Conception : du plan-masse à la chambre, les leçons d'une crise sanitaire

Cinq ans après la pandémie de Covid-19, de nouvelles préconisations techniques redessinent l'architecture des espaces hospitaliers, pour faciliter leur flexibilité.

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L'agence Michel Rémon & Associés a livré en 2024 la phase 1 du projet Bauréals (pour « blocs accueil urgences réanimation Lyon Sud ») pour les Hospices civils de Lyon. L'opération inclut 12 500 m2 neufs et 16 800 m2 réhabilités. Elle devrait s'achever en 2026.

Qu'il s'agisse du logement ou de l'hôpital, le Covid-19 aura servi de révélateur à des problématiques plus ou moins aiguës dans l'existant. Il aura aussi joué le rôle de catalyseur et d'accélérateur en vue de mieux répondre, en termes de conception architecturale et technique, aux nouvelles attentes pour faire face aux crises sanitaires. « Cette épidémie nous a frappés, et il est probable qu'il y en aura d'autres. Nous avons renforcé nos organisations pour être plus efficaces et mieux préparés… tout en espérant ne pas en avoir besoin », observe avec prudence Bruno Cazabat, président de l'association des Ingénieurs hospitaliers de France (IHF).

Soit. Mais quels enseignements tirer de cet épisode ? Quelles exigences sanitaires, fonctionnelles et/ou techniques ont émergé pour les établissements hospitaliers ? Quelles transcriptions spatiales sont-elles susceptibles de recevoir ? En France, un quarteron d'agences d'architecture se sont fait, nolens volens, une spécialité de ce type de programme : Michel Beauvais Associés, Groupe-6, Michel Rémon & Associés, Pargade Architectes, Brunet Saunier & Associés, Patriarche, Architecture Studio, etc. « Le sujet est tellement complexe qu'on est obligés de se spécialiser, même si cela a été honni de la profession dans les années 1980-1990 », observent volontiers Jean-Philippe Pargade et son associée Caroline Rigaldiès.

« Technique et bienveillant ». Toutes ces agences ont, peu ou prou, (re)mis les patients au centre du dispositif. « Auparavant, tout était plutôt centré sur le médecin mandarin, son activité, autour duquel gravitait le patient. A présent, on installe ce dernier au cœur du parcours de santé, ce qui modifie les organisations », relève Jean-Philippe Pargade. « L'hôpital est un bâtiment à la fois technique et bienveillant », affirme, pour sa part, Michel Rémon. Alors, du plan-masse à la chambre, en passant par les locaux administratifs et les plateaux techniques, l'influence du Covid-19 sur la conception architecturale des établissements de soins prend de multiples aspects.

Une certitude pour Jean-Philippe Pargade : le monobloc mastodontique relégué en banlieue ou à la campagne a vécu, laissant place à une organisation « avec des unités morcelées, connectées en réseau entre elles et à un hub central, personnalisées et résilientes ». A l'image du futur CHU de Nantes (1 384 lits, ouverture en 2027) réalisé avec Art & Build, dont Jean-Philippe Pargade énumère les qualités : « Structuré autour de 12 blocs et autant de patios, il est accessible à ses usagers, rassurant par sa conception, à l'opposé des “cathédrales hospitalières” du XXe siècle aux échelles oppressantes. Il est inscrit dans la matrice de la ville, ouvert, accueillant, évolutif, traversé de rues et d'allées, catalyseur d'une urbanité à venir. »

Toutes les agences d'architecture spécialisées dans les hôpitaux ont, peu ou prou, (re)mis les patients au centre du dispositif.

Double circulation distincte. Comme nombre d'affections respiratoires, le Covid-19, si l'on s'en souvient, a mis en exergue la contagion par dissémination aéroportée du virus. On devine aisément l'importance que revêt alors le facteur « qualité de l'air intérieur » (QAI), en termes de traitement et de filtration des agents pathogènes. « Au niveau des flux de patients, cela signifie séparer, dès leur arrivée, ceux avec un risque infectieux des autres », précise Bruno Cazabat. D'où des accès différenciés à prévoir, mais aussi des progressions distinctes à l'intérieur de l'établissement, suivant les pathologies identifiées. « Cette crise sanitaire sans précédent a validé le concept de doubles circulations distinctes qui, en cas de nouvelle crise majeure, permettrait de séparer facilement les flux de personnes infectées et non infectées », ajoute-t-il. Le pire n'étant jamais certain, un « troisième circuit » doit même être envisageable pour Michel Rémon.

Du côté des bureaux dédiés aux personnels médicaux et administratifs, bien que peu impactés par le Covid, les nouvelles injonctions managériales - désilotage des compétences et travail en flex office - ont gagné du terrain. « Il y a désormais une manière de collaborer inspirée des start-up californiennes, sans enfilade de bureaux juxtaposés, observe Franck Lavigne, architecte associé de l'agence Groupe-6. Cela découle d'une volonté du management de partager l'information, d'instaurer un autre rapport à la hiérarchie et à la décision, avec une gestion plus démocratique de l'espace, où le nomadisme va de pair avec la numérisation des échanges. » Mais revenons à l'utilisateur final. « Maintenant, les patients vont directement de chez eux, debout, jusqu'au bloc opératoire, ce qui a beaucoup modifié les flux, les espaces d'accueil », estime Jean-Philippe Pargade. Si cette médecine ambulatoire se développe continûment, en réduisant d'autant les séjours de moyenne et longue durée dans l'établissement, la nécessité de disposer de chambres - individuelles le plus fréquemment - n'a pas disparu pour autant. « Post-Covid, il y a certes des questions de dimensionnements techniques mais les impacts spatiaux se révèlent assez mineurs, finalement, souligne Franck Lavigne. Il nous est en revanche demandé de pouvoir transformer des chambres ambulatoires en chambres de réanimation. Cela implique de suréquiper les lieux à cet effet, de précâbler davantage de dispositifs techniques. Mais ça, c'est au stade du programme, parce qu'après, la contrainte financière nous rattrape souvent… » Pour offrir cette possibilité, deux dispositions apparaissent complémentaires : intégrer un sas aux chambres afin de limiter la contamination aérienne avec les circulations, mais aussi revoir les dispositifs de traitement de l'air dans leur ensemble et le système de ventilation en général.

