Denis Dessus, vice président du Conseil national de l’Ordre des architectes (CNOA), a été entendu le mardi 26 février par M. le sénateur Laurent Beteille, en sa qualité de membre de la commission des lois, au sujet du projet de loi sur les contrats de partenariat. Cette audition, à la demande du Sénat, avait pour but d’entendre les positions des architectes dans le cadre de l’instruction du projet de loi qui sera présenté début avril au Sénat. "Nous avons pu exposer notre analyse après avoir rappelé qu’elle était étayée par le travail de nos confrères européens et le bilan des PFI anglais, explique Denis Dessus. Et également que notre travail n’avait d’autre finalité que d’améliorer l’ensemble des textes et procédures pour produire, in fine, le meilleur environnement bâti et non bâti à nos concitoyens. Des propositions rédigées d’amendement ont été remises".
Que reprochez-vous au projet de loi, dans sa version actualisée?
Premièrement, le respect des objectifs tracés par le gouvernement. "Nicolas Sarkozy a déclaré que l’architecture doit être au cœur de nos choix politiques". Il est indispensable que les constructions publiques soient réalisées dans une véritable démarche de qualité. La conception est donc l’élément fondamental garant de la qualité du service, comme l'indique le guide "Les contrats de partenariats, principes et méthodes" publié par le ministère des Finances en avril 2005.
Deuxièmement, en ce qui concerne les opérations de bâtiment et d’urbanisme; la consultation des groupements doit s'opérer après le concours d’architecture, sur le projet architectural et urbain, avec obligation de poursuivre l’opération avec le concepteur. Cette solution permet de limiter les risques. Elle garantie la qualité intrinsèque du projet, et donc du service public. Elle ouvre la concurrence au sein de la maîtrise d’œuvre. Elle donne de réels éléments de concurrence des groupements qui répondent sur une base similaire. Elle résout la problématique de la propriété intellectuelle.
Troisièmement, nous n'avons pas manqué de soulever le hiatus fondamental d’un projet de loi qui transforme (sans l’énoncer) une procédure dérogatoire en procédure de droit commun ouverte à la plupart des secteurs de l’action publique, ainsi qu’à la quasi-totalité des constructions publiques. L’introduction d’un troisième critère financier permettant le recours aux PPP, et la création d’un champ dérogatoire quasi généralisé jusqu’en 2012 sont totalement contraires à la décision du Conseil Constitutionnel 2003473DC du 26 juin 2003. Celle-ci précise que : "La généralisation de telles dérogations au droit commun de la commande publique priverait de garanties légales les exigences constitutionnelles inhérentes à l'égalité devant la commande publique, à la protection des propriétés publiques et au bon usage des deniers publics".
Jusqu’en 2012, en n’oubliant pas que la durée des contrats est de 20 ou 30 ans, (soit jusqu’en 2042 !), il ne serait pas nécessaire de répondre aux critères pour la plupart des marchés de l’Etat, et pour les opérations touchant à la rénovation urbaine, l’énergie, l’accessibilité handicapé etc. Ce ne sont ni les contrats de partenariats ni aucune autre procédure de passation de marchés, qui vont résoudre les problématiques de la ville, mais bien une réflexion sur sa genèse, sur l’urbanisme, sur la structuration du tissu urbain. Il n’y a pas de valeur ajoutée à associer les majors du BTP à la définition de la ville de demain, si l’on veut éviter les erreurs de la production de masse.
Les contrats globaux doivent rester des procédures d’exception, réservées à des cas spécifiques. Cela afin de : protéger le tissu économique des PME et artisans du bâtiment ; d'éviter de voir réapparaître une politique des modèles, toujours néfaste en termes de qualité architecturale et environnementale ; de permettre une concurrence transparente des différents acteurs, dont les concepteurs ; et d'éviter la généralisation de procédures à haut risque financier, complexes et coûteuses comme l’a souligné la Cour des comptes dans son dernier rapport.
Quelles sont les propositions concrètes du CNOA?
Nous souhaitons que le champ des contrats globaux reste limité, en fixant un seuil plancher de recours aux PPP pour les opérations de bâtiment. Les montants des contrats étant généralement de deux à trois fois le montant de l’investissement, un seuil de 50 millions d’euros est adéquat. Que le paragraphe III de l’article 2 introduisant une dérogation généralisée soit supprimé, l’introduction d’un troisième critère étant déjà largement suffisante pour élargir notablement les possibilités de recourir à la procédure. Enfin, que les évaluations et les critères de choix soient revus et complétés, pour que la qualité de service attendu et les caractères esthétique et fonctionnel soient les critères fondamentaux du choix des offres des groupements, et non des critères secondaires ou accessoires.
Quels sont vos souhaits pour l'avenir?
Nous aimerions voir aboutir une nouvelle politique des marchés publics ou les textes auraient comme objectif, non pas l’obtention d’une "offre économique", mais bien la satisfaction optimale du service public objet du marché. Pour des opérations d’aménagement ou de bâtiment, cette satisfaction doit se mesurer sur des critères : de qualité des espaces, de fonctionnalité et d’efficacité du service, d’impact environnemental, de création de valeur patrimoniale, de coût en analyse globale intégrant investissement, fonctionnement, coût énergétique et maintenance, d’adaptabilité aux évolutions des besoins durant la vie de l’équipement.
Christian Figali