Débat sur la réforme du code des marchés publics : Préserver une certaine liberté contractuelle

La réforme des règles de l'achat public n'est pas une fin en soi. Il faut aussi faire confiance aux parties et veiller à ce qu'elles disposent de la liberté contractuelle nécessaire pour assumer leurs engagements et leurs obligations.

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Comme le soulignait avec justesse l'auteur d'un article sur la réforme du Code des marchés publics (1), il ne faut pas tout mélanger. La principale réforme attendue est celle du Code ; elle ne doit pas être celle de ses instruments périphériques, entendus comme étant constitués par les nombreux cahiers des charges types - comme le trop fameux CCAG « travaux », qui constitue à lui seul une intarissable source de débats et de contentieux - et, le cas échéant, par les modèles de contrats.

Comme cela a déjà été évoqué (2), la sécurité juridique du contrat est elle-même assise sur la sécurité de la procédure. Le lien entre les deux est donc inévitable. On ne doit pas perdre de vue cette vérité première. Toute nouvelle réforme pourrait également amener, de manière plus ou moins directe, à une certaine évolution des méthodes pour la préparation et la rédaction des contrats, consacrant ainsi le plein épanouissement de la liberté contractuelle.

La préservation de la liberté contractuelle des parties

En ce qui concerne le contrat lui-même, il faut faire confiance aux parties. Certes, notre tradition juridique a toujours favorisé l'intervention du législateur afin qu'il pose certaines limites d'ordre public à l'encontre desquelles les parties ne peuvent pas aller. Mais, en dehors de ces règles et principes impératifs, la liberté contractuelle des parties est censée être totale. Le Conseil d'Etat a d'ailleurs récemment rappelé le principe de la liberté contractuelle pour les collectivités publiques (3), principe auquel seul le législateur peut déroger.

De même, notre tradition juridique a souvent considéré qu'il suffisait de renvoyer à des principes et règles d'ordre général, sans avoir besoin de mettre autre chose dans le contrat que les obligations les plus essentielles et les grands principes. Cet « héritage » fait donc un usage très a minima de la liberté contractuelle des parties qui n'est pas toujours pleinement exploitée, loin s'en faut.

Pourtant, le juge est en quelque sorte « captif » des stipulations contractuelles : dès lors qu'elles sont conformes à l'ordre public, il est obligé de les appliquer. Il ne fait autrement que lorsque ces stipulations sont imprécises, auquel cas il doit donner une interprétation ou, en l'absence de toute stipulation, ce qui l'oblige à déterminer la règle applicable, qui n'est peut-être pas la règle que les parties auraient choisie si elles avaient prévu une clause relative au différend qui est survenu. Autrement dit, le rôle créateur du juge ne trouve à s'appliquer que lorsque les parties ont délaissé leur propre pouvoir de création des règles devant régir leurs rapports. Cette réalité laisse une amplitude assez considérable aux parties dans la rédaction et le contenu de leur contrat. Même s'il est vrai que la responsabilité est le corollaire de la liberté.

D'autres éléments pourraient encore venir renforcer la technique contractuelle propre aux contrats publics (mais des principes similaires peuvent être applicables aux contrats privés conclus par des collectivités publiques) :

- La jurisprudence civile estime que le rédacteur du contrat doit fournir un document qui produise ses pleins effets et soit efficace. A défaut de quoi, il engage sa responsabilité.

- Le Conseil d'Etat admet, par ailleurs, que la mauvaise rédaction d'un contrat est de nature à constituer un motif de résiliation, et qu'elle constitue peut-être, dans certaines hypothèses, une cause de nullité (Conseil d'Etat, 10 juillet 1996, « Coisne »).

- S'agissant du contrôle des juridictions financières, et notamment des chambres régionales des comptes, il leur arrive d'attirer l'attention des collectivités publiques sur les lacunes ou les imprécisions du contrat, ce qui entraîne parfois d'importantes conséquences sur le contrat lui-même et son évolution.

- Enfin, il ne faut pas oublier que la jurisprudence administrative foisonne de cas dans lesquels le juge a fixé la règle applicable à défaut de stipulation contractuelle, ou a appliqué des principes généraux auxquels les parties pouvaient déroger.

Ces phénomènes conduisent à rechercher le contrat le plus adapté et à renforcer le soin qui doit être apporté à sa préparation et à sa rédaction.

