De la nécessité d’une réflexion collective : sur un droit de propriété souple

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De façon probablement irréversible, l'industrie immobilière installe désormais l'innovation à tous les étages : technique, organisationnelle, financière, transformant le centre de coûts qu'est un bâtiment en centre de profit, liant occupation et mobilité, assurant la réversibilité des usages et renforçant leur mixité. Nos dispositifs juridiques immobiliers n'échappent pas à ces évolutions même s'ils peinent parfois à accompagner les ruptures de pensée qui sont déjà à l'œuvre : la démarche numérique exige le comportement collaboratif des acteurs, la recherche de performance privilégie l'objectif de résultat sur la mise en œuvre traditionnelle des moyens, le permis de faire ouvre la voie à l'expérimentation, des contrats innovants émergent, du contrat de performance énergétique à la convention d'innovation sociétale …Et pendant ce temps, nous peinons tous, gouvernants, opérateurs, juristes, à interroger le droit de propriété dont le modèle reste, immuable, celui du code de Justinien, précisé par le code Napoléon. Ce droit est constitué de ces trois attributs bien connus : le droit d'usage (usus), celui d'en tirer les fruits (fructus), celui d'en disposer (abusus). Est-ce donc une crainte révérencielle qui nous empêche de toucher à cette colonne du temple ? Pensons-nous confusément que la société est définitivement rétive à tout ajustement de ce droit ?

Et pourtant, chacun de nous voit bien combien la propriété intemporelle et entière du logement peut contrarier cette société qui se dessine, faite de séquences et ruptures. Ce que Jean Viard résume ainsi : « la discontinuité est devenue la règle. Car plus la vie est longue, plus on la vit par séquences courtes : on peut y retenter à tout moment sa chance - en amour, en logement, en emploi, en convictions - L'ancienne stabilité - CDI, mariage, propriété - se transforme en aventure, étape, discontinuité » (une société si vivante, p. 25, l'aube, 2018).

Sans prétendre de près ou de loin revêtir l'habit révolutionnaire, je veux tenter ici l'exercice qui consiste à poser cette question : la propriété immobilière, dans la plénitude que lui confèrent son universalité et sa vocation à la perpétuité, est-elle adaptée au temps qui vient ? Ce qui conduit à se demander très simplement si notre société a l'envie et les moyens de figer le droit de propriété dans son appareil juridique ancestral, avant d'envisager les évolutions qui pourraient advenir.

La propriété du logement est une bonne réponse à de vraies demandes : d'abord celle d'être chez soi et d'y demeurer sans entrave externe, traduisant le besoin de sécurité de l'occupation des lieux ; ensuite celle de constituer un patrimoine, lui aussi facteur de sécurité, par un espoir souvent avéré de plus-value et une opportunité de revenu locatif ; et puis il y a la volonté de transmettre à son décès le logement à ses enfants, fruit d'une passion française pour la réserve héréditaire.

Si cette ambition de transmettre venait à perdurer chez les jeunes générations, c'est-à-dire si l'affirmation du caractère plein et perpétuel de la propriété n'était pas remise en cause par la société française, toute hypothèse d'évolution majeure du droit de propriété, à l'image des dispositifs déployés dans d'autres sociétés, serait sans suite. Et on ne peut exclure à cet égard le poids des habitudes et traditions, comme la force d'une volonté de transmission, même si sa fonction économique et sociale d'hier a disparu chaque fois que l'héritier est déjà retraité.

Réserve faite de cette interrogation majeure, on peut réfléchir à une modularité possible du droit de propriété, dès lors qu'on le centre sur les deux fonctions sécuritaire et patrimoniale ci-dessus énoncées. L'objectif poursuivi est double : il s'agit d'une part de faciliter l'accès à la propriété en allégeant son coût, d'autre part de favoriser la fin de vie du propriétaire en lui permettant de valoriser sa qualité de propriétaire ; dans l'un et l'autre cas, on estime généralement que 30 % de la valeur du logement peuvent être concernés à ces deux stades. Pour acquérir moins cher, plusieurs curseurs peuvent être actionnés : donner un terme au droit, en limiter l'objet, en réduire les attributs. Le terme peut consister en une durée fixe, par exemple 20 ans, 50 ans, ou la durée de vie du ou des propriétaires ; l'objet limité peut porter sur le logement démembré (son usufruit) ou le bâti sans le foncier ; l'attribut réduit peut être une renonciation au droit de disposer. En somme, dans une société française où le désir de propriété est aussi fort, sa généralisation peut rendre nécessaire d'encadrer ce droit pour en réduire le prix. D'autres sociétés ont expérimenté cela, par exemple la société britannique où il est banal d'être propriétaire de la construction et pas du sol, comme de détenir une propriété à temps.

« Chacun de nous voit bien combien la propriété intemporelle et entière du logement peut contrarier cette société qui se dessine, faite de séquences et ruptures. »

Pour valoriser en fin de vie la propriété du logement, ce qui contrarie la transmission héréditaire du logement, au moins dans son entier, plusieurs techniques éprouvées existent : la vente en viager du logement, le crédit hypothécaire assis sur la valeur du logement, l'hypothèque dite rechargeable, le prêt remboursable in fine… Tous ces dispositifs n'ont qu'une fonction, qui pourrait s'imposer dans l'avenir : permettre au propriétaire retraité ou sans revenu de tirer parti de la valeur de son bien immobilier pour dégager des revenus supplémentaires de subsistance, sans perdre l'usage du logement ou la faculté de le louer.

On peut raisonnablement penser que le vieillissement accéléré de la population, la contraction du système de retraite par répartition et corrélativement, le besoin accru de rénover le logement (adaptation au vieillissement, accessibilité, performance énergétique) rendra inévitable la mise en œuvre de tels leviers de nature à solvabiliser le propriétaire durant sa fin de vie. Une réflexion collective mérite de s'engager à un moment où de nouvelles allocations d'actifs financiers sont si recherchées par de nombreux investisseurs prêts à reconsidérer les mérites de l'investissement immobilier. Ne tardons pas car la volonté de transformations de la société par les jeunes générations est déjà à l'œuvre, l'usage des logements prenant vite le pas sur leur détention, et la rigueur de la courbe démographique obligent à agir.

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