Contrairement à l’immobilier de bureaux, Paris semble mieux résister à la crise que les métropoles sur le front des locaux commerciaux. « Après une année 2020 difficile, nous notons un retour timide des enseignes internationales, avec une défiance pour les grands axes type Champs-Elysées », observe Maxime Forgeot, président-fondateur de F&A Asset Management.
Dans la capitale, seulement 14 enseignes mondiales avaient ouvert leur premier magasin en 2020, contre 37 en 2019. « En 2021, annonce CBRE France dans son étude trimestrielle, le nombre de nouvelles arrivées devrait retrouver son rythme d’avant crise, sous réserve de la levée des restrictions de déplacement à l’international », les transactions avec les groupes étrangers se concluant à l’issue de la visite – physique – des lieux.
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L’appétit des fonds d’investissement
A en croire la société de conseil, des fonds d’investissement sont déjà en train d’en découdre, des Champs-Elysées au Carré Saint-Germain. Résultat, le taux de rendement pour les meilleurs actifs commerciaux de la capitale atteint 3,10 %, soit une hausse de 0,30 % sur un an. En province, seule Lyon a vu son taux de rendement théorique prime progresser (+ 0,25 %), pour atteindre 3,25 %. De Lille à Toulouse, celui-ci est stable.
En valeur locative prime moyenne (hors charges), Paris fait pâle figure : - 24 % entre le T1 2020 et le T1 2021. Hormis Strasbourg (- 32 %), toutes les métropoles font mieux que la capitale. CBRE France observe même une hausse à Montpellier (+ 11 %), sans doute portée par ses 2 000 nouveaux habitants par an et son économie orientée santé et numérique, deux secteurs qui recrutent.
Loyers offerts et financement des travaux
Parmi les autres villes attractives : Bordeaux. Effet de rareté oblige, les tarifs des transactions de ces derniers mois sont identiques à ceux de l’avant-crise. Jusqu’à 2 200 €/m² rue Sainte-Catherine. A la Porte Dijeaux, les cinq boutiques rendues disponibles à cause du Covid ont toutes trouvé preneur, entre 1 600 € et 2 000 €/ m². « Les déboires de certains en 2020 ont permis à d’autres de se développer en 2021, témoigne Thomas Pouliquen, manager du service commerce de Réal Group. D’où une augmentation, depuis le début d’année, des transactions sur les emplacements prime. »
Dans le « marché prisé » bordelais, relève CBRE France, même « les artères secondaires poursuivent leur montée en puissance », grâce notamment aux « bailleurs principalement privés, faisant preuve de souplesse dans les négociations ». Cela se traduit par des mois de loyers offerts, voire un financement des travaux avant installation du preneur.
« Désaffection pour les grands formats »
Enfin, à Marseille, le centre-ville modernisé, après avoir souffert de la concurrence de la périphérie combinée aux travaux de sa rénovation, attire de nouvelles enseignes désireuses de s’implanter sous des formats innovants comme les pop-up stores. D’où la nécessité, pour les bailleurs, de repenser les baux commerciaux. Et sur ce point, observe CBRE France, les propriétaires en ville sont moins flexibles que leurs homologues des centres commerciaux, en position de faiblesse depuis le début de la pandémie.
« La désaffection pour les grands formats et les longues sessions de courses est de plus en plus forte, quand le supermarché de taille intermédiaire résiste », relève Sophie Desmazières, présidente-fondatrice de la plate-forme BureauxLocaux. Ce qui explique la recomposition en cours à l’échelle nationale. « Dans l’alimentaire, les loisirs et paradoxalement la restauration, les leaders sont extrêmement agressifs, la Fnac aussi », assure Maxime Forgeot.
Déjà un emballement alors que la page Covid-19 n’est toujours pas tournée ? « Avec l’allègement des restrictions, le regain de consommation observé depuis mai et le retour progressif des salariés au bureau, note Antoine Salmon, directeur du département commerces locatifs de la société de conseil Knight Frank France, l’optimisme est de rigueur, même si l’incertitude demeure et que les touristes étrangers restent peu nombreux – en particulier les nationalités les plus dépensières et/ou à fort pouvoir d’achat comme les Américains ou les Asiatiques. S’il y a indubitablement du mieux, le retour à la normale n’est sans doute pas attendu avant la fin de 2022 voire 2023. »
Les dark kitchens, un épiphénomène
Pour l’heure, le phénomène des dark kitchens se confirme mais reste marginal. Les restaurants-laboratoires dédiés à la livraison « s’implantent plutôt dans des quartiers excentrés, résidentiels et souvent dans des villes de première couronne comme Aubervilliers et Pantin », rappelle Antoine Salmon. Ces acteurs n’exercent donc « aucune pression immobilière » en centre-ville.
Quant au shop to shop, quand Boulanger s’installe chez Auchan ou Darty chez Carrefour, « le mouvement s’est récemment accéléré, illustrant la concentration accrue du secteur des commerces (rachat de Natures & Découvertes par Fnac/Darty, etc.) et confirmant l’intérêt de telles alliances (gain de nouveaux clients, rationalisation des coûts, hausse des paniers moyens, etc.) à l’heure où les enseignes sont fragilisées par la crise sanitaire », avance Antoine Salmon. De là à rebattre les cartes du marché ? « On peut supposer que ce modèle va encore se développer, mais il est difficile de le quantifier », répond-il.
Une certitude : les commerces de pied d’immeubles restent le type de produit le plus recherché, notamment par les commerçants de bouche, épargnés par les fermetures administratives. Autre critère primordial : l’emplacement – central, bien desservi, garantissant des flux élevés – prime. Sans jeu de mots.