Le sentiment d’irréalité imprégnera toute l’heure de déambulation, jusqu’à la fausse ruine pseudo-médiévale où l’architecte Xavier Bohl a logé les toilettes, en passant par les colonnades d’une folie circulaire qui cumule les emprunts : le concepteur contemporain imite les romantiques imitant les antiques.
Sur la colline qui surplombe la ville historique de Puteaux, le long de la rive gauche de la Seine, rien n’interdit d’imaginer un passé lointain où des damoiselles conduisaient leurs troupeaux aux abords de l’authentique moulin à vent du XVIIIe siècle. Ce lointain héritage pastoral justifie-t-il le nom de « l’écoquartier des Bergères » ? Les immeubles néo-haussmanniens ramènent plutôt à Napoléon III. Ils ont remplacé un quartier artisanal dont subsiste une ancienne imprimerie reconvertie en logements.
Collier de perles
Au détour de chaque méandre de la rivière artificielle qui prend sa source dans deux citernes souterraines situées en haut de la colline, l’apparition de la skyline de la Défense raconte une autre histoire : les bergères servent d’appât aux bâtisseurs du quartier d’affaires grand-parisien, soucieux de sortir de la mono-fonctionnalité tertiaire, pour amener des habitants à proximité.
Promesse tenue, mais dans un temps si long que seul le paysagiste semble garder la mémoire des 15 ans écoulés, depuis le concours remporté par l’équipe de Xavier Bohl. « L’eau donne son fil conducteur au projet conçu comme un collier de perles, entre chaque îlot comprenant au moins un équipement public, des immeubles d’habitation et un jardin », expose Emmanuel Moreau, concepteur des espaces verts pour Tup – l’une des deux agences qui ont donné naissance à Land’Act en 2014.

La rivière artificielle donne son fil conducteur au chapelet de jardins qui jalonnent l'écoquartier.
Trois maîtres d’ouvrage en 15 ans
La sensation de l’eau ne va toutefois pas jusqu’au toucher : des barrières tiennent les usagers à distance de la rivière artificielle, majoritairement alimentée par les eaux de toiture. L’interdiction profite à la famille Canard qui installe sa progéniture sur un espace engazonné et douillet, pour la joie des spectateurs humains. Des comptages en cours objectiveront le bilan du quartier pour la biodiversité.

Les nichées de canards profitent des pelouses interdites au public
Le maître d’ouvrage semble un peu dépassé par une histoire dont il n’a pas écrit les premiers chapitres. « Comment peut-on lancer une zone d’aménagement concerté sans avoir de Déclaration d’utilité publique ? », s’interroge Virginie Rooryck-Llorens, directrice de l’aménagement de l’agglomération Paris Ouest La Défense. L’intercommunalité a décroché la délégation de la ville qui avait elle-même hérité d’un projet de l’établissement public d’aménagement de la Défense.
Bout du tunnel
Après la toute récente déclaration d’utilité publique, l’achèvement des chantiers se profile pour 2027, au terme d’un aménagement chiffré à 300 M€. « Les négociations foncières s’achèvent, pour les quatre derniers lots », souffle Virginie Rooryck-Llorens, qui espère décrocher le label « Vécu », ultime récompense officielle pour les écoquartiers. Sur 11 ha et 122 000 m2 de plancher, le programme de la Zone d’aménagement concerté comprend 1700 logements, 5 ha d’espaces verts, 1100 m2 de commerces, 4000 m2 de bureaux, huit hôtels.
Au sens propre, le bout du tunnel se matérialisera cet automne, avec le démarrage des travaux de l’extension de la traversée routière souterraine du rond-point central de l’écoquartier. Ce chantier de la route départementale 913 libérera l’espace d’un nouveau jardin. Satisfaite de sa première expérience d’aménagement en régie, l’agglomération mesure les inconvénients d’un calendrier mal maîtrisé : « Habitués à leur environnement, les habitants n’acceptent pas sans réticence la perspective de nouveaux chantiers », remarque Virginie Rooryck-Llorens.
Végétal et densité
La progression chaotique n’a pas empêché Paris Ouest La Défense de décrocher son ticket d’entrée aux neuvièmes Victoires du paysage, après la délibération du jury technique, le 4 juin dernier. « Le végétal occupe plus de place qu’imaginé à l’origine, dans un quartier voué à une urbanisation dense », souligne Virginie Rooryck-Llorens, dans l’attente de la proclamation du palmarès, le 11 décembre prochain. « Au fil du temps, le projet s’est adapté aux concertations avec les habitants », ajoute Thomas Devoos, directeur des espaces verts de la ville.

Les concertations ont révélé une forte demande de jeux.
En bas du jardin d’Eden, la tyrolienne illustre son propos. « Les riverains demandent d’abord des jeux, puis des espaces de repos comme les bancs ou les tables de pique-nique, et enfin les arbres », récapitule Emmanuel Moreau. Avec le groupe d’espaces verts et Travaux publics Terideal, Land’Act a répondu à cette dernière aspiration, comme en témoignent les compositions végétales multi-strates. La bonne exposition du coteau a même offert l’opportunité d’une production viticole de 2000 bouteilles/an, rendue possible par l’entreprise SMDA, titulaire du marché d’entretien des vignes.