La maîtrise d'œuvre (MOE) est définie par l' (CCP) comme une mission globale permettant « d'apporter une réponse architecturale, technique et économique au programme défini par un maître d'ouvrage pour la réalisation d'une opération ».
Lorsque ces prestations de MOE sont confiées par un acheteur soumis au CCP à un ou plusieurs opérateurs économiques et qu'elles visent à la réalisation d'une opération répondant à un besoin exprimé par cet acheteur, il s'agit alors d'un marché public de MOE. Ce dernier peut aussi bien être confié par des personnes morales de droit public (collectivités locales…) que par des personnes morales de droit privé (SEM, SPL, associations, entreprises publiques agissant dans un secteur régulé…).
La qualification de marché public implique classiquement que l'acheteur est tenu d'attribuer le marché à l'issue d'une phase de consultation préalable, en respectant des obligations de publicité et de mise en concurrence. Ces dernières peuvent cependant s'avérer contraignantes dans la mesure où, au contraire d'autres types de prestations intellectuelles, la MOE se caractérise par un fort lien personnel (intuitu personæ) entre l'acheteur et l'opérateur économique. Quelles sont dans ce cadre les différentes modalités d'attribution de marchés qui permettent aux acheteurs de favoriser l'intuitu personæ dans le choix de leur maître d'œuvre, dans le respect du CCP ?
L'attribution des marchés de maîtrise d'œuvre à l'issue de concours
Le concours restreint est présenté comme l'outil privilégié d'attribution des marchés de MOE. Il permet à l'acheteur de présélectionner les opérateurs économiques qui seront autorisés à présenter des rendus en vue de l'attribution d'un marché, sur la base de leur dossier de candidature.
Il autorise en outre les acheteurs à attribuer le marché sur la base de critères de jugement qui n'ont pas à être pondérés ni même hiérarchisés (art. R. 2162- 16). Cela tient au fait que le concours ne constitue pas une « procédure » entant que telle, mais une « technique d'achat » (art. L. 2125- 1). L'attribution d'un marché public au lauréat d'un concours est d'ailleurs dispensée de publicité et de procédure (art. R. 2122- 6).
Ces deux caractéristiques permettent une sélection moins mathématique des lauréats de concours. Pour autant, cette technique d'achat présente deux écueils du point de vue de la liberté de choix de l'acheteur. En premier lieu, la désignation du lauréat est faite par l'acheteur sur l'avis d'un jury. Ainsi, bien que l'avis du jury de concours ne lie jamais l'acheteur (), il y a là un premier risque d'appropriation de la décision par un organe comprenant des personnes extérieures au maître d'ouvrage (art. R. 2162- 22). En second lieu, l'article R. 2162- 18 prévoit que les plans et projets des candidats sont présentés au jury de manière anonyme par les opérateurs économiques. Il s'agit pour les acheteurs d'un second motif de perte de contrôle dans le choix de leur maître d'œuvre. Mais l'acheteur peut aussi s'affranchir des concours dans certaines hypothèses énumérées par le CCP.
Les hypothèses dérogatoires à l'attribution sur concours
Laplace du concours dans l'attribution d'un marché public de MOE diffère selon que ce dernier porte sur la réalisation d'un ouvrage de bâtiment ou d'un ouvrage d'infrastructure.
Ouvrages de bâtiment. Le code ne prévoit une obligation de principe de recourir au concours qu'en ce qui concerne les missions de MOE portant sur des ouvrages de bâtiment dont les maîtres d'ouvrage sont soumis à l'ex- (désormais codifiée au livre IV de la deuxième partie du CCP) et dont le montant est supérieur au seuil de procédure formalisée (art. R. 2172- 2). Cela signifie qu'il est possible d'écarter le concours dans de nombreuses hypothèses :
» lorsque le montant du marché de MOE, calculé sur la base d'un forfait provisoire, est inférieur à 139 000 euros pour un marché de l'Etat ou à 214 000 euros pour un marché de collectivités locales. Cette hypothèse correspondra à des travaux de faible envergure (moins de 2 millions d'euros) ;
» au-delà des seuils, lorsque l'acheteur n'entre pas dans la catégorie des maîtres d'ouvrage définie à l'article L. 2411- 1. C'est le cas des entreprises publiques ou des sociétés privées à capitaux publics telles que les SPL, SEM, Semop - qui dérogeaient déjà à l'ex-.
