« Forte dégradation », « effondrement », « risques inacceptables pour les citoyens ». Le réseau routier national non concédé est dans un état critique. C’est en tout cas le bilan qui ressort d’un audit externe réalisé pour le compte du ministère des Transports et dont une synthèse a été rendue publique le 10 juillet.
Ces infrastructures – chaussées et ouvrages d’art qui s’étendent sur environ 12 000 kilomètres - cumulent 18 % du trafic routier français. Plusieurs de ces axes de circulation sont jugés stratégiques, à l’instar de l’autoroute A15 (Hauts-de-Seine - Val d'Oise). « Nous sommes en train de dilapider notre patrimoine national par une vision à court terme. Nous n'avons pas, et nous n’aurons certainement pas les moyens financiers publics de renverser cette tendance », s’alarme Pierre Calvin, président de Routes de France.
Un sous-investissement chronique
Les chiffres sont éloquents : 2 040 kilomètres de chaussés sont gravement endommagés, soit 17 % des routes qui nécessitent des réparations structurelles immédiates. Un tiers des 12 000 ponts exigent des rénovations. Pire, selon le document, 7 % de ces ouvrages d’art présentent des « risques d’effondrements sérieux ». Les équipements routiers (marquages, panneaux de signalisation), sont, pour leur part, « menacés de vétustés ».
La cause de ces maux ? Si le vieillissement de la chaussée est un phénomène naturel, la stratégie d’investissement de l’Etat est pointée du doigt. Celle-ci, dans un contexte de finances publiques exsangue, s’est davantage focalisée sur « le curatif plutôt que le préventif ». Comprendre : les travaux sont engagés une fois que les dégradations - à cause du trafic ou des aléas météorologiques - se sont produits.
En effet, sur les 10 dernières années, l’Etat a investi en moyenne 666 millions d’euros par an pour assurer la maintenance et la gestion de ce réseau, une « somme fluctuante et insuffisante pour enrayer une dégradation de l’ensemble du réseau », note le document. « Depuis 2012, nous avons enregistré une baisse de 30 % du chiffre d’affaires consolidé des entreprises du secteur », corrobore Pierre Calvin, président de Routes de France.
Selon des données comparées avec nos voisins européens, l’enveloppe de rénovation française est inférieure aux standards des pays d’Europe du Nord. Le Royaume-Uni investit par exemple 80 000 euros par kilomètre et par an, alors que les routes hexagonales bénéficient d’environ 50 000 euros annuels. « Il faudrait un effort d’entretien de 4 à 7 fois supérieur », détaille la note de l’audit réalisé par deux cabinets suisses.
"Problème d’état d’esprit et de méthode"
Cette vision à court terme pose problème, poursuit la synthèse, car « un entretien curatif coûte au minimum trois fois plus cher qu’un entretien régulier permanent ». Ainsi, si la trajectoire financière et la stratégie restent identiques d’ici à 2037, 62 % des routes nationales seront très dégradées à cette échéance.Afin de conserver, à minima, l’état actuel du réseau routier national non concédé d’ici 2037, il faudrait investir 1,3 milliard d’euros annuellement, à partir de 2022. En somme, plus l’Etat tarde à mettre la main à la poche, plus la situation des infrastructures s’aggrave... et plus la facture sera salée.
Si les moyens financiers et la vision court-termiste sont critiqués, certains acteurs soulignent également une réflexion biaisée de la part des élus, notamment sur les ouvrages d’art. « Il y a un véritable problème d’état d’esprit et de méthode. D’une part, les responsables politiques ont cette image d’Epinal qui fait que les ponts, en béton armé, ne nécessitent pas d’entretien. C’est absolument faux. Deuxièmement, il n’y a aucun cycle de surveillance en amont. Cela empêche de réaliser les travaux en temps voulu », estime Christian Tridon, président du Syndicat national des entrepreneurs spécialistes de travaux de réparation et de renforcement des structures (Stress). Selon la synthèse, en moyenne, « un pont n’est réparé que 22 ans après l’apparition des premières dégradations ».
Le gouvernement veut agir
Après plusieurs années d’inaction, marquée par la baisse des contrats, le gouvernement semble enfin prendre conscience de la situation. En mai dernier, au Sénat, la ministre des Transports Elisabeth Borne reconnaissait que « [notre] sous-investissement a été manifeste » et annonçait vouloir engager « dès 2019 un plan de sauvegarde des chaussées, des ouvrages d’art et des équipements du réseau routier national non concédé ». Une enveloppe a été annoncée : une hausse de 200 millions d’euros par an pour financer les rénovations et l'entretien du réseau, portant le budget annuel à un milliard d’euros.
Mais la question du financement n’est toutefois pas encore réglée. Le bras armé de l’Etat, l’Agence de financement des infrastructures de transports de France (Afitf), devrait voir ses ressources augmentées, si l’on en croit le projet de loi d’orientation sur les mobilités (LOM), révélé par Le Moniteur. Selon ce document de travail daté du mois de mai, l’enveloppe financière de l’Afift pourrait grimper jusqu’à 3 milliards d’euros par an en 2022. Une somme qui devrait ensuite devenir son budget de croisière pour la période 2022-2037.
Vers un big bang ?
Les mécanismes permettant de générer de nouvelles recettes sont également en cours d’élaboration. Ils devraient être présentés dans le cadre de la loi LOM, donc, puis dans sa traduction dans le cadre de la loi des finances 2019. Une philosophie semble toutefois émerger; comme le rappelle également le comité Action publique 2022 : les utilisateurs de ces infrastructures seront davantage mis à contribution afin de financer la maintenance du réseau.
Par exemple, l'idée d'une vignette pour les transporteurs routiers évoquée par la ministre des Transports "n'est pas une mauvaise piste" avait déclaré en juin le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux. Cette taxe, appelée « redevance temporelle de circulation » dans le projet de loi, vise à faire payer les véhicules qui empruntent le réseau routier national et dont le poids total autorisé en charge et supérieur à 3,5 tonnes. D’autres mesures, à l’instar des péages urbains, sont également en négociation.
Le projet de loi ouvre également la porte à un potentiel « big bang ». Ce futur texte législatif prévoirait de faire payer l’usage de certains axes routiers, comme les routes nationales, en mettant en place un système de concession. « Au regard de l’efficacité des gestionnaires d’autoroute, et du bon état général de ce réseau, cela peut être une idée pertinente afin d’améliorer l’état des routes nationales. C’est désormais au pouvoir politique de placer le curseur au regard des nombreux enjeux financiers et de sécurités », estime Pierre Calvin.