En franchissant le seuil du musée des Beaux-Arts et d'Archéologie de Besançon (Doubs), une construction spectaculaire se découvre au cœur d'un bâtiment du XIXe siècle. Une sorte de tour de Babel en béton brut, élevée dans le vide de l'ancienne cour intérieure, décollée des murs existants et desservie par une rampe qui s'enroule jusqu'à son sommet, en distribuant trois plateaux d'exposition. Le contraste avec l'édifice historique, le parfait état de son béton clair, veiné par la trace des coffrages, ainsi que le retour en grâce, dans l'architecture contemporaine, du style brutaliste des années 1950-1970, laissent croire que cet ouvrage est le fruit de la toute dernière rénovation, à peine achevée, de ce musée.
En réalité, près de cinquante ans ont passé depuis la réalisation de cette extension verticale par Louis Miquel, un élève de Le Corbusier, alors occupé à Chandigarh (Inde) et qui avait décliné l'offre. Au fil des ans, des cloisonnements ont surgi un peu partout, des ouvertures ont été obturées, des circulations interrompues, créant ainsi des culs-de-sac, notamment dans la tour dont le beau béton brut fut aussi attaqué à la perceuse pour l'accrochage des œuvres. Le bâtiment du XIXe siècle et l'extension du XXe étaient déconnectés et l'obscurité régnait en maître. « Quand je suis arrivé sur le site, j'ai tout de suite perçu qu'en établissant des nouvelles connexions entre les deux parties de l'édifice, l'ouvrage de Louis Miquel pourrait devenir un objet exposé au cœur du musée, un bijou dans un écrin », se remémore Adelfo Scaranello, architecte de la renaissance des lieux. D'autant que la collection présentée ici n'est pas des moindres : des œuvres du Titien, du Tintoret, de Cranach, Zurbaran, Goya, Courbet… Leur découverte sur fond de béton brut est saisissante.
Strates historiques. L'architecte s'est emparé d'outils immatériels - la lumière naturelle et la transparence - afin que l'ancien bâtiment en pierre, rythmé par ses arcades, et l'objet brutaliste et futuriste se mettent en relation, tout en répondant au cahier des charges (rénovation des locaux, mise aux normes PMR et de sécurité incendie, augmentation de la surface d'exposition, etc. ). Une nouvelle verrière en surplomb de la tour en béton remplace la couverture en polycarbonate. Longeant les murs de l'ancienne cour intérieure, elle laisse descendre la lumière naturelle jusqu'au rez-de-chaussée, par la faille entourant l'ouvrage en béton. Elle en éclaire au passage les plateaux ouverts, se réfléchissant sur les parois périphériques à la blancheur accentuée au blanc de Meudon.
Adelfo Scaranello revendique sa filiation avec l'architecte Carlo Scarpa (1906-1978), qui révolutionna la manière de réhabiliter les bâtiments anciens en s'attachant à en rendre lisibles les strates historiques. Ainsi, jusqu'à présent condamnées, les hautes arcades du rez-de-chaussée ont été rouvertes, établissant par de nouvelles transparences un dialogue réinventé entre deux univers que tout oppose, celui du XIXe siècle et celui de la modernité corbuséenne. Dans la partie historique du quadrilatère, des fenêtres ont également été rouvertes, des lanterneaux créés, et la structure aux arcs en anse de panier remise en valeur. Les salles ont été reconfigurées pour y créer différentes atmosphères. Les plus petites d'entre elles, où les tableaux prolifèrent sur les murs, rappellent les cabinets d'amateurs d'art en vogue au XVIIe siècle, tandis que les grandes salles évoquent les musées du XIXe siècle où l'on déambulait comme dans le salon bourgeois d'un collectionneur. Le passage entre les espaces en enfilade s'effectue via des percements habillés de bois, ménagés dans l'épaisseur des murs séparatifs, à l'intérieur desquels cheminent les réseaux. En résultent des volumes libres aux surfaces lisses, dégagées de la présence de la technique.
Comme le souligne le directeur, Nicolas Surlapierre, « parmi les grands musées des Beaux-Arts en région, celui-ci est atypique. Il offre un parcours chronologique et labyrinthique grâce aux connexions spatiales. Celles-ci établissent des relations soudaines de proximité visuelle entre des œuvres d'époques différentes, par exemple entre des peintures du XVIe siècle et des pièces archéologiques. »









