Chaque jour, ce sont des files interminables de camions qui se succèdent sur la nationale 79, entre Sazeret (Allier) et Digoin (Saône-et-Loire). Entre 15 000 à 10 000 véhicules empruntent cette dorsale quotidiennement, dont 40 % de poids-lourds. Cet axe routier désigné pendant des années sous le nom de route centre-europe atlantique (RCEA), est tristement connu pour être le plus accidentogène de France. En 2019, l’Etat a délégué au concessionnaire Aliae, filiale d’Eiffage, le réaménagement et l’exploitation d’un tronçon de 88 km de long, qui nécessite d’être rénové et surtout élargi afin d’assurer la sécurité des usagers.
« La section existante ne comporte majoritairement que 2x1 voies sans terre-plein de séparation, ce qui engendre des situations d’encombrement du trafic. Cette configuration étroite est particulièrement accidentogène pour les usagers, en particulier les camions, qui ne peuvent pas dépasser en sécurité d’autres poids-lourds. Nous réalisons des travaux pour élargir la section en la portant à 2x2 voies. Nous mettons également l’infrastructure aux normes autoroutières, en particulier sur le plan environnemental en remettant à niveau la collecte et l’assainissement des eaux pluviales », expose Frédéric Cuffel, directeur de projet des travaux de la RN79 au sein du groupement d’entreprises Clea, en charge de la conception et de la construction de la future A79.
149 ouvrages d'arts, un million de t d'enrobés
Réalisé en un temps record, les travaux exigent de recourir à 3,5 millions de m3 de déblais pour les terrassements, dont un million de mètres cubes de matériaux issus de carrières. La construction des voiries exige de mobiliser un million de tonnes d’enrobés. S’ajoutent à ces quantités astronomiques des opérations sur 149 ouvrages d’arts (OA). Une bonne partie du parc de ces OA sera simplement mise aux normes (92 OA sur 149), tandis que le reste, soit 57 OA, sera construit à neuf.
Les équipes disposent de 23,5 mois pour réaliser l’ensemble des opérations avant la mise en exploitation de l’autoroute, prévue pour le second semestre 2022. Au pic du chantier, 1 300 personnes devraient être mobilisées. « Deux ans pour la conception et les travaux, je pensais initialement que ce n’était pas possible. Pour y parvenir, nous avons dû repenser certains procédés et les industrialiser à l’extrême », reconnait Frédéric Cuffel.

Une dalle de 23 t en cours de levage sur le chantier de la RCEA. Elle servira à construire l'un des douze viaducs neufs prévus le long du parcours.
Multitude de chantiers isolés
Afin de faciliter le travail, le chantier a été divisé en quatre zones (TOARC A, TOARC B, TOARC C et TOARC D pour terrassements d'ouvrages d'arts et rétablissements des communications). Sur l’ensemble du parcours, plusieurs ateliers se succèdent les uns à côté des autres : préfabrication de dalles, lançage de viaducs, extraction de matériaux de carrière, terrassements…
« Contrairement à un chantier autoroutier neuf, nous ne sommes pas sur une configuration de chantier linéaire, avec une logique de production de masse. En réalité, le tronçon est divisé en une multitude de chantiers unitaires, isolés les uns des autres. Nous mettons œuvre un phasage plus fin pour permettre le maintien de la circulation sur l’intégralité du tronçon aménagé, ce qui nous oblige parfois à attendre qu’une zone soit terminée avant de démarrer la suivante. Cela exige une plus grande agilité de notre part », analyse le directeur.
Trois semaines de rodage au lieu de 6 mois
Un de ces chantiers, celui de la carrière des Proux, assure l’alimentation de l’ensemble de la zone B en déblais. Sur le site, les camions bennes déversent en moyenne 870 t de matériaux par heure sur une bande transporteuse de 1,8 km de long, au bout de laquelle les déblais sont réceptionnés par de nouveaux camions.
« Chaque jour, nous extrayons 10 500 t de matériaux. La bande transporteuse avance à une vitesse de 3 mètres par seconde à raison d’une capacité de 25 m3 toutes les deux minutes 30. Elle ne doit pas tourner à vide, sinon c’est du temps perdu pour nous. C’est elle qui fixe le « tempo ». Un dysfonctionnement et toute notre chaine de production est bouleversée », témoigne Cédric Bruneau, responsable des terrassements de la zone TOARC B.
L’utilisation d’une telle installation sur un chantier routier, et surtout sur des délais aussi courts, reste exceptionnelle. « Habituellement, ce type de dispositif est utilisé pour des chantiers de travaux souterrains ou pour des sites de production de minerais. Ils servent pour cinq, dix ans et il faut une période de six mois de « rodage » pour qu’il puisse tourner à plein régime. Ici, nous n’avons eu que trois semaines pour effectuer nos essais », admet le responsable.

Sur le site de la carrière des Proux, 870 t de matériaux sont déversés chaque heure dans la bande transporteuse
A quelques encablures, sur l’aire de préfabrication des dalles, soudeurs, bétonneurs et ferrailleurs œuvrent de concert. Ici, tout est organisé comme sur une chaine de production industrielle. Chaque ouvrier travaille sur sa ligne, puis envoie directement la pièce qu’il a terminée à l’autre équipe, qui prend le relais.
Au-dessus des compagnons, un pont roulant de 35 m de large pour 9 m de haut permet de manipuler les éléments qui peuvent excéder facilement 20 t. « Nous fabriquons en moyenne 4 dalles par jour. Une fois bétonnée, celle-ci sèche temporairement dans une étuve à 25 °C, suite à quoi nous l’enlevons pour qu’elle soit transportée sur chantier. Le ferraillage nous prend en moyenne 4 heures, puis il nous faut 2 heures pour le coulage et enfin 16 heures pour la montée en résistance du béton dans l’étuve. Dans ces conditions, le pont roulant arrive très vite à saturation. Nous avions anticipé ce problème, mais il reste tout même continuellement utilisé au maximum de sa capacité », rapporte Sylvain Perrod, responsable des ouvrages d’art sur la zone TOARC B.

Avant d'être bétonnées, les dalles des ouvrages d'art passent par plusieurs ateliers - soudage, ferraillage -. Il faut en moyenne quatre heures pour faire une dalle
Trois nouveaux viaducs sur les douze du parcours seront construits à l’aide des éléments produits par l’atelier, qui ambitionne de fournir 600 dalles pour l’ensemble de la période de travaux. Le plus grand des trois s’avère être aussi le viaduc le plus monumental du chantier. Nommé « viaduc de l’Allier », il franchira le fleuve dont il tire son nom sur 416 m de long.
Le tablier de ce pont monumental est actuellement en cours de lançage. « Nous avons débuté la construction en septembre 2020. Nous prévoyons deux lançages en trois étapes pour le tablier, un pour la partie sud et un pour la partie nord. Chaque lançage est effectué à l’aide d’un avant-bec de 25 m de long situé à l’extrémité du tablier, qui lui permet d’accoster sur les appuis en toute sécurité », ajoute Sylvain Perrod. La fin de la construction du viaduc de l’Allier est attendue pour fin avril 2022. La livraison de la nouvelle A79, ancienne RN79, devrait suivre quelques mois plus tard.

Long de 416 m, le viaduc de l'Allier est l'ouvrage symbolique du chantier de la RCEA. Il est actuellement en cours de lançage