Quel regard portez-vous sur le projet d’ordonnance « Essoc 2 » ?
L’empilement des règles actuelles amène parfois à des situations de conflits techniques (accessibilité, étanchéité et sécurité…). La réécriture du CCH répond à cet objectif de clarification et de fluidité devenu nécessaire.
Notre point d’attention porte sur le moment ou doit intervenir la demande du maître d’ouvrage. En effet, depuis le début des discussions et concertations, le droit de déroger devait être pensé et mis en place en phase conception. L’attestation de « solution d’effet équivalent » (SEE) produite par un tiers attestateur devait être jointe à la demande d’autorisation de construire. Mais il semblerait que les pouvoirs publics, à la demande de certains acteurs, s’interrogent sur la possibilité d’étendre cette faculté à la phase chantier pour permettre aux entreprises aussi de proposer des solutions alternatives. Certes, cela ne pourra pas affecter des éléments qui relèvent de la validité du permis de construire déjà délivré, mais cela pourrait toucher à de nombreux autres aspects.
La MAF considère que ce mécanisme pourrait engendrer des sinistres importants. Aujourd’hui, de nombreux sinistres conséquents sont liés à des changements de matériaux ou de techniques proposés par une entreprise au stade de l’appel d’offres via une variante, ou en cours de chantier. L’architecte se retrouve au pied du mur, n’a en général pas le temps et les moyens de vérifier si cette nouvelle solution est pertinente et techniquement viable ; mais il verra sa responsabilité engagée en cas de désordre ! On peut innover, mais on ne fait pas ça au pied levé, en modifiant un projet en pleine exécution. De plus, comme nous n’avons quasiment aucun retour d’expérience sur le permis d’expérimenter [mis en place par l’ordonnance « Essoc 1 » du 30 octobre 2018, NDLR], il semble peu prudent de le généraliser de la sorte…
Avez-vous des exemples d’acteurs ayant utilisé ce permis d’expérimenter justement ?
Il existe très peu de cas. Nous avons quelques doutes sur le succès de cet outil, car les constructeurs doivent trouver un intérêt économique pour l’utiliser. En l’absence de ce gain, c’est peu probable. D’autant plus que les maîtres d’ouvrage doivent être volontaires. L’année dernière, un appel à manifestation d’intérêt avait été lancé mais il semblerait que la Direction de l’habitation, de l’urbanisme et des paysages ait eu peu de retours.
Avez-vous d’autres réserves sur le dispositif ?
Oui, sur la qualité du tiers attestateur [qui devra évaluer la SEE et y mettre son tampon, NDLR]. Nous aurions préféré que ce pouvoir d’attestation reste entre les mains de services instructeurs comme pour les autorisations de construire. Mais il semble que l’Etat va transférer son pouvoir sur le privé, en désignant un certain nombre d’organismes [comme c’était le cas pour le permis d’expérimenter, NDLR]. Et ce sera hétérogène : on peut avoir des doutes sur les capacités de certains acteurs à réellement évaluer les solutions dans certains domaines très techniques...
Dans le projet d’ordonnance « Essoc 2 » soumis à la consultation publique, il est mentionné que ce tiers attestateur devra être assuré pour sa responsabilité civile professionnelle et qu’il « n’est pas considéré comme un constructeur au sens de l’article 1792-1 du Code civil »pour cette mission. Qu’en pensez-vous ?
Quand bien même ce tiers ne serait pas soumis à la responsabilité décennale, il sera forcément confronté à une autre responsabilité. Les juges ont horreur du vide, donc ils vont créer. A tout le moins, il engagera sa responsabilité contractuelle vis-à-vis du maître d’ouvrage, ce qui supposera certes la démonstration d’une faute...
L’utilisation du dispositif « Essoc 1 et 2 » suppose-t-elle systématiquement l’aval de l’assureur pour utilisation de techniques non courantes ?
Depuis le début, on le répète, on peut faire de l’Essoc avec des techniques courantes, des matériaux traditionnels. La notion d’innovation ne signifie pas nécessairement « technique non courante ». On peut démontrer qu’on atteindra un résultat similaire à celui prévu par les normes via une solution alternative usant de techniques habituelles qui ne nécessitent donc pas l’accord préalable de l’assureur.
Lorsqu’ils travaillent sur un projet expérimental, nos assurés nous contactent en général, ils ont le bon réflexe. Les précautions à prendre sont de regarder si des techniques non courantes seront mises en œuvre, même si nos polices MAF ne comportent aucune exclusion en la matière. Il s’agit surtout de vérifier si les entreprises de travaux sont bien assurées pour la mise en œuvre de la solution, et disposent d’une attestation nominative pour ce chantier. Car il ne faut pas se retrouver le jour du sinistre avec des co-constructeurs non ou mal assurés…