Un bâtiment « ultramoderne », une « vue exceptionnelle sur le Paris historique » et un emplacement « au confluent de deux cultures », près du Quartier latin et de la mosquée de Paris… C'est en ces mots que, le 30 novembre 1987, Antenne 2 relate l'inauguration de l'Institut du monde arabe (IMA) par François Mitterrand. La paternité du projet ne revient pourtant pas à ce président de la République, mais à son prédécesseur. A la fin des années 1970, après les deux chocs pétroliers, les relations de la France avec les pays arabes étaient tendues. Valéry Giscard d'Estaing avait alors validé la création d'une fondation privée destinée au dialogue culturel, financée par la France et les Etats arabes.

« Plus moderne ». Un premier projet, d'allure néo-arabisante et situé quai de Grenelle, dans le XVe arrondissement, avait été conçu par l'architecte Henry Bernard. Mais l'élection de François Mitterrand bouleverse la donne. La Ville de Paris et les riverains étant hostiles à cette implantation, l'équipe présidentielle décide de changer de site et en profite pour remercier Henry Bernard. « On rêvait à quelque chose de plus moderne », se souvient Jack Lang qui, depuis janvier 2013, préside l'institut qu'il a contribué à faire édifier. Alors ministre de la Culture, il avait confié ses hésitations sur le projet initial à François Mitterrand, et ce dernier lui avait répondu : « Si vous voulez changer d'architecte, il faut changer d'emplacement. »
Une parcelle de terrain inutilisée du campus de Jussieu, dans le Ve, est finalement retenue. Le projet de Jean Nouvel, Pierre Soria, Gilbert Lézènès et Architecture Studio est choisi à l'issue d'un concours mené tambour battant. « Nous partagions alors les mêmes bureaux à Paris avec Jean Nouvel et nous avions décidé de travailler ensemble sur les grosses opérations », explique Rodo Tisnado, d'Architecture Studio. Le futur lauréat du Pritzker 2008, alors âgé de 36 ans, décrochait là son premier grand projet.

Une parcelle de terrain inutilisée du campus de Jussieu est retenue pour l'édifice.
Le programme comprend un musée, des galeries d'expositions temporaires, une bibliothèque, des bureaux et un auditorium. Entre les premières maquettes présentées en novembre 1981 et l'inauguration, six années s'écoulent. La création de l'institut est l'occasion de passes d'armes entre la Mairie de Paris et l'Etat. « La Ville a jugé le bâtiment trop haut, et nous a fait diminuer l'ensemble de trois mètres », se souvient Rodo Tisnado.
Puis, en 1983, alors que le chantier a débuté, un rapport commandé par le ministère de la Culture pointe un risque de dérapage financier de 300 à 500 millions de francs, en raison notamment de la complexité des façades, alors estimées à trois fois leur prix habituel. L'Elysée se montre particulièrement pointilleux sur le respect de l'enveloppe. L'IMA fait partie des premiers grands travaux, la présidence ne veut pas créer de précédent. Le budget sera donc tenu.

La façade sud, avec ses moucharabiehs qui filtrent la lumière, constitue l'emblème du bâtiment.
Epousant la courbe de la Seine, le mur-rideau de verre et d'acier de la façade nord fait l'interface avec le Paris historique. Dans sa partie supérieure, des reproductions du paysage parisien ont été émaillées sur la surface extérieure du verre. Quand à la façade sud, avec ses 240 moucharabiehs qui filtrent la lu mière du jour, elle constitue l'emblème du bâtiment.
« Nous avons transposé la technologie du diaphragme des boîtiers Nikon sur des fenêtres de 3 m x 3 m », se remémore Rodo Tisnado, lui-même passionné de photo graphie. « Il s'agissait de proposer un élément très technologique afin d'impressionner les pays arabes », poursuit l'architecte. Après toutes ces péripéties, le bâtiment se voit finalement couronné de l'Equerre d'argent 1987.
