« Il existe aujourd’hui un véritable tabou au sujet des caisses de congés payés du BTP », assène Sébastien Philippe, président de l’association 4C BTP (plus de 200 adhérents déclarés), qui lutte pour mettre fin à l’affiliation obligatoire et obtenir ainsi, pour les employeurs, le droit de rejoindre le régime général. « On ne souhaite guère aborder le sujet au sein de la profession : il ne faut pas faire de vagues, mais cette règle n’a plus de raison d’être aujourd’hui. »
Portabilité du droit à congé
Pour mémoire, ce système de cotisation mutualisé inscrit dans le Code du travail a vu le jour en 1937, dans le sillage de la généralisation des congés payés, à une période caractérisée par une forte mobilité dans le secteur. « Une époque révolue depuis l’instauration en 1973 du CDI, qui concerne aujourd’hui 80% des salariés du BTP, relève le président de l’association. Exception faite du cas des intérimaires, ce régime spécifique est donc devenu inutile.»
Au sein de CIBTP France, on brandit le « droit au repos » que garantit le principe de la « portabilité du congé » pour les salariés qui changent d’emploi, y compris ceux qui sont en CDI. « Ils peuvent bénéficier chez leur nouvel employeur de congés acquis dans leur ancienne entreprise sans devoir attendre pour poser des jours comme dans le régime général, où le salarié perçoit à l’inverse un solde de tout compte au moment de son départ. Une spécificité qui conserve tout son sens au regard de la pénibilité des conditions de travail dans le secteur», fait valoir la direction générale de la tête de réseau des caisses, qui compte 250 000 entreprises adhérentes, employant au total 1,6 millions de salariés.
Mais les griefs de 4C BTP ne s’arrêtent pas là. « Une analyse réalisée par des experts comptables a mis en lumière un surcoût moyen pour l’employeur de 500 euros par salarié et par an, chiffre Sébastien Philippe. Sans compter « les avances de trésorerie imposées par le mode de prélèvement des caisses, qui implique de verser les cotisations un an à l’avance. De quoi, en période de crise, fragiliser les entreprises », pointe le président de l’association.
« Les CIBTP n’offrent plus qu’une simple prestation de service »
« Quand elles ne parviennent pas à payer à l’avance car elles ont du mal à joindre les deux bouts, les caisses leur infligent des majorations totalement abusives et n’hésitent pas à les assigner en paiement ; puis, une fois qu’elles ont obtenu un titre exécutoire, à les assigner en liquidation judiciaire ! », rebondit Pauline Vanden Driessche, avocate associée au cabinet Parthema, qui défend l’entreprise DVM Renov dans l’affaire qui l’oppose à la caisse des congés payés du Grand Ouest (lire l'encadré ci-dessous).
Pour 4C BTP, le régime de collecte actuel se justifie d’autant moins depuis l’entrée en vigueur, en 1997, de la règle du prorata. Cette dernière autorise les caisses, en cas de défaillance de l’employeur dans le paiement des cotisations, à suspendre au prorata des impayés le paiement des indemnités de congés des salariés. « Les caisses ne garantissent plus les droits des travailleurs, et sont même susceptibles de les supprimer ! », s’indigne Sébastien Philippe. A ses yeux, les CIBTP n’offrent dès lors plus « qu’une simple prestation de service ».
« L’application de la règle du prorata, qui repose sur un principe d’équité, permet d’éviter que les mauvais payeurs profitent des bons », rétorque-t-on chez CIBTP France, qui met en avant l’existence, au sein de chaque caisse, d’une commission appelée à examiner les difficultés rencontrées par les entreprises et à accorder dans certains cas des moratoires et des remises gracieuses. « Les caisses de congés n’ont nullement vocation à faire tomber les entreprises : elles existent par elles, et pour elles : l’objectif est à l’inverse qu’elles se portent bien », assure-sa direction générale. Et de souligner : « pendant la crise sanitaire du covid-19, alors qu’un grand nombre de salariés ont été placés en activité partielle avec des indemnités non cotisées, les caisses ont assuré le paiement de tous les congés ».
Guichet unique
Sur le registre du surcoût dénoncé par 4C BTP, CIBTP France rappelle que les entreprises de la construction cotisent sur 10,8 mois, contre 12 dans le régime général. Les 19,95% du taux de cotisation comprennent principalement le congé légal, autrement dit les cinq semaines de congés, la prime de vacances spécifique au BTP, les congés d’ancienneté et le coût du fractionnement, les jours supplémentaires pour enfant à charge ainsi que les charges sociales patronales. « Plus les salariés sont stables au sein de l’entreprise, plus ils bénéficient des avantages de la prime de vacances, des congés de fractionnement et d’ancienneté, et, partant, plus le coût du congé est important », fait observer la direction de la tête de réseau des caisses.
« Comme la profession l’a souhaité, les CIBTP, chargées de verser les charges sociales et fiscales aux différents organismes compétents (Urssaf, PRO BTP…) fonctionnent comme un guichet unique et jouent ainsi un rôle de facilitateur pour les employeurs », ajoute CIBTP France, qui en veut pour preuve la satisfaction des entreprises (à plus de 80%) mais aussi des salariés du secteur (à 90%) révélée il y a quelques années par une enquête menée auprès de ses adhérents au sujet du dispositif. « Le régime de collecte mutualisé des congés payés n’est d’ailleurs pas une spécificité française, mais plutôt européenne : un système analogue existe en Autriche, en Italie, en Allemagne et en Belgique. »