Jurisprudence

Droit de la construction : une expertise amiable ne suffit pas devant le juge

« Deux en un » pour la Cour de cassation ! Un arrêt rendu mi-mai vient souligner en creux l’importance de l’expertise judiciaire, et rappeler la règle importante selon laquelle les dommages et intérêts octroyés à la victime doivent seulement réparer le préjudice subi.

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La victime ne doit pas obtenir de gain ou subir une perte, son dommage doit être seulement réparé.
Marchés privés

L’affaire tranchée par la Cour de cassation dans un arrêt du 14 mai 2020 - publié au Bulletin (en « P.B.I ») – réaffirme deux principes – et non des moindres : la valeur limitée de l’expertise amiable et le fait que la victime d’un dommage doit être indemnisée mais sans perte ni profit.  

En l’espèce, un particulier confie la réfection d’un escalier extérieur à une entreprise. Mais,  ayant constaté des malfaçons, il refuse de régler le solde du marché. L’assureur de la société fait réaliser une expertise contradictoire démontrant l’absence de malfaçons. Mécontent, le maître d’ouvrage organise une nouvelle expertise à laquelle l’entreprise et son assureur ont également été convoqués. Celle-ci retient la nécessité des travaux de reprise. L’affaire arrive devant la justice, le maître d’ouvrage demandant l’indemnisation des travaux de reprise et l’entreprise, le paiement du solde du marché.

Expertise amiable demandée par une seule partie

Les juges d’instance – statuant en dernier ressort - condamnent l’entreprise à verser au maître d’ouvrage une somme correspondant à la réparation des malfaçons. Cette dernière forme alors un pourvoi en cassation, en invoquant le fait que les magistrats ne peuvent se déterminer uniquement en fonction de l’expertise amiable mandatée par une seule des parties. La Haute juridiction lui donne gain de cause. Elle énonce en effet, se fondant sur l’article 16 du Code de procédure civile, que « hormis les cas où la loi en dispose autrement, le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties, peu important qu’elle l’ait été en présence de celles-ci ». D’autres éléments de preuve doivent venir étayer une telle expertise.

Ce faisant, la Cour de cassation réaffirme une solution notamment adoptée en chambre mixte en 2012 (Cass. ch. mixte, 28 sept. 2012, n° 11-18710 (Bull.) : si le juge ne peut refuser d'examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une des parties ».)

La 3e chambre civile avait pu s’en écarter en 2013, dans un arrêt toutefois non publié au Bulletin (Cass. 3e civ., 19 novembre 2013, n°12-20143 : « Si l’expert a été choisi par une partie, et non désigné par une juridiction, les parties, en participant aux opérations et en admettant la discussion [les deux parties] l’ont admis en qualité d’expert pour arbitrer le litige »). La décision du 14 mai 2020 vient ainsi conforter les droits de la défense.

Pas de bis repetita pour la réparation du préjudice

Autre point de droit important rappelé par la cour : la victime ne doit pas obtenir de gain ou subir une perte, son dommage doit être seulement réparé. Or, en l’espèce, les juges d’instance ont condamné l’entreprise à payer l’intégralité du montant des travaux de reprise sans qu’elle ait par ailleurs obtenu le paiement du solde de son marché. La Haute juridiction annule le jugement en soulignant qu’en « indemnisant intégralement [le particulier] des conséquences des manquements de l’entreprise à ses obligations tout en le dispensant de payer le solde des travaux exécutés par celle-ci, le tribunal, qui a réparé deux fois le même préjudice, a violé » l’article 1149 du Code civilactuel article 1231-2. Pour mémoire, cet article dispose que « Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après. »

Cette décision classique (Cass. 3e civ., 6 février 2002, « sté Pilâne c/sté GEC », n°00-10543 (Bull.) ; Cass. 3e civ., 22 juin 2005, « Lacanale c./ épx J. », n°04-12364 (Bull.) ; Cass., 3e civ., 29 mai 2002, « sté Mécaroute », n°99-21018 (Bull.), ou plus récemment  Cass. 3° civ., 8 juin 2010, « sté Screg Sud-Est c/sté Motorsport Développement », n° 09-65502) permet de rappeler que le préjudice doit être indemnisé intégralement sans créer un enrichissement ou une perte pour la victime…

Cass. 3e civ., 14 mai 2020, n°19-16278 et n°19-16279, publié au Bulletin

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