Des bulbes anciens abritent les plantes nourricières de demain

Au terme d'une subtile réhabilitation, le vénérable Palais Rameau à Lille se mue en laboratoire de l'agriculture.

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Palais Rameau
Les étudiants de Junia expérimentent dans des laboratoires ouverts et lumineux.

Conçu comme une halle d'exposition horticole et artistique, le Palais Rameau à Lille (Nord) affiche son architecture gourmande boulevard Vauban. Cet édifice néo-byzantin, dont la façade polychrome alterne brique rouge et pierre claire, n'est pas sans évoquer l'une de ces audacieuses pièces montées de style fraisier. Couronnant deux tours lanternes, ses bulbes galbés ressemblent à d'appétissants macarons.

Cette serre de pierre, de métal et de verre, érigée en 1878 grâce au legs du président de la société lilloise d'horticulture Charles Rameau, renoue avec sa vocation première à l'issue d'une réhabilitation orchestrée par l'école d'ingénieurs Junia, nouvel occupant des lieux. La concession signée avec la Ville, assortie d'un bail emphytéotique de vingt-cinq ans, prévoit une programmation tournée vers notre avenir alimentaire. « L'idée est de profiter de ce lieu unique pour développer un écosystème allant de la production agricole à la consommation, en passant par la transformation, résume Marie Stankowiak, responsable du département Agriculture and Landscape Sciences. Ce concept “de la fourche à la fourchette” est animé par divers espaces dédiés à la pédagogie et la recherche : production de fruits et légumes sous environnement contrôlé, laboratoires d'analyse, cellules sensorielles de dégustation… »

Un lieu vivant et expérimental

Là où jadis trônaient les variétés de tulipes les plus rares, élèves-ingénieurs agronomes, enseignants, chercheurs et entreprises partenaires planchent aujourd'hui sur des thématiques aussi variées que des alternatives douces aux traitements phytosanitaires du mildiou, l'expérimentation de la vigne au pays de la bière ou la recherche de débouchés valorisants pour la fameuse chicorée Leroux.

Toutes ces réflexions germent depuis quelques mois dans un Palais Rameau entièrement revisité par l'Atelier 9.81. L'agence d'architecture lilloise a été sélectionnée via un appel à projets pour co-construire cette programmation et l'insérer au mieux dans les murs du palais.

Afin de proposer une solution aussi réversible qu'évolutive, et de respecter ainsi l'intégrité de ce lieu classé monument historique en 2002, l'agence a imaginé une structure modulaire en bois discrète, esthétique et pratique. « Entièrement détaché de l'enveloppe métallique du bâtiment, ce squelette de poteaux-poutres accueille, sur deux niveaux, des cloisonnements composés de modules préfabriqués démontables, précise Cédric Michel, l'un des fondateurs de l'Atelier 9.81. Tous les éléments constitutifs du programme ont été calés le long des coursives latérales. Cette disposition libère l'espace central de la nef qui peut ainsi accueillir toutes sortes d'événements : colloques, conférences, expositions… » Cet aménagement rend véritablement hommage au bâtiment d'origine conçu par les architectes Auguste Mourcou et Henri Contamine. Plancher technique en caoutchouc naturel rouge framboise, peuplier clair et armatures métalliques vert amande : l'étonnante alchimie de couleurs et de matières réveille ce palais longtemps endormi.

« Pour le bois, nous avons privilégié une filière locale encore en structuration, explique Cédric Michel. Le peuplier est une essence abondante dans les Hauts-de-France. Les scieries comme les ateliers de transformation et de montage sont situés dans un rayon proche. » Entièrement réaménagés par les paysagistes des Saprophytes, les 6 000 m² de parc qui entourent le palais complètent le dispositif expérimental. Les visiteurs sont saisis par de multiples fragrances qui éveillent leurs papilles. Potager, arbres fruitiers, baies et herbes aromatiques : tout est comestible !

La Bourgogne ne veut pas voir ses climats changer

La Cité des climats et vins de Bourgogne, conçue par l'architecte Emmanuelle Andréani (agence Siz'-ix) et construite par le groupe bourguignon Rougeot, a ainsi été inaugurée à Beaune en juin 2023.

Le vignoble bourguignon s'étire sur 60 km, de Dijon (Côte-d'Or), au nord, au vignoble des Maranges (Saône-et-Loire), au sud, en passant par Gevrey-Chambertin, Nuits-Saint-Georges et Beaune, trois communes de la Côte-d'Or. Au total, 1 247 climats - des petites parcelles de vignes - sont inscrits depuis tout juste dix ans au patrimoine mondial de l'Unesco.

