Design sonore Réussir l’acoustique des lieux de spectacle

Faute de disposer des moyens de calcul actuels, les salles de spectacle ont longtemps été conçues de manière plutôt empirique. Avec des succès mitigés… En prenant la relève, démarche scientifique et outils informatiques permettent désormais de s’affranchir des aléas d’une conception approximative.

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PHOTO - Tech67 acoustic OUV1.eps

Après des années de disette, la France semble saisie d’une fringale de lieux musicaux. La salle Pleyel a rouvert le mois dernier, la métamorphose de la maison de Radio France s’accompagnera de la création d’un grand studio-auditorium, la Cité de la Musique (Paris) accueillera sans doute un jour une grande salle de musique symphonique, tandis que Bordeaux voit émerger son futur auditorium.

Abondance de biens culturels ne nuit pas. Reste que la conception acoustique interne de tels équipements ne s’improvise pas, on s’en doute. Le « pifomètre » n’y a pas sa place et l’histoire des lieux de spectacle est jalonnée de fiascos en la matière. Une tradition qu’il s’agit de ne pas perpétuer. Les moyens existent, qu’il faut savoir mobiliser au bon moment.

Alors, une salle pour y faire quoi ? Théâtre, musique symphonique, musique amplifiée, opéra, voire un peu de tout cela ? C’est la première question à se poser.

Bien cerner le programme. Le programme dicte sa loi. La parole a besoin d’une intelligibilité parfaite, la musique ne souffre pas la sécheresse sonore, tandis que l’opéra doit concilier moelleux musical et clarté du chant. A rebours, les musiques amplifiées s’accommodent d’une salle la plus absorbante possible. Bref, bien cerner le programme c’est déjà s’assurer d’une bonne définition acoustique de la salle. « Un projet est tout à la fois acoustique, scénographique, architectural et artistique », observe ainsi Tateo Nakajima, acousticien chez Artec Consultants. Et à défaut de privilégier telle ou telle programmation, une certaine variabilité devra être obtenue en jouant sur le volume et/ou l’absorption de la salle (volumes résonnants, panneaux absorbants/réfléchissants pivotants, cloisons mobiles, etc.).

A partir de ces éléments, architecte et acousticien détermineront ensemble les valeurs à atteindre des principaux critères objectifs (mesurables et prédictibles) qui gouvernent la perception sonore. Et ceux-ci foisonnent… Depuis les « classiques » durée de réverbération (RT60), niveau de pression acoustique globale ou par bande d’octave et tiers d’octave, jusqu’à des critères plus difficiles à comprendre et à instrumenter : clarté à 50 ou 80 ms (C50, C80), temps de décroissance précoce (Early Decay Time ou EDT), intelligibilité de la parole (indices STI et RASTI), temps central, définition (D50), efficacité latérale, etc. « La qualité acoustique d’une salle dépend de la réverbération, explique Samuel Tochon-Danguy (Lasa), mais surtout de la densité des réflexions sonores précoces et de leur répartition dans l’espace. Il n’existe pas de critère universel pour ces phénomènes, mais l’acousticien dispose d’un panel d’indicateurs selon la vocation de la salle. EDT pour les salles de concerts symphoniques (réverbération précoce), Rasti (Rapid Speech Transmission Index) pour les salles de conférences sonorisées (intelligibilité de la parole) ». Pour corser le tout, chacun de ces critères est relié à une ou plusieurs dimensions de la perception sonore. Fort de son expérience, l’acousticien est heureusement présent pour jongler avec eux en vue de les hiérarchiser et de les articuler.

Logiciels et maquettes au service de l’immersion. La simulation informatique à l’aide de programmes commercialisés type Catt-Acoustic (distribué par Euphonia) ou développés en interne par les grands BET spécialisés (Lasa, Tisseyre et associés, Acoustique Gamba, Avel, etc.) permet à la fois d’ajuster la configuration de la salle aux exigences acoustiques qui découlent du programme et de tester les variantes proposées (géométrie, caractéristiques de matériaux, volume, ratio par spectateur). Si cette approche n’a pas complètement détrôné les études sur maquette à échelle 1/10, les outils actuels permettent d’évaluer le comportement intime des matériaux vis-à-vis du son. Ainsi de sa réflexion diffuse sur les parois, longtemps difficile à prédire. Même chose en ce qui concerne « l’effet de bord », à savoir la diffraction due aux arêtes. Il devient dès lors possible de mesurer l’influence des éléments typiquement « architecturaux » (loges, balcons, escalier, diffuseurs, etc.) sur l’acoustique interne, chose longtemps resté empirique. Alors, une fois le projet défini dans ses grandes lignes, si on écoutait le résultat ? C’est possible, et avant même de poser la première pierre ! C’est ce qu’on appelle « l’auralization » ou « audio-spatialisation » : une restitution sonore et simulée en temps réel de l’environnement acoustique en tout point de la salle. Un casque d’écoute et un micro-ordinateur suffisent. A partir d’un son « brut » débarrassé de tout « effet de salle », enregistré sur CD dans des conditions anéchoïques comme celles qu’offre un studio très absorbant, l’ordinateur spatialise le son à l’aide du modèle physique de l’environnement de propagation. L’ensemble des paramètres qui garantit la fidélité de reproduction de l’effet recherché est pris en compte : propriétés absorbantes et diffusantes des parois, position et caractéristiques des sources sonores (directivité, spectre, niveau émis, orientation), dispositions et caractéristiques des récepteurs (microphone ou paire d’oreilles), etc. Mais attention, prévient encore Tateo Nakajima, « en acoustique des salles, la réalité des phénomènes physiques mis en jeu est toujours plus complexe que le modèle de propagation à l’œuvre dans les outils de simulation, aussi élaborés soient-ils. Et au final, la perception est seule juge ».

Avec davantage de moyens, il est possible de s’immerger dans une modélisation interactive complète (visuelle et sonore). Comme celle que propose la salle immersive de quinze places du CSTB à Sophia-Antipolis. Le dispositif associe modélisation numérique, réalité virtuelle et interaction en temps réel, pour naviguer au sein du projet architectural en vue d’optimiser ses performances ou de mesurer son impact environnemental.

Enveloppe isolante. Enfin, un Zénith ou un opéra ne sont pas des équipements anodins. Leur qualité acoustique interne ne doit pas faire perdre de vue la nécessité de les insérer dans leur environnement. Un impératif facile à comprendre lorsqu’on sait que le niveau sonore intérieur y tutoie les 100 dB, même pour un orchestre classique… Le travail sur l’enveloppe est donc primordial. Que ce soit pour isoler la salle des bruits extérieurs mais aussi, à l’inverse, pour limiter son rayonnement en direction des constructions riveraines. Alors, les ingénieurs ont-ils seuls voix au chapitre ? Pas vraiment, si l’on se souvient in fine que les principaux paramètres qui pilotent la qualité acoustique interne du lieu (géométrie d’ensemble, nature et inclinaison des parois, présence d’éléments décoratifs, matériaux employés, volume global, etc.) sont directement orchestrés par l’architecte. Qui n’aura plus ensuite qu’à les mettre en musique sur le chantier !

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