Depuis le début de la crise des matériaux, amplifiée par la guerre en Ukraine, les pratiques des industriels et négociants sont pointées du doigt par les entreprises interrogées. Mais souvent sous couvert d’anonymat. « Un négociant m’a demandé de m’engager sur un volume pour être livré, sans que je ne connaisse le prix, je ne suis pas certain que ce soit légal… », dénonçait un interlocuteur. Contraints par les contrats déjà signés et redoutant les pénalités de retard, ce dernier s’est positionné.
Quelques-uns osent toutefois parler plus librement. A l’exemple de Jean-Pierre Micholet, patron de la PME Micholet Métallerie dans la Loire. « La seule guerre en Ukraine ne peut expliquer ces hausses sur les prix de l’acier. Les négoces nous prennent littéralement en otage en agitant le risque de pénurie, en faisant la loi. Dans un tel contexte et après avoir été aidé comme nous l’avons tous été pendant la Covid, c’est la solidarité qui devrait s’imposer. »
Les négociants et fournisseurs pointés du doigt
Un appel à la solidarité inter-filières partagé par Emmanuelle Cosse, présidente de l’Union sociale pour l’habitat (USH). Dans un courrier adressé à Jean Castex, l’ancienne ministre du Logement rappelle aux services du Premier ministre la mission des bailleurs sociaux : « loger des ménages modestes et produire des logements de qualité à un coût maitrisé ». Impossible dans ces conditions d’absorber toutes les hausses de prix, comme peuvent le demander les entreprises du bâtiment. Emmanuelle Cosse attire ainsi l’attention de Jean Castex sur « l’importance d’un partage équilibré de l’effort nécessaire à la stabilisation de la filière de la construction et du logement » estimant qu’il ne pouvait « reposer entièrement sur le dernier maillon de la chaîne, sans que ne soit également interrogée la situation des fabricants et fournisseurs en amont ». Une référence même pas voilée à la demande du Premier ministre d’appliquer la théorie de l’imprévision, et à la demande pressante des entreprises en matière d’indexation des contrats privés (pour pouvoir les réviser).
Emmanuelle Cosse estime que « depuis le début de cette crise, un certain nombre de fabricants et fournisseurs affichent des croissances, chiffres d’affaires et rentabilités exceptionnels, illustrant une situation déséquilibrée ». Et elle enjoint les services du Premier ministre à vérifier ses allégations par eux-mêmes en prenant connaissance des « communications financières de ces entreprises » qu’elle juge « explicites sur le sujet ». Et d’en conclure : « Il nous semble nécessaire et incontournable d’exiger de leur part un concours au rééquilibrage de la situation actuelle, ainsi que leur mise en responsabilité ».
Rappelons que le médiateur national des entreprises Pierre Pelouzet anime, depuis le milieu d’année 2021, un comité spécifique au BTP. Ce dernier a pour objectif de définir les bonnes pratiques de la filière, tout en incitant l’ensemble des acteurs à jouer « le jeu de la solidarité », précisait le médiateur dans un entretien accordé au Moniteur en février dernier. Les conclusions devraient être rendues à l’été. Elles serviront de socle à de plus amples discussions…