Pour les valoriser, la Ville de Beaune et le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB) ont porté le projet d'un centre d'interprétation et de découverte sensorielle. La Cité des climats et vins de Bourgogne a ainsi été inaugurée à Beaune en juin 2023. Elle a accueilli en 2024 quelque 86 000 visiteurs. L'opération, d'un coût de 14,3 M€ financé par la Ville, la région Bourgogne-Franche-Comté, le département et le BIVB, a été confiée au groupe bourguignon Rougeot associé à l'architecte Emmanuelle Andréani (agence Siz'-ix).

Pierre de Comblanchien

Inspiré de la vrille de la vigne qui s'enroule autour du fil de palissage, le bâtiment de 3600m² culmine à 21 m pour offrir une vue sur la côte viticole depuis sa terrasse panoramique. Parmi les matériaux locaux sélectionnés, « la pierre de Comblanchien a été utilisée pour le socle du bâtiment », détaille l'architecte. Tous les bétons apparents ont été réalisés avec des agrégats de cette pierre. Un choix qui ne doit rien au hasard. Les climats sont nés sur « des terrains calcaires et argileux fournissant, outre le terreau pour des vins d'exception, une pierre de qualité qui s'exporte dans le monde entier », décrivent Jean-Pierre Garcia et Guillaume Grillon, respectivement professeur et ingénieur de recherche à l'université Bourgogne Europe, coauteurs de parcours thématiques et historiques sur les climats de Bourgogne.

A Villars-Fontaine (Côte-d'Or), une ancienne carrière - rebaptisée La Karrière -met d'ailleurs en valeur ce patrimoine géologique. Abandonnée depuis 2003, elle était destinée à être remblayée. Rachetée par la commune, elle est devenue en 2016 un lieu de street art renommé, qui met en valeur l'importance de la minéralité dans la zone des climats de Bourgogne.

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Inventaire des murs en pierre sèche

Au-delà de cette reconversion, l'inscription au patrimoine mondial engage les acteurs locaux sur « les trois missions confiées par l'Unesco : protéger, valoriser et transmettre », souligne Gilles de Larouzière, président de l'Association des climats du vignoble de Bourgogne. Dès 2015, cette dernière a procédé à l'inventaire des murs en pierre sèche qui inscrivent le parcellaire dans le paysage. Sur les 220km de murets, une bonne partie s'est révélée être en mauvais état, nécessitant des mesures de sauvegarde et de restauration. « Nous avons réalisé que les ouvriers viticoles n'avaient plus la lecture des murs », explique Bertrand Gauvrit, directeur de l'association.

Pour y remédier, l'organisme finance un module de formation au centre de formation pour adultes de Beaune, qui a permis d'outiller 270 personnes désormais capables d'entretenir au quotidien les murets. En parallèle, l'association a constitué en 2017 un Fonds patrimoine pour les travaux de plus grande envergure. « Abondé par des mécènes internationaux, ce dernier a permis de collecter près de 5M€ depuis sa création », détaille Gilles de Larouzière. A ce jour, 8,5km de murs en pierre sèche et 17 cabottes (abris en pierre) ont été repris et restaurés, pour un montant de 8M€.

Technique en voie de disparition

La restauration de ces cabottes demande « une vraie technicité » qui, avec le temps, « a été un peu oubliée », souligne Christophe Galmiche, à la tête de l'entreprise Murs et Vignes (17 salariés). Ces petits abris sont généralement de forme circulaire ou semi-circulaire, faits de pierres non taillées, ramassées sur place et assemblées par empilage à sec, sans aucun liant ni charpente. Coiffé de laves (dalles en pierre calcaire), le toit est le plus souvent une voûte à assises en surplomb reposant, en partie, sur une dalle servant de linteau au-dessus de l'ouverture.

« Nous ne sommes que trois dans toute la Bourgogne à maîtriser la technique sur ce type de couverture en laves », estime Martial Ducherpozat à la tête d'une entreprise créée en… 1590 à Fixin (Côte-d'Or). Les pierres calcaires plates, taillées, sont elles aussi posées à sec, empilées les unes au-dessus des autres avec une pente de 45° environ. « Un travail très dur physiquement », selon l'entrepreneur. Obtenu en 2017, le label Entreprise du patrimoine vivant lui permet de bénéficier d'aides publiques, notamment pour la montée en compétences de ses employés, parce qu'« il n'existe pas d'école qui transmette ce savoir- faire : nous formons nous-mêmes nos compagnons ».

Cet article fait partie du dossier "Les palais du palais" de notre série de l'été "Miam".

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