C’était une opportunité rare : profiter de la déconstruction d’un pont pour en comprendre le fonctionnement en le chargeant au maximum. C’est ce qu’ont fait des partenaires du projet national (PN) de recherche Dolmen, dédié à l’étude du comportement des ouvrages d’art en maçonnerie. Pour cela, ils ont tiré parti à l’automne dernier de la démolition programmée du pont d’Osserain (Pyrénées-Atlantiques). Cet ouvrage en pierre calcaire à trois arcs surbaissés construit aux alentours de 1880 était accusé par les riverains de favoriser les inondations en raison de ses piles en rivière et des remblais de la route qui y mènent.
Un ouvrage en bon état
Le pont a donc été mis à la disposition du projet national par son maître d’ouvrage. « Le conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques tenait à ce que sa démolition n’ait pas lieu en vain », souligne Gérard Viossanges, président du PN Dolmen et consultant en ouvrages d’art. « Il était en bon état général, représentatif de la robustesse de ce patrimoine, pourtant souvent considéré à tort comme défaillant structurellement », se souvient Anne-Sophie Colas, directrice opérationnelle du projet et ingénieure-chercheure à l'Université Gustave Eiffel.
Une construction empirique
Construits entre la fin du 18e siècle et le début du 20e, les ouvrages en maçonnerie sont massivement présents dans le paysage français : la moitié des ponts routiers sont construits selon cette technique, tout comme 40 % des ponts du réseau ferroviaire. Malgré leur nombre, leur comportement mécanique reste assez méconnu. « Les méthodes de calcul et de dimensionnement ne sont apparues qu’avec le développement des techniques industrialisées que sont le béton ou la construction métallique, rappelle Anne-Sophie Colas. Les ouvrages en maçonnerie ont été construits de manière empirique et sont donc généralement mal compris. »
Neuf méthodes de calcul
Les membres du projet ne retrouvent pas d’archives concernant le pont d’Osserain. Pour tenter de le caractériser au mieux malgré tout, ils procèdent à des sondages et analysent ses pierres dont ils retrouvent la carrière d’origine. Puis des modélisateurs tentent de dimensionner l’expérimentation : quelle charge faudra-t-il imposer à l’ouvrage pour l’endommager avant sa destruction ? « Les calculs ont été effectués selon la méthode traditionnelle élaborée au 19e siècle et selon d’autres plus modernes, variables en précision et en coût », indique Gérard Viossanges. Au total, neuf méthodes de calcul différentes sont utilisées.
300 t de béton
Les partenaires décident finalement d’empiler des blocs de béton de 2,4 t chacun sur quatre niveaux à raison de 30 blocs par niveau, le tout sur une demi-voûte, le cas le plus défavorable. Total : 288 t. Un poids important – « bien au-delà de celui des trafics routiers », souligne le président du projet – mais que les modèles jugent insuffisant pour fragiliser l’ouvrage. « Nous avons donc pratiqué une fissure de 25 cm sur une partie de la voûte », indique Anne-Sophie Colas. Le pont est équipé de capteurs sismiques, de déformation et d’inclinomètres et le chargement commence. Les quatre étages de blocs sont posés sans que l’ouvrage ne bronche. Ni mouvement, ni fissure.
Premières déformations
Qu’à cela ne tienne : les partenaires ajoutent un étage supplémentaire à la montagne de béton qui atteint alors 360 t. « A ce stade, l’ouvrage a commencé à murmurer, se souvient Gérard Viossanges. Les capteurs ont décelé des déformations de 1 à 5 mm, invisibles à l’œil nu. » Selon les calculs des chercheurs, il aurait fallu dix étages de béton pour mener l’ouvrage à la ruine, soit plus de 700 t. Après l’expérimentation, celui-ci est démoli et ses pierres sont récupérées pour être analysées et recyclées.
Le temps de l’analyse
Les participants s’emploient maintenant à comparer les différents modèles de calcul entre eux mais aussi les déformations qu’ils avaient prévues et celles qui ont eu lieu. Les résultats seront disponibles à l’été. « Nous espérons que cela permettra des évolutions dans les méthodes actuelles de calculs qui sont trop pessimistes et pénalisent ces ouvrages », indique Gérard Viossanges. C’est bien l’objectif du projet Dolmen : pouvoir réintégrer la maçonnerie dans le catalogue de techniques de construction contemporaines.