Contrats : et si le droit pouvait contribuer à résorber les fuites ?

Le recours aux marchés publics complexes ou à la gestion déléguée axée sur la distribution d'eau serait incitatif.

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Les aspects juridiques sont l'angle mort des défis d'une politique résolue de résorption des fuites d'eau en France. Si les rapports d'études techniques et environnementaux se multiplient, aucune étude n'a vu le jour pour intégrer les questions de droit pourtant essentielles. A cela, deux explications peuvent être avancées : la difficulté, d'une part, à appliquer des raisonnements civilistes et anciens à des phénomènes nouveaux par leur ampleur (comment évaluer des dommages nécessairement diffus ? comment identifier un responsable alors que la carence est collective ?) et, d'autre part, à intégrer des dimensions nouvelles et mouvantes, qu'elles soient écologiques, politiques ou encore économiques.

Sur ce dernier plan en effet, l'aspect financier a longtemps empêché tout progrès. A quoi bon s'ingénier à faire des travaux pour améliorer le rendement du réseau si le prestataire ne bénéficie d'aucune incitation pour le faire, les opérations de remédiation ayant longtemps été plus coûteuses que le gain marginal compte tenu du faible prix de la ressource en eau…

Adapter les outils existants. Une voie prometteuse de progrès serait donc de ne pas attendre une modification des règles applicables - le contexte ne s'y prête pas et la volonté politique ne s'y trouve pas - mais plutôt d'utiliser les catégories juridiques existantes pour les adapter à cette problématique. Deux outils méritent à ce titre l'attention : les marchés publics et les contrats de gestion déléguée.

S'agissant des premiers, le constat des praticiens est déprimant : seuls sont utilisés les marchés publics dits classiques, en tout premier lieu ceux de travaux. Le prix reste alors la variable privilégiée du choix, ce qui a pour conséquence de réduire la qualité des prestations au détriment de l'utilisation, par exemple, de matériaux susceptibles de réduire les fuites.

Il pourrait donc être pertinent d'utiliser les marchés dits complexes parfaitement adaptés ici, en liant les travaux et l'exploitation. L'efficacité du couple serait alors mesurée à travers des critères incluant la diminution du taux de fuite ou le nombre de mètres cubes livrés et non plus produits.

Contrats de gestion déléguée. Concernant les contrats de gestion déléguée, là encore, la pratique des collectivités publiques comme de leurs cocontractants ne révèle aucune volonté réelle d'introduire la - pourtant indispensable - dimension juridique dans la résolution des difficultés. En effet, cette catégorie (qui existe depuis le milieu du XIXe siècle en France !) n'est quasiment jamais utilisée dans le but de réduire les fuites d'eau potable dans les réseaux. Au contraire, l'économie des contrats actuels encourage la production d'eau potable, la distribution et la livraison de quantités toujours plus importantes nonobstant les pertes générées. Cet effet pervers est souvent dénoncé tandis qu'aucun réel changement n'est constaté.

Et pourtant il pourrait en être différemment. D'autres services publics pourraient servir de modèles ou à tout le moins d'exemples, comme l'énergie avec le transport du gaz ou de la chaleur. Le recours au contrat de gestion déléguée commandant l'existence d'un risque, il pourrait être envisagé que ce risque inclue les pertes d'eau sur le réseau. La rémunération du délégataire serait alors dépendante des travaux de remédiation, de leur pertinence (utilisation de la maintenance prédictive, par exemple) et de leur opportunité (baisse du taux de fuite).

L'augmentation tendancielle du prix de l'eau est susceptible de valoriser dans de sensibles proportions cette incitation économique.

Motiver les acteurs. L'introduction du contrat de gestion déléguée constituerait une innovation majeure susceptible de motiver les acteurs en période de raréfaction des ressources (en eau et financières) : les entreprises parce que leur rémunération dépendrait des gains, les usagers parce que la facture s'allégerait, les collectivités publiques parce que les subventions seraient affectées à leur véritable objet.

Ces deux solutions juridiques - meilleure utilisation des marchés publics complexes et création d'une délégation du service public limitée à la seule distribution d'eau potable - ne sont pas exclusives d'autres innovations. Elles peuvent en constituer les deux premières pierres.

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