme des marchés publics de 2016. Pour certains, le champ d’intervention de la CAO se limite aux seuls marchés passés selon des procédures formalisées, car les seuils européens en constituent le critère de passage. Mais le tribunal administratif de Nantes, dans un jugement du 5 juillet 2017, s’est référé aux marchés publics dont la valeur estimée hors taxe est égale ou supérieure aux seuils européens sans distinction de la procédure de passation retenue. Pour l’étude d’impact du projet de loi, cette analyse « conduit à un élargissement des compétences de la CAO qui va à l’encontre des objectifs de simplification des procédures de la commande publique [ayant] guidé l’élaboration des directives et de leurs textes de transposition ». Elle aurait pour effet d’inclure dans le périmètre « les marchés de maîtrise d’oeuvre passés après concours ou encore les marchés publics de services sociaux et autres services spécifiques alors même que ces marchés ne sont actuellement pas attribués par la CAO ». 

CAO des offices publics de l’habitat : régime harmonisé

L’article 20-II-2° simplifie le régime des CAO des OPH pour l’aligner sur celui des autres organismes privés d’habitations à loyer modéré (HLM) et des sociétés d’économie mixte (SEM) exerçant des activités de construction et de gestion des logements sociaux. En application de la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016, le décret du 10 avril 2017 portant diverses dispositions en matière de commande publique « encadre de manière précise la composition et le rôle des CAO des OPH, empêchant un alignement sur le régime des CAO des organismes privés de logement social », explique l’étude d’impact. Le projet de loi propose donc de modifier l’article L. 1414-2 du CGCT afin que les CAO des OPH soient régies par les règles du Code de construction et de l’habitation applicables aux CAO d’organismes privés d’HLM.

Dérogation à la loi MOP pour le secteur du logement social

Au nombre des simplifications pour le secteur du logement, figure le fait de faire échapper les organismes de logement sociaux au titre II de la loi MOP (articles 7 à 10-1), relatif à la maîtrise d’œuvre et ses missions (art. 28-V du projet de loi Elan). L’étude d’impact rappelle la logique de la loi MOP : l’encadrement législatif précis de la conduite de la fonction de maître d’ouvrage dans ses relations avec la maîtrise d’oeuvre privée se justifie pour « la réalisation ponctuelle d’ouvrages de natures très diverses par des collectivités publiques dont la mission et les compétences ne sont pas d’être constructrices et gestionnaires d’une catégorie d’ouvrage ». Or, les bailleurs sociaux sont des « des professionnels de la construction immobilière spécialisés au même titre que les professionnels du secteur privé ». Leur assujettissement à cette partie de la loi MOP « n’est ni utile ni adapté » à ces acteurs « dont l’exercice de la fonction de maîtrise d’ouvrage est une composante de l’exercice de leur activité et pour une seule catégorie d’ouvrage, le logement social ». Et d’ajouter que ces dispositions de la loi MOP « constituent non une aide, mais un frein à la recherche de la performance de l’activité de construction du secteur des organismes de logements sociaux sans amélioration de la qualité architecturale des réalisations ». Un raisonnement qui fait toutefois bondir les représentants des architectes (lire notre interview de Denis Dessus, président du Conseil national de l’ordre des architectes).

L’obligation de concours supprimée pour les bailleurs sociaux

Enfin, l’article 28, VI supprime l’obligation de recourir au concours d’architecture pour les marchés de maîtrise d’œuvre des marchés d’ouvrage de bâtiment des organismes d’HLM et des SEM de construction et de gestion de logements sociaux. Cette disposition modifie l’article 5-1 de la loi sur l'architecture du 3 janvier 1977 et revient ainsi sur la loi dite LCAP du 7 juillet 2016 qui a posé cette obligation, traduite par la suite dans le décret sur les marchés publics du 10 avril 2017. Cette mesure fait, elle aussi, l’objet d’une levée de boucliers chez les architectes.

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