Dès lors, le renvoi systématique à des CCAG ou à des cahiers des charges types - documents qui, selon nous, n'ont plus de raison de ne pas être intégrés au contrat - doit être limité à son strict minimum. Et, même lorsque l'on a recours à ces instruments, les clauses adoptées doivent faire l'objet d'une évaluation par rapport à l'objet du contrat et au regard de la volonté des parties.

Le rôle des CCAG n'est pas, en effet, de constituer dans toutes les hypothèses un corpus contractuel immuable, élaboré par l'administration centrale. Les pouvoirs adjudicateurs ne doivent les utiliser que pour des marchés « simples », en laissant aux parties le soin d'aménager comme ils l'entendent leurs rapports contractuels. Par exemple, les CCAG ne s'imposent obligatoirement qu'aux services de l'Etat ; et même cette obligation pourrait faire l'objet d'un débat. Par ailleurs, on constate fréquemment, en pratique, l'inadaptation de ces documents ou leur complexité d'interprétation.

Enfin, les parties restent libres d'insérer dans leurs contrats des clauses exorbitantes du droit commun. Alors qu'il n'est en principe pas possible de choisir l'ordre de juridiction compétent puisqu'il s'agit d'une question d'ordre public, la faculté d'insérer de telles clauses permet indirectement de choisir son juge, la présence de cette clause conférant au contrat un caractère administratif (TC, 5 juillet 1999, « commune de Sauve c./Sté Gestetner »).

Redéfinir les conditions de conclusion des contrats

Les conditions de conclusion d'un marché public peuvent, à l'heure actuelle, faire obstacle à un processus véritable d'aménagement du contrat avant sa signature définitive. On peut se demander, par conséquent, s'il ne convient pas d'aménager, après le choix de l'attributaire du contrat, une phase de négociation plus effective qu'elle ne l'est à présent, soit en modifiant les formalités entourant la signature de l'acte d'engagement, soit en permettant que cette signature soit faite sous réserve d'éléments à négocier.

En droit, cette phase est connue sous l'appellation de « mise au point » explicitement prévue par les articles 95ter et 298 (appels d'offres ouverts), et 97quater et 300bis (appels d'offres restreints) du Code des marchés publics. Il résulte d'ailleurs de la rédaction des textes que la collectivité publique peut renoncer au marché même après cette phase de mise au point si les discussions n'aboutissent pas à une convention qu'elle estime satisfaisante (4).

Cette phase de mise au point du marché ne peut évidemment aboutir à la dénaturation de la procédure d'appel d'offres. Elle ne peut donc pas porter sur les éléments essentiels qui ont permis l'établissement des offres concurrentes, et notamment l'objet du contrat, ses caractéristiques essentielles... Mais un grand nombre de clauses financières, techniques ou de garanties, peuvent faire l'objet d'aménagements plus précis, dans le plein respect de la procédure de mise en concurrence et dans l'intérêt des deux parties, qui ne doivent pas se trouver liées par un contrat inadapté (5).

Il ne faut pas, en outre, confondre cette phase de mise au point du contrat, qui ne peut intervenir qu'après le choix de l'attributaire, avec les possibilités plus réduites de discussion en cours de procédure. Dans cette hypothèse, la collectivité publique a seulement la possibilité de demander aux candidats de présenter de nouvelles offres lorsque la commission d'appel d'offres est dans l'impossibilité de départager les candidats (6).

Par conséquent, le législateur et le pouvoir réglementaire ne peuvent remplacer la volonté des parties, se substituer à elles, sauf à pervertir l'essence même du dispositif contractuel, en dehors de la garantie des principes touchant à l'ordre public.

De ce point de vue, les conventions de délégation de service public font, la plupart du temps, l'objet d'une négociation importante, rendue, il est vrai, nécessaire par les enjeux du contrat, par la durée de ce dernier, et par les investissements réalisés par les concessionnaires. La négociation est d'ailleurs explicitement prévue par l' du 29 janvier 1993 et par l'article L.1411-1 du Code général des collectivités territoriales. Mais ces enjeux ne sont pas absents des marchés publics, ce qui devrait conduire les parties au contrat à réaliser un véritable travail sur l'instrument contractuel. Ce travail n'existe que pour certains contrats particuliers ou lorsque l'on met en oeuvre certains montages contractuels.

