Les forêts urbaines bénéficieront d’un effet JO 2024. Cet impact inattendu de l’événement sportif résultera des travaux engagés au début de cette année par la société forestière de la caisse des dépôts autour du cahier des charges suivants : étendre à la plantation d’arbres urbains l’accès aux marchés de compensation générés par le label bas carbone du ministère de la Transition écologique.
L’effet JO 2024
« Pour lancer en 2023 des opérations urbaines qui pourront bénéficier des compensations des chantiers olympiques, nous devons finaliser une grille d’évaluation en juin de cette année, puis livrer la méthodologie au ministère en juillet », dévoile Thomas Robinet, chargé de projets Label Bas carbone à la société forestière de la CDC.
La filiale de la banque publique a déjà recensé 168 projets qui éviteront 460 000 tonnes de CO2, grâce à des financements proportionnels à leur capacité de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. L’extension de ce dispositif aux forêts urbaines implique d’aller au-delà des critères de décarbonation. Quatre groupes de travail s’y attellent depuis le début de cette année, sous les angles de la biodiversité, du rafraîchissement urbain, de la gestion de l’eau et de l’air, et enfin de la santé.
Gestation partenariale
Les projets éligibles incluront les replantations comme les nouveaux boisements ou la protection de l’existant. Les financements bénéficieront à des propriétaires publics et privés engagés pour des durées longues, dans des villes de plus de 2000 habitants. « Nous nous appuierons sur les Obligations réelles environnementales encadrées par la loi Biodiversité », précise Thomas Robinet.
La composition du comité de pilotage reflète l’ambition fédératrice : aux côtés de grands comptes comme la Banque des Territoires, Bouygues, Icade, La Poste ou Suez, se retrouvent des institutions publiques nationales ou locales comme l’Agence de la transition écologique (Ademe) ou les villes de Paris et La Rochelle. Le groupe de travail mobilisé sur la biodiversité a déjà balayé les thèmes à développer dans la grille d’évaluation : diversité des espèces, préservation des sols, continuité écologique, gestion écologique et sensibilisation de la population.
Le déclic Miyawaki
L’impulsion du marché des compensations renforcera une montée en puissance déjà bien engagée, comme en témoigne le succès de la méthode Miyawaki, du nom du botaniste japonais qui l’a inventée, avant son introduction en Europe par la Belgique et le bureau d’études Urban Forest. Parmi ses adeptes, le maître d’oeuvre Trees Everywhere, né en 2020 à Marseille, revendique déjà 140 000 arbres plantés dans 12 sites périurbains, souvent en limite des quartiers centraux.
Parmi les deux associés de la start-up, tous deux issus du monde de la finance, Sophie Grenier en rappelle les principes : « Densité et diversité, soit trois plants par m2 et 20 à 40 espèces locales de quatre tailles, plantés sur des espaces vierges, sans vocation à l’exploitation sylvicole ».
Réalisée sur 8000 m2 à Mulhouse par des établissements ou services d’aide par le travail (Esat, dédiés à l’insertion professionnelle des personnes handicapés), la première référence a fixé le modèle économique : encouragés par la ville, 17 entreprises ont réuni les 200 000 euros prélevés dans leur budget dédié à la Responsabilité sociétale.
Le credo multifonctionnel à l’ONF
Mais les puits de carbone issus de cette méthode laissent sur sa faim l’opérateur de référence des forêts publiques françaises : « Sollicités après les élections municipales de 2020 pour des forêts du type Miyawaki, nous avons élaboré d’autres propositions, car ce modèle ne nous satisfait pas », explique Solène Maillot, cheffe de produits Aménagement loisir écotourisme à l’Office national des forêts (ONF). A la campagne comme à la ville, l’établissement public ne lâche rien sur sa valeur cardinale : la multifonctionalité, qui, dans les milieux urbains, ne peut exclure l’accueil et le bien-être du public.