Anticiper les mutations. Reste, souligne encore Franck Lavigne, que « même si on est censé construire un hôpital pour cinquante ans, il est obsolète dès sa livraison ! Entre l'élaboration du programme et la livraison du bâtiment, plus de quinze ans peuvent s'écouler… D'où une nécessaire adaptabilité. » Alors, flexibilité, évolutivité ? Bref, il s'agit, dans tous les cas, d'anticiper les mutations afin de pouvoir accueillir de nouveaux équipements d'imagerie, des robots mobiles autonomes pour le nettoyage et la désinfection, et autres automates d'appoint. « Il faut éviter de figer un scénario d'occupation des lieux », plaide également Jérôme Brunet.

Le bâtiment doit être isotrope, capable d'évoluer dans toutes ses dimensions. D'où la nécessité de disposer de réserve de surface pour ajouter des lits, « upgrader » les capacités d'accueil en cas de situation sanitaire exceptionnelle (SSE), au besoin « en incluant des “pièces à casser” comme on dit en Belgique », s'amuse Michel Rémon. Et Jean-Philippe Pargade d'enchérir : « C'est vraiment ce qui est fascinant dans cette espèce de casse-tête : arriver à superposer et faire fonctionner tous ces plateaux entre eux. Avec les dossiers médicaux dématérialisés, la proximité immédiate n'est plus requise. La liberté constructive est plus grande, l'adaptabilité facilitée. » Ce qui, dans le neuf est relativement aisé, l'est moins dans l'existant… « Dans l'ancien, c'est tordu, c'est compliqué, la hauteur peut manquer pour faire passer les fluides, il faut renforcer la portance des planchers, etc. », argumente Michel Rémon.

Privilégier l'existant ? Au-delà des seuls aspects techniques et architecturaux, Jean-Michel Pargade note les « effets induits » et relève le rôle de l'hôpital dans la ville : « Le Covid a transformé son image. Il est devenu un équipement de proximité indispensable. L'idée de privilégier l'existant fait son chemin dans les préoccupations des maîtres d'ouvrage hospitaliers. Pour des raisons de fréquentation, de bonne conscience et de valorisation patrimoniale, bien sûr, mais aussi parce que l'hôpital est un grand employeur et que la réhabilitation permet de conserver un site… avec ses équipes. » De fait, « aujourd'hui, la préoccupation de tous les établissements, ce sont les ressources humaines. Durant la pandémie, ce n'étaient pas les lits qui manquaient, mais bien le personnel médical », juge Denis Bouvier à la tête de Groupe-6. L'architecture, facteur d'attractivité majeur pour les métiers du care ? Voire… Mais c'est là un autre sujet.

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Face aux maladies, une réinvention permanente

En France, au milieu du XIXe siècle, l'isolement des malades contagieux visait à réduire la mortalité des femmes en couches : les contaminations entraînaient le décès de près de 10 % des mères.

En 1858, un interne, Stéphane Tarnier, estimait qu'accoucher à domicile avec une sage-femme divisait par 17 la probabilité de mourir de fièvre puerpérale par rapport à l'hôpital. Et ce, pour des raisons d'hygiène. Des solutions ont été testées, comme des galeries où cantonner les familles derrière des vitres, ce qui a permis d'abaisser la mortalité de 30 à 40 %. Un pavillon expérimental a aussi été construit à Cochin (Paris XIVe ), avec des chambres individuelles médicalement surveillées via des miroirs sans tain.

Mise à l'écart. « Tout bascule en 1878, quand l'Académie de médecine conclut, après commission d'enquête, que le manque d'hygiène était mortel », relate Pierre-Louis Laget, docteur en médecine, conservateur en chef honoraire du patrimoine hospitalier. La première maternité est alors créée sous forme d'un pavillon indépendant, à l'hôpital de Ménilmontant, aujourd'hui Tenon (Paris XXe ). Cette mise à l'écart a permis d'offrir une hygiène rigoureuse aux femmes en couches.

Lors du siège de Paris, pendant la guerre de 1870, on constate que, dans les baraquements en bois servant d'hôpitaux de campagne, comme celui édifié dans le jardin du Luxembourg, les épidémies se propagent moins. Des médecins suggèrent alors de construire, en lieu et place de bâtiments « en dur » des hôpitaux en bois qui seraient brûlés et remplacés tous les dix ans. Le débat ne durera pas. « Un siècle et demi plus tard, le Covid-19 est venu démontrer que l'hôpital monobloc moderniste du XXe siècle, avec des malades regroupés sur plusieurs étages isolés, était plus efficace pour freiner la contagion que le modèle pavillonnaire du XIXe siècle », conclut le spécialiste.

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