Au cœur de la nuit noire, alors que les silhouettes orange fluorescentes longent la voie ferrée, le klaxon du train retentit. Annonce de sécurité pour prévenir que l’usine roulante se met en mouvement.
Nous sommes sur une opération inédite menée par SNCF Réseau. Le gestionnaire d’infrastructure en charge du maintien et de la rénovation d’un linéaire de 28 000 kilomètres de voies en France. « Dans les Hauts-de-France, cela représente 2 862 kilomètres de ligne accueillant 270 000 voyageurs à bord de 1 250 trains quotidiens et 250 trains de fret », détaille Marie-Céline Masson, directrice territoriale SNCF Réseau, bien connue dans la région pour avoir été directrice territorial Nord-Pas-de-Calais de Voies navigables de France (VNF) jusqu’en octobre dernier.
Train "made in France"
Sur cette ligne Paris-Lille vieillissante, précisément entre Albert et Daours, l’heure était venue de remplacer les armements caténaires vieux d’une soixantaine d’années, au risque de ruptures brutales. « C’est un chantier exceptionnel ! », s’enorgueillit Pierre Daburon, directeur industriel des projets de régénération chez SNCF Réseau. Ce train-usine, unique au monde et "made in France", est le fruit d’un partenariat inédit entre les acteurs de la filière industrielle ferroviaire française. Il réunit ainsi Geismar, constructeur d’engins, ainsi que TSO et Colas Rail, entreprises de travaux pour l’exploitation.
Mis en service en 2019, il embarque déjà des améliorations qui dopent sa productivité, comme par exemple, des optimisations d’organisation sur le temps d’exécution de chaque tâche. En France, seul un train analogue opère sur le réseau 1 500 volts, un autre est en cours de construction.

"30 armements de caténaire par nuit"
Il affiche aujourd’hui « une cadence de remplacement de 30 armements de caténaire par nuit », indique Pierre Daburon. Soit un rythme six fois plus rapide pour un coût deux fois moins élevé qu’en méthode traditionnelle. Sur ce train aussi appelé "Suite rapide caténaire 25 000 volts", d’une longueur d’environ 200 mètres, quelque 70 personnes travaillent du lundi soir au samedi matin, de 22 heures à 6 heures en continu, de façon à laisser la voie libre pour les trains prévus en journée. Au total, 1 145 armements caténaires sur 50 kilomètres de ligne à 25 000 volts seront remplacés pour les soixante-dix prochaines années. Cette nuit-là, sous la pluie battante de novembre, l’équipe en changera 32. Objectif : maintenir et garantir un haut niveau de sécurité et de performance de la ligne.
Une nuit, un train, quatre étapes
Sur le train-usine, le travail se déploie en quatre ateliers d’une dizaine de minutes chacun. C’est le temps nécessaire pour remplacer un armement. En hauteur, dans des nacelles automotrices, les caténairistes s’affairent en premier lieu à changer les haubans. A chaque déplacement de train, le klaxon résonne dans la nuit pour prévenir de sa marche millimétrée. Vient ensuite le changement des pendules et la connexion de répartition. Apporté par grue depuis la zone de stockage sur un wagon, le nouvel armement est alors déployé et fixé par les opérateurs. Enfin, une phase de réglage "hauteur et désaxement" complète le travail afin de rendre opérationnelle la voie aux conditions habituelles pour les trains du petit matin.

Un chantier qui n’est pas sans rappeler celui qui se déroule à quelques kilomètres, entre Amiens et Rouen. SNCF Réseau y renouvelle la voie ferrée, également grâce à une suite rapide.