» au-delà des seuils, lorsque l'équipement ou l'installation à réaliser ne constitue pas un ouvrage au sens de l'article L. 2412- 2. Cette exclusion vise essentiellement les équipements destinés à une activité industrielle tels que les centrales de production d'énergie, de chauffage urbain et les unités de traitement de déchets (art. R. 2412- 1), les ouvrages acquis en Vefa par les organismes HLM et les opérations de travaux portant sur des immeubles classés ;
» au-delà des seuils et quand l'acheteur et l'ouvrage relèvent de l'ex-, lorsque l'opération porte sur des ouvrages neufs réalisés à titre de recherche, sur des ouvrages réhabilités, sur des logements sociaux réalisés par des organismes HLM et sur des missions d'OPC, car elles ne comportent pas de prestations de conception (art. R. 2172- 2).
Ouvrages d'infrastructure. La marge de manœuvre des acheteurs pour écarter le concours est totale lorsque l'opération porte sur un ouvrage d'infrastructure. L'article R. 2172- 2, 3° prévoit en effet expressément qu'un acheteur n'est pas tenu d'organiser un concours pour l'attribution de marchés de MOE relatifs à des ouvrages d'infrastructure.
A noter qu'il n'existe pas de frontière textuelle ni jurisprudentielle précise entre les ouvrages de bâtiment et d'infrastructure. Pour autant, la pratique se fonde sur la liste d'exceptions à l'obligation d'assurance décennale qui figure à l' pour considérer que la notion d'ouvrage d'infra structure englobe, d'une part, ceux de génie civil et, d'autre part, ceux s'approchant de bâtiments mais relatifs au traitement des eaux ou des déchets. Cela tient au fait que la loi du 4 janvier 1978, dite Spinetta, ne posait le principe d'une obligation d'assurance décennale que pour les « travaux de bâtiment ».
Ainsi, le concours n'est finalement obligatoire que s'agissant d'un noyau dur d'opérations essentiellement relatives à des bâtiments neufs à usage administratif ou d'habitation.
Le recours à des procédures alternatives
Une fois établie la possibilité pour un acheteur d'échapper au concours, il lui faut déterminer quelles procédures alternatives mettre en œuvre.
En deçà des seuils de procédure. Quand l'acheteur ne recourt pas à la technique du concours parce que le montant du marché de MOE est inférieur aux seuils de procédure, il est alors possible de recourir aux marchés à procédure adaptée (Mapa). Du point de vue de la liberté de l'acheteur dans le choix de son maître d'œuvre, les Mapa présentent un double intérêt : les règles de publicité préalables sont plus souples, et les critères de jugement des offres n'ont pas à être pondérés, il suffit de les hiérarchiser. Cette méthode favorise la liberté de choix de l'acheteur mais elle doit être bien encadrée, car elle est porteuse d'un risque juridique au regard du principe de transparence des procédures.
A noter que, dans les cas où le montant du marché est inférieur à 40 000 euros HT, ce qui est peu fréquent pour une mission de MOE, l'acheteur peut même sélectionner directement son maître d'œuvre.
Au-delà des seuils de procédure. Si le montant du marché de MOE à attribuer est supérieur ou égal aux seuils de procédure, l'acheteur doit en principe privilégier le recours à l'une des procédures formalisées énumérées aux articles L. 2124- 2 à L. 2124- 4. Il s'agit de l'appel d'offres ouvert ou restreint, de la procédure avec négociation et du dialogue compétitif. Les deux dernières permettent un meilleur échange avec les candidats. Pour autant, du point de vue de la liberté de choix de l'acheteur, ces procédures sont à l'opposé de l'objectif recherché. Elles impliquent notamment une pondération obligatoire des critères de jugement des offres.
Dans ce cadre, ce n'est que par exception qu'il est possible pour l'acheteur de se soustraire aux obligations de publicité et de mise en concurrence et, ainsi, de conclure directement avec l'opérateur de son choix un marché public de MOE.
Le cas de la procédure négociée sans publicité ni mise enpréalables. A cet égard, parmi les hypothèses permettant de passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables, il en est trois qui retiennent l'attention s'agissant des marchés de MOE : » lorsqu'une « urgence impérieuse résultant de circonstances extérieures et [que l'acheteur] ne pouvait pas prévoir » ne permet pas de respecter les délais minimaux exigés par les procédures formalisées (art. R. 2122- 1).
