Les musées sont comme des icebergs. On s'émerveille de la partie émergée, visible, consacrée à l'exposition des chefs-d'œuvre. En revanche, on en sait peu sur la partie immergée, invisible, dédiée à la préservation du reste des collections. « La question des réserves est l'une des plus ingrates à traiter par les institutions culturelles, car elles coûtent cher et n'intéressent pas vraiment en dehors du personnel muséal », constate Serge Lasvignes, président du centre national d'art et de culture Georges-Pompidou.
L'établissement public parisien a lancé cet hiver une consultation pour la conception de son futur pôle de conservation à Massy (Essonne), dont les candidats seront sélectionnés au printemps (lire ci-dessous). « Nous avons le bonheur et le malheur d'être un musée d'art contemporain, fait observer le président du Centre Pompidou. Comme les artistes ont tendance à toujours produire des œuvres, on a tendance à toujours en acquérir. Aujourd'hui, nous en avons 120 000. Pour pouvoir les entreposer, les étudier, mais aussi les prêter dans les meilleures conditions, nous avons un besoin stratégique de locaux spécialisés. »
De nombreux musées louent des espaces de stockage à des prestataires externes tels que Geodis ou André Chenue. Ce dernier a reçu en 2020 le Grand Prix Simi dans la catégorie immobilier logistique, pour son centre de conservation d'œuvres d'art à l'aéroport Paris-Le Bourget (Seine-Saint-Denis), conçu par GBL Architectes. Toutefois, la solution la plus simple et efficace reste de posséder ses propres réserves, comme l'ont entrepris le musée Boijmans Van Beuningen, le Louvre, le Fonds régional d'art contemporain (Frac) Ile-de-France (p. 48) ou le Centre national des arts plastiques.
Discrétion… ou ostentation. Si au départ l'objectif est identique, à savoir la protection optimale des collections, à l'arrivée les résultats diffèrent dans leurs expressions architecturales. « Il n'existe pas de réserves banalisées, estime Serge Lasvignes, puisque chaque établissement culturel a sa personnalité. » Certains optent pour la discrétion, d'autres pour l'ostentation. Stephen Barrett, architecte partenaire à l'agence Rogers Stirk Harbour + Partners, compare le centre de conservation du Louvre à Liévin, dans le Pas-de-Calais, à « un temple utilitaire ». Dans ce sanctuaire de béton, tapi sous la végétation, seuls les initiés peuvent entrer. Les profanes sont, eux, invités à se rendre à moins d'un kilomètre de là, au musée du Louvre-Lens, où les coulisses leur sont accessibles.
En Seine-Saint-Denis, à Romainville, le Frac Ile-de-France a fait un tout autre pari en misant sur une démarche participative. « Nous voulons faire de nos réserves un lieu de médiation culturelle novateur dans lequel le public organise des expositions avec nous, explique sa présidente Florence Berthout. Il faut lui donner à voir et à toucher nos 2 000 œuvres d'art contemporain d'une manière décomplexée. » Ce que l'agence Freaks Architecture a traduit par un bâtiment en brique jouant sur une proportion d'espaces opaques (deux tiers) et transparents (un tiers). « La démarche est expérimentale, reconnaît Xavier Franceschi, directeur du Frac. Néanmoins, il faut savoir sortir les œuvres, ainsi que les visiteurs, de leurs réserves. »