La possibilité d'une négociation se justifie d'autant plus que les entreprises n'ont aucune possibilité de retrait ou de modification de leurs soumissions(7). C'est le principe de l'intangibilité de l'offre qui ne connaît que peu d'exceptions. Le contrat, s'il est signé sur la seule base de l'offre déposée, est privé d'une adaptation parfois nécessaire.

Pourtant, nombre de collectivités et d'opérateurs se privent ainsi des possibilités pouvant conduire à un meilleur ajustement du contrat, qui n'est en sorte que le vecteur de l'intérêt général : la réalisation de prestations dans cet intérêt, rémunérées par des fonds publics, sous le contrôle des instances et juridictions compétentes.

Enfin, la liberté des parties porte également sur le nombre, la définition et le contenu des pièces constitutives du contrat (sauf règle impérative du Code des marchés publics), ce qui laisse une marge de manoeuvre très importante aux contractants.

Il ne faut pas oublier que le droit français des contrats publics est parfois considéré comme un modèle, tant en ce qui concerne les règles relatives aux marchés publics qu'en ce qui concerne la tradition d'utilisation de la concession. Les contrats internationaux, très nombreux, qui sont signés dans ces domaines font une utilisation entière de la liberté contractuelle. Il serait dommage que le droit français cesse d'être une source d'inspiration de ce qui se fait dans le monde.

Il est inutile, enfin, de rappeler qu'en redonnant toute sa place au contrat, on peut contribuer également à une meilleure responsabilisation des acteurs de la commande publique et des entreprises, qui adhèrent d'autant mieux à leurs obligations contractuelles qu'elles ont été consenties dans un cadre particulièrement adapté. Les enjeux de l'évolution des contrats publics et du droit qui leur est applicable ne sont donc pas insignifiants, et ce n'est pas un des moindres défis de leur avenir.

Débat sur la réforme du code des marchés publics

La réforme du Code des marchés publics est redevenue d'actualité : le ministre de l'Economie et des Finances promet des décrets pour fin 2000, début 2001. « Le Moniteur » ouvre ses colonnes, cet été, aux réflexions de deux praticiens, d'un avocat, et de deux hommes politiques de sensibilité différente.

Cette semaine GWELTAZ GUIAVARC'H docteur en droit et avocat au barreau de Paris, revient sur cette réforme en précisant comment pourrait être renforcée la liberté contractuelle des contractants.

(1) Pierre Boudrand, « Pour une véritable réforme du droit des contrats », « Le Moniteur » du 31 mars 2000, p. 82.

(2) Cf. G. Guiavarc'h, « Mieux prendre en compte l'impératif de sécurité juridique », « Le Moniteur » du 28 juillet 2000.

(3) Conseil d'Etat, 20 janvier 1989, « Société Berry-Loire » ; 28 janvier 1998, « Société Borg Warner » ; 27 avril 1998, « M. Cornette de Saint-Cyr ».

(4) Sur la mise au point du marché : CE, 27 juillet 1984, « Société Biro » ; 10 janvier 1986 « Société des travaux du Midi ».

(5) Sur ces questions, cf. Cyrille Emery, « Le régime de la modification des marchés publics avant leur notification », « JCP » 1999.I.119, p. 513.

(6) CE, 14 janvier 1998, « préfet du Val-d'Oise c./Office public départemental d'HLM du Val-d'Oise » ; 8 avril 1998, « préfet de l'Aube ».

(7) Nadia Canonne, « Bonnes et mauvaises causes de désengagement », « Le Moniteur » du 19 mars 1999, p. 58.

www.lemoniteurbtp.com

Textes de référence : Retrouvez, sur le site web du « Moniteur », l'intégralité des arrêts suivants du Conseil d'Etat : 12 mars 1999, « Etablissement public de la Bibliothèque de France, Société ODM », et 14 janvier 1998, « préfet du Val-d'Oise c./Office public départemental d'HLM du Val-d'Oise ».

La réforme devrait amener à une certaine évolution des méthodes pour la préparation et la rédaction des contrats, consacrant ainsi le plein épanouissement de la liberté contractuelle.

Le rôle des CCAG n'est pas de constituer dans toutes les hypothèses un corpus contractuel immuable, élaboré par l'administration centrale. Ils sont parfois inadaptés ou complexes.

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