La jurisprudence interprète cette condition de manière stricte. Il y a urgence impérieuse lorsqu'il s'agit de lancer une opération de reconstruction d'ouvrages d'évacuation des eaux endommagés par une série de précipitations, alors qu'un second épisode d'intempéries est annoncé et menace d'attenter à la sécurité des personnes et des biens (). Il en va de même lorsqu'il s'agit de projeter une opération de consolidation d'ouvrages de bâtiment menaçant de s'effondrer, l'urgence devant en tout état de cause se limiter aux travaux de première nécessité (). A l'inverse, il n'y a vraisemblablement pas d'urgence lorsque l'opération porte sur la reconstruction de bâtiments déjà effondrés (cf. fiche de la Direction des affaires juridiques de Bercy sur l'urgence dans les contrats de la commande publique) ; » lorsque le marché a pour objet « la création ou l'acquisition d'une œuvre d'art ou d'une performance artistique unique » (art. R. 2122- 3, 1°). Les juridictions administratives jugent que tel est le cas lorsqu'un seul opérateur économique est objectivement en mesure de satisfaire le besoin exprimé par l'acheteur. Il convient à cet égard de distinguer l'objet du marché des caractéristiques, notamment artistiques, de celui-ci. S'il existe plusieurs opérateurs en mesure de réaliser un objet, il y a lieu de procéder à une mise en concurrence préalable. Ainsi, l'attribution d'une mission de conception réalisation d'une fontaine doit faire l'objet d'une mise en concurrence, alors même que celle-ci revêt un « caractère original » et que sa réalisation requiert des « compétences particulières » et un « talent artistique ». Un autre concepteur pourrait réaliser ces mêmes prestations (, Rec.). Dans le même sens, la décision d'une commune de conclure un marché de gré à gré pour la réalisation d'une structure monumentale avec un artiste déterminé est illégale pour les mêmes motifs ().
Un marché de MOE pour la réalisation d'un ouvrage nouveau ne peut pas être exempté de mise en concurrence préalable
Il en résulte qu'un marché de MOE pour la réalisation d'un ouvrage nouveau ne peut pas être exempté de mise en concurrence préalable, car un grand nombre de maîtres d'œuvre sont en mesure de l'exécuter. Cette conclusion vaut également s'agissant de l'extension d'un ouvrage existant, même si ce marché est conclu avec le maître d'œuvre initial. Seule la reconstruction à l'identique d'un ouvrage détruit pourrait in fine justifier la conclusion d'un marché de MOE sans publicité ni mise en concurrence avec le titulaire initial… Toutefois, cela doit encore être jugé.
» lorsque l'exécution du marché ne peut être confiée qu'à un seul opérateur économique parce que celui-ci dispose de droits de propriété intellectuelle (art. R. 2122- 3, 3°). Cette hypothèse ne concerne pas les droits moraux dont bénéficient notamment les architectes (). Elle concerne en réalité les droits patrimoniaux du droit d'auteur, qui s'attachent notamment aux études des architectes (croquis, plans…), et la propriété industrielle liée aux brevets (qui concernent plutôt les BET).
En pratique, la jurisprudence administrative a toutefois considéré que la modification ou la rénovation d'ouvrages à partir de plans initiaux protégés par des droits de propriété intellectuelle ne saurait être confiée au maître d'œuvre initial sans publicité ni mise en concurrence au seul motif que celui-ci disposerait de droits sur l'œuvre initiale (cf. conclusions du rapporteur public Nicolas Boulouis sous CE, 13 juillet 2007, précité).
Il en résulte que les droits de propriété intellectuelle ne pourraient justifier l'attribution d'un marché de MOE que dans deux cas. Le premier, lorsque l'acheteur souhaiterait utiliser les études pour reconstruire un autre immeuble à l'identique, sauf dans le cas où le maître d'œuvre aurait cédé ses droits de propriété intellectuelle à l'acheteur dans le cadre du marché initial. Le second, lorsque l'acheteur souhaiterait réaliser un ouvrage dont la conception et la réalisation nécessiteraient l'utilisation de brevets qu'un seul maître d'œuvre détiendrait. Lorsque l'acheteur parvient à démontrer qu'il se situe dans l'une de ces situations, il peut alors sélectionner le maître d'œuvre de son choix, en tenant compte de sa personne, de ses réalisations passées… L'intuitu perso næ est alors à son maximum.
Ace stade, il convient cependant de rappeler que les hypothèses sus-évoquées visent à déroger aux procédures adaptées ou formalisées prévues par le code. Elles sont par conséquent sans effet dans les cas où il n'est pas permis d'exclure l'organisation d'un concours. La passation d'un marché de MOE implique par conséquent d'avoir bien à l'esprit ces différentes catégories de procédures et leurs exceptions.