La commission mixte paritaire réunie le 19 décembre a trouvé un modus vivendi sur le projet loi « Immigration », voté dans la foulée par le Sénat et l’Assemblée nationale.
Très proche de la version adoptée par la chambre haute, la mesure de régularisation dans les métiers en tension sera autrement plus restrictive que celle du projet gouvernemental. Ce dernier prévoyait la création, à titre expérimental, d’une carte de séjour temporaire d’un an valant autorisation de travail, et octroyée de plein droit à condition de justifier de huit mois d’activité professionnelle et d’au moins trois ans de résidence ininterrompue sur le territoire.
«Nous ne serons plus un secteur sous tension »
La délivrance d’une carte de séjour « travailleur temporaire » ou « salarié » d’un an ne sera finalement accordée par le préfet qu’« à titre exceptionnel » à l’étranger qui a, durant au moins 12 mois sur les deux dernières années, exercé une activité salariée figurant dans une liste de métiers et zones géographiques caractérisés par des difficultés de recrutement.
L’autorité administrative prendra également en compte l’insertion sociale et familiale de l’étranger, « son respect de l’ordre public, son intégration à la société française et son adhésion aux modes de vie et aux valeurs de celle-ci ainsi qu’aux principes de la République ». La mesure sera applicable jusqu’à fin 2026.
Les fédérations d’employeurs du BTP n’ont pas souhaité prendre position sur l’impact d’un tel dispositif. «Nous ne serons bientôt plus un secteur sous tension », s’est borné à relever Olivier Salleron, président de la FFB. D’après l’organisation professionnelle, quelque 3000 postes en équivalent temps plein (ETP) auront été détruits au total en 2023. Et Olivier Salleron craint 90 000 suppressions supplémentaires l’an prochain.
« Le marché du BTP est en train de se retourner : depuis le mois d’octobre, nous y retrouvons un certain nombre de candidats qualifiés, ce qui n’était pas le cas avant l’été », opine Kévin Le Feunteun, P-DG du groupe Le Feunteun. Des postes restent toutefois toujours à pourvoir dans l’entreprise. « Le premier critère pris en compte est la motivation des candidats : nous ne regardons pas si la personne est née ou non en France », souligne Yolande Farges, ambassadrice de la fondation Le Feunteun, qui a monté en 2018 une formation de maçon finisseur débutant pour un groupe de Soudanais. Pas moins de 17 nationalités sont représentées chez les 300 salariés qui officient au sein du groupe.
Pour les Geiq, « une mesure qui va dans le bon sens »
Malgré la conjoncture économique, les groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification (Geiq), qui accueillent des publics éloignés de l’emploi, signalent encore d’importants besoins en main d’œuvre à ce jour. « Nous recrutons de plus en plus de salariés étrangers, migrants ou réfugiés, rapporte Francis Levy, délégué général de la Fédération française des Geiq.
« Les populations de primo arrivants sont fortement présentes dans nos départements du Nord et du Pas de Calais, en particulier sur la métropole Lilloise, et nous nous en félicitons ! Sans ces publics motivés avec lesquels nos partenaires -Pôle emploi, missions locales…- nous mettent en relation, nous perdrions plus de 50 % de nos effectifs et aurions ainsi bien du mal à répondre aux besoins des entreprises adhérentes », illustre Olivier Fortuna, directeur du Geiq Pro TP. Et de chiffrer : « le seul chantier du Canal Seine-Nord Europe qui se profile va nécessiter l’embauche de 3000 personnes ».
Sur le terrain, les employeurs et les acteurs de l’insertion sont confrontés à une instabilité administrative autour des titres de séjour qui provoque des ruptures de parcours. « Nous sommes parfois contraints de suspendre un contrat de travail le temps du renouvellement du titre d’un salarié et d’y mettre fin s’il ne l’obtient pas, ce qui porte autant préjudice à l’intéressé désireux de s’insérer qu’à l’entreprise, pointe Philippe Foucault, président du Geiq Pro TP. Alléger l’accès au titre de séjour pour les personnes qui travaillent nous semble ainsi aller dans le bon sens. »
Un avis partagé par Francis Levy. « Une autre problématique concerne les mineurs non accompagnés qui, une fois majeurs, rencontrent parfois des difficultés pour obtenir un titre de séjour [lire témoignage ci-dessous, NDLR]. Les personnes se retrouvent parfois dans l’impossibilité de commencer leur parcours de formation ou bien, une fois formées, de rentrer dans une entreprise, avec les dimensions humaine, sociale et économique que revêtent ces cas de figure. Aussi, toutes les mesures qui pourront faciliter et accélérer l’obtention et le renouvellement de titres de séjour seront les bienvenues. »
Un assouplissement d’autant plus opportun aux yeux de Francis Levy que « les procédures étant désormais dématérialisées, nous n’avons désormais plus d’interlocuteurs au sein des préfectures pour échanger sur la situation des personnes concernées ».
Se résoudre à licencier en cas de non-renouvellement du titre de séjour
De son côté, Kévin Le Feunteun a déjà dû «licencier une demi-douzaine de salariés étrangers qui ne parvenaient pas à obtenir le renouvellement de leur titre de séjour». Le dirigeant se dit ainsi « favorable à ce que cette opération soit facilitée pour les personnes qui travaillent ».
Gino Stassi, P-DG de la PME francilienne Edile Construction, se montre quant à lui « partagé » : « si ce dispositif peut permettre de répondre à une partie des besoins, il ne doit pas constituer une voie de facilité. Sa mise en œuvre devra s’accompagner d’un important effort de formation, car la montée en puissance de la rénovation thermique des bâtiments implique d’élever le niveau de compétences sur les nouveaux matériaux, les nouveaux procédés ou encore les nouvelles technologies».
Pour les dirigeants du Geiq Pro TP, le principal enjeu est l’insertion durable des salariés étrangers dans le secteur. « Les Geiq représentent la dernière marche vers l’emploi durable : 75% de nos effectifs vont au bout de leur contrat, et 50 % sont ensuite embauchés par une entreprise, détaille Philippe Foucault. Ce n’est pas seulement un parcours professionnel qui est en jeu pour le travailleur à qui l’entreprise donne sa chance et qui souhaite rester en France, mais aussi, en somme, un parcours de vie. »
Prochain étape pressentie avant la promulgation de la loi « Immigration » : la saisine du Conseil constitutionnel, qui disposera ensuite d’un délai d’un mois pour se prononcer.