Voilà un an que les pouvoirs publics ont pris les premières mesures pour lutter contre les effets de la pandémie du Covid-19. Il n'est pas inutile de rappeler, dans un contexte toujours très délicat, l'état du droit applicable s'agissant des conséquences de cette crise sur la durée et les délais d'exécution des contrats de commande publique.
Précisons d'emblée que l'état d'urgence sanitaire, qui a été de nouveau prolongé jusqu'au 1er juin prochain, ne permet pas, en tant que tel, de justifier une prolongation de la durée ou des délais d'exécution de ces contrats. Par souci de clarté, seront uniquement traités ici les éléments textuels, jurisprudentiels ou contractuels qui peuvent encore être invoqués par les titulaires de ces contrats du fait des incidences de la pandémie elle-même ou des mesures étatiques prises pour y faire face.
L'ordonnance du 25 mars 2020
Le texte le plus important demeure, à ce jour, l' qui procède à diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des contrats publics. Son champ d'application est très large, puisque l'ordonnance concerne les contrats publics et non pas uniquement ceux de commande publique et qu'elle vise tout à la fois les conséquences de la « propagation de l'épidémie de Covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation » (article 1er ). Sont concernés les contrats qui ont été conclus au plus tard le 23 juillet 2020.
L'ordonnance revêt un caractère impératif dans le but de protéger le titulaire. Elle s'applique à tous les contrats, nonobstant toute stipulation contraire, hormis celles plus favorables à ce dernier. Très clairement, le texte n'a pas pour but de protéger l'acheteur des conséquences de la situation sanitaire. A ce jour, deux dispositifs sont encore susceptibles d'intéresser l'entreprise confrontée à des difficultés d'exécution du contrat.
Délais supplémentaires. Tout d'abord, l'ordonnance (art. 6 1°) prévoit la possibilité pour le titulaire d'obtenir une prolongation du délai d'exécution d'une ou plusieurs de ses obligations pour une durée minimale de quatre mois et onze jours (soit le nombre de jours entre le 12 mars et le 23 juillet 2020). Pour cela, il doit satisfaire à deux conditions : faire état de difficultés d'exécution du contrat du fait de la pandémie et formuler sa demande de prolongation du délai contractuel avant l'expiration de celui-ci. Le titulaire peut donc encore bénéficier de cette faculté de prolongation si le délai contractuel est toujours en cours. Soulignons que rien ne lui interdit de se prévaloir des conséquences de la propagation de l'épidémie ou de mesures prises pour limiter cette propagation qui seraient survenues après le 23 juillet 2020. Quoi qu'il en soit, il doit nécessairement y avoir un lien entre la situation sanitaire et les difficultés d'exécution du contrat, comme le rappelle l'article 1er .
Sanctions écartées. Ensuite, l'ordonnance (art. 6 2°) protège le titulaire contre les conséquences de l'impossibilité pour lui de respecter ses obligations du fait de la situation sanitaire. Dans cette hypothèse, il « ne peut pas être sanctionné, ni se voir appliquer les pénalités contractuelles, ni voir sa responsabilité contractuelle engagée ». Là encore, il lui appartient de faire la démonstration de ce que cette impossibilité résulte de la situation sanitaire. Il peut faire état, précise le texte, de l'absence de moyens suffisants mais aussi de ce que la mobilisation de tels moyens « ferait peser sur lui une charge manifestement excessive ». Ces dispositions demeurent applicables quelle que soit la date de survenance des difficultés.
La force majeure
La notion de force majeure peut permettre au titulaire d'échapper aux conséquences d'un non-respect des délais d'exécution contractuels et, le cas échéant, justifier leur prolongation. Le cas de force majeure est un événement qui doit à la fois être extérieur aux parties, imprévisible et irrésistible. Pour être irrésistible, il doit empêcher l'entreprise de remplir ses obligations. Cette appréciation s'effectuera au cas par cas et en fonction des caractéristiques du contrat ; ni la pandémie, ni l'état d'urgence sanitaire ne peuvent entraîner l'application systématique de la force majeure.
Des situations variables dans le temps. La condition d'imprévisibilité sera cependant plus difficilement remplie pour les contrats conclus après le mois de mars 2020, dans un contexte sanitaire que les parties ne pouvaient plus ignorer, à défaut d'être en mesure d'en apprécier tous les effets à court et moyen terme. Sont donc concernés au premier chef les contrats passés antérieurement. Mais, sous la réserve ci-dessus, la force majeure pourra également intéresser les titulaires des contrats conclus après le 23 juillet 2020 et qui n'entrent donc pas dans le champ d'application de l'ordonnance du 25 mars.
Enfin, pour chaque contrat, il est opportun de vérifier que ses stipulations ne prévoient pas une définition plus restrictive de la notion de force majeure telle qu'interprétée par la jurisprudence. Il est désormais usuel de trouver, dans les contrats conclus après mars 2020, des clauses qui encadrent plus précisément le recours à la force de majeure ou, à tout le moins, qui traitent des conséquences potentielles de la pandémie sur les obligations des parties.
Le contrat et ses avenants
Bien sûr, les parties peuvent aussi convenir, par un avenant, d'une modification de la durée du contrat ou des délais d'exécution de leurs obligations pour tenir compte du contexte. L'ordonnance du 25 mars 2020 précise d'ailleurs que les dispositions précitées de son article 6 s'appliquent sauf « stipulations qui se trouveraient plus favorables au titulaire du contrat ».
Pour ce faire, les parties peuvent se prévaloir des dispositions du Code de la commande publique qui autorisent expressément la modification « rendue nécessaire par des circonstances qu'un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir » (art. R. 2194-5 pour les marchés et R. 3135-5 pour les concessions). Suivant la même logique, le CCAG travaux prévoit d'ailleurs parmi les hypo thèses de prolongation des délais d'exécution, « une rencontre de difficultés imprévues au cours du chantier » (art. 19.2.2). Là encore, la condition relative à l'imprévision sera plus difficilement remplie pour les contrats récemment conclus.
La loi Asap
Enfin, il faut préciser que le législateur a pérennisé dans le Code de la commande publique les dispositifs prévus par l'ordonnance du 25 mars 2020 en matière de prolongation des délais d'exécution et de durée des contrats en cas de circonstances exceptionnelles (, dite Asap). Tout ou partie de ces dispositifs peut être mis en œuvre par un décret « lorsqu'il est fait usage de prérogatives prévues par la loi tendant à reconnaître l'existence de circonstances exceptionnelles ou à mettre en œuvre des mesures temporaires tendant à faire face à de telles circonstances et que ces circonstances affectent les modalités de passation ou les conditions d'exécution d'un marché public » (). La même disposition existe pour les contrats de concession (art. L. 3411-1). Espérons que la situation sanitaire s'améliore dans les prochains mois et que ces dispositifs tombent rapidement dans l'oubli.