Par la méthode d’intelligence collective Design Thinking, l’ONF a recueilli 277 doléances avant de formaliser sa proposition : « Nous sommes arrivés à une notion de lisière. La rencontre entre milieux ouverts et fermés renvoie au vocabulaire urbain de l’habitat mixte et suggère un espace accueillant », développe Solène Maillot. La gestation du concept se reflète dans la phrase qui le résume : « Et la forêt devint lisière ».
Les atouts des régies
Deux collectivités, dont une dans l’agglomération grenobloise, se jettent à l’eau : les premières plantations se dérouleront à l’automne prochain. Positionné sur l’ensemble du marché, de la conception à l’entretien, l’ONF a déjà franchi les premières étapes : études paysagères, prospective climatique, analyse des sols, définition de la palette végétale, planification participative et mise en place du parrainage des plantations.
Malgré leur succès, les ingénieries extérieures, publiques ou privées, ne captent pas la totalité du marché, comme le montrent les deux boisements pilotes de Poitiers, plantés cet hiver en régie par le service des espaces verts : « D’une part un espace de 4000 m2, sur un échangeur peu accessible, mais riche de potentiel pour la biodiversité ; d’autre part une forêt de 13 000 m2 qui prolonge un espace maraîcher, dans un secteur industriel à la limite de la ville », détaille Pierre Nenez, adjoint chargé de la biodiversité et de la végétalisation. Le voisinage du second inspire l’idée de forêt comestible, pour renforcer les ressources mobilisées par le plan alimentaire territorial.
Le plus satellitaire
Rendue possible par l’expertise interne de la collectivité, le calage des méthodes facilitera le changement de braquet planifié à moyen terme, et qui passera sans doute par des marchés extérieurs : le plan canopée de Poitiers inclut 12 boisements. Comme l’ONF, le service municipal des espaces verts identifie un frein : les pépinières françaises manquent de plants forestiers, notamment dans les essences locales. « Pour anticiper les prochaines étapes, nous étudions la signature de contrats de culture », explique Vincent Pellerin, chef du pôle Gestion du patrimoine naturel.
Pour contribuer à la planification forestière locale, les nouvelles technologies de l’information adaptent leur expertise, comme en témoigne le bureau d’études Kermap, créé en 2018 à Cesson-Sévigné (banlieue de Rennes) : « L’analyse de l’existant repose sur deux plateformes lancées au cours des deux dernières années à partir des orthophotographies issues de données satellitaires ou aériennes », précise son directeur général Maxime Vitter. La plateforme nommée Nos villes vertes analyse le patrimoine arboré français, tandis que Klover restitue celui des métropoles du monde.
Aide à la planification
Outre la connaissance de l’évolution issue du croisement des données actuelles avec les archives de l’Institut géographique national, Kermap propose un « indice de végétalisation perçue ». « En replaçant l’imagerie à hauteur humaine, on se rend compte d’un décalage entre la réalité et la perception, souvent liée à des sites de forte fréquentation où se concentre la demande », explique Maxime Vitter. Le couplage entre les cartes thermographiques et végétales favorise l’identification des points chauds améliorables. Associée à des écologues, l’outillage de Kermap se met au service de l’élaboration des trames vertes et bleues.
La nécessité d’accélérer la transition écologique fédère les nouveaux outils et acteurs des boisements urbains, selon une logique résumée par le paysagiste Jean-Marc Bouillon : « Avec les moyens financiers et les techniques traditionnelles, le rythme annuel de renouvellement des villes ne dépasse pas 1 % de leur superficie, ce qui interdit de penser à un changement complet en moins d’un siècle. Mais les nouvelles solutions qui se dessinent, fondées sur le végétal, permettent de passer de 1 à 10 %, à budgets constants ». A côté des déminéralisations de cours ou de parkings et de l’infiltration des eaux pluviales, les forêts urbaines s’intègrent dans cette nouvelle vision de l’aménagement.