De grands espaces échappent à la casse

Economie circulaire -

A Paris, la reconversion d'anciens garages a été pensée comme une vaste opération de réutilisation, de réemploi et de recyclage. Une démarche appelée à se renouveler.

 

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1 - Située au coeur du XIe arrondissement de Paris, la parcelle de 18 400 m2 se compose de deux bâtiments, un parking silo (à gauche) et un atelier de réparation (à droite), séparés par le passage Saint-Pierre Amelot.

Construire la ville sur la ville… et avec la ville. C'est le pari que se sont lancé Immobilière 3F (I3F) et l'équipe de maîtrise d'œuvre (agence Gaëtan Le Penhuel et SAM Architecture, architectes ; GEC Ingénierie, Albert & Co, bureaux d'études) pour la reconversion des anciens garages Renault du passage Saint-Pierre Amelot, en plein cœur du XIe arrondissement de Paris. Lauréats de la consultation Réinventer Paris 2, ils ont opté pour « l'utilisation d'une partie des constructions plutôt que leur démolition et leur reconstruction, et pour le réemploi des matériaux existants », précise Pierre Paulot, directeur de la maîtrise d'ouvrage d'I3F en Ile-de-France.

« Quand nous avons vu le terrain, nous avons tout de suite été charmés par la grande halle de l'ancien garage avec sa verrière à structure métallique. On ne pouvait pas la détruire !, s'exclame l'architecte Gaëtan Le Penhuel. Et puis il y avait le parking silo dont la structure poteaux-poutres béton des années 1970 était tout à fait adaptée à la reconversion. Là aussi, nous nous sommes dit que nous allions le garder. » Cette logique de recyclage, de réutilisation et de réemploi s'est d'abord matérialisée par la création d'un tiers-lieu, le temps de la phase d'études. « I3F ne souhaitait pas laisser les bâtiments vacants pendant cette période, explique Pierre Paulot. Pour maintenir une activité en place, nous avons donc fait appel à un opérateur de l'urbanisme transitoire. Ainsi s'est installé, côté silo, un fab lab de start-up autour de la mobilité géré par la Conciergerie solidaire. Et, sous la halle, grâce à un partenariat avec Plateau urbain, spécialiste de l'urbanisme temporaire, nous avons organisé des événements comme des défilés ou des expositions, accueilli des tournages… »

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Réduire les nuisances du chantier. Deuxième « étage » du projet, la logique de réemploi a ensuite été étendue à la réalisation de ce programme de 22 M€ qui englobe 134 logements, plus de 3 450 m² d'activités et de commerces, et une ferme urbaine en toiture. Une démarche qui a concerné jusqu'aux matériaux constituant le site. Et cela pour des raisons à la fois logistiques, écologiques et économiques. « Reconstruire la ville sur la ville, dans son gabarit et avec ses propres éléments, permet d'éviter les flux de matériaux entrants et sortants », souligne Sébastien Duprat, directeur général de Cycle Up, start-up spécialisée dans le réemploi qui accompagne les bureaux de contrôle techniques pour obtenir la validation des process. La jeune pousse a notamment été chargée ici de l'aspect logistique du projet.

L'entrée très étroite et très basse de plafond du passage Amelot rendait difficile le déplacement de camions-toupies. La réutilisation des bétons du site s'est donc imposée, permettant par la même occasion de réduire au maximum les nuisances du chantier. « L'autre aspect, c'est évidemment de contribuer à la promesse bas carbone, poursuit Sébastien Duprat. Réemployer les matériaux, c'est économiser sur leur fabrication. » Cycle Up a réalisé un audit sur les matériaux à récupérer, puis a accompagné l'équipe de maîtrise d'œuvre dans la mise en pratique de ce volet réemploi.

Un travail important a notamment été réalisé sur les bétons. « Généralement, ce que l'on fait de mieux avec ce matériau, c'est du recyclage : il est reconcassé pour être utilisé dans des sous-couches routières, résume Sébastien Duprat. Sur ce projet, nous avons décidé de réemployer in situ les planchers de 20 cm d'épaisseur. Ils ont été découpés pour être transformés en dallage de sol ou en parpaings destinés aux maçonneries de séparation. »

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Avantage économique. En parallèle, des gabions serviront à combler les différences de niveau ou à créer les futures cours anglaises qui borderont les façades. « Destinées à apporter des espaces de fraîcheur dans la programmation, les cours seront constituées à partir des gravats. Cette masse thermique sera disposée au-dessus des puits canadiens », ajoute Gaëtan Le Penhuel. Pour Sébastien Duprat, « c'est autant de matière que l'on n'a pas achetée et que l'on n'a pas à faire venir ».

Il en ira de même du verre des vitrages déposés pendant la déconstruction, qui constitueront le terrazzo revêtant certains sols. Selon les données prévisionnelles d'I3F, le réemploi in situ (hors éléments structurels conservés sur place, à savoir la charpente et certains planchers) devrait permettre d'éviter la production de 807 t de déchets et l'émission de 95 t équivalent CO2 (tCO2 eq). Pour le recyclage des gravats, ces chiffres s'élèvent à 10 857 t de déchets et 2 605 tCO2 eq.

Enfin, l'avantage économique est indéniable. « Toute cette logique de réemploi est favorable aux entreprises de travaux : elles dépensent moins en produits et plus en technique. Ce pro-cess les valorise tout en leur permettant de recréer leurs marges. Mais cela suppose d'être créatif dans la gestion des stockages intermédiaires. C'est là que le savoir-faire est indispensable dans les entreprises », prévient Sébastien Duprat.

Généralisation aux chantiers intra-muros. Une fois ce projet achevé - les permis sont en cours de purge et les travaux devraient commencer en début d'année prochaine -, la question demeure : est-il reproductible ? Pour ses promoteurs, la réponse est « oui » sans hésiter. Dans sa typologie d'abord. « Les garages créent des volumes intéressants qu'il est possible de transformer », estime Pierre Paulot. Dans son concept ensuite. « Tous les chantiers intra-muros se prêtent au réemploi, considère le fondateur de Cycle Up. Mais on n'y cherche pas les mêmes choses. Dans les centres-villes, on trouve des bâtiments “qualitatifs” avec de beaux matériaux ou encore des immeubles tertiaires - qui sont réaménagés tous les sept ans en moyenne - dont les équipements sont en bon état. » Des avis partagés par Gaëtan Le Penhuel : « La démolition-reconstruction reste très chère. Le premier réflexe intelligent, c'est donc de ne pas détruire. Or, n'importe quel bâtiment et ses matériaux ont en eux la capacité d'être réemployés. Tous les systèmes poteaux-poutres permettent par exemple de dessiner un nouveau plan. J'ai déjà réalisé la reconversion d'un collège des années 1960 à Créteil (Val-de-Marne) : c'est du gâteau de se glisser dans ces structures. » Selon l'Institut Paris Région, les bâtiments et réseaux franciliens représentent un stock de matériaux de plus de 2 milliards de tonnes, susceptible d'être exploité pour de nouvelles constructions et futurs aménagements.

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