Alors qu'un quart du littoral français métropolitain est touché par l'érosion et que 1,4 million d'habitants sont exposés au risque de submersion marine, ne serait-il pas temps de déconstruire l'imaginaire balnéaire ? Les effets du changement climatique amplifiant les phénomènes naturels, tempêtes et épisodes caniculaires sont de plus en plus fréquents. Mais le nombre d'habitants ne cesse d'augmenter le long des côtes, et la pression foncière y est trois fois plus forte que la moyenne française métropolitaine selon l'Observatoire national de la mer et du littoral. L'urbanisation et sa focalisation sur le front de mer ont entraîné une tension très forte sur les premiers mètres du littoral. L'interface terre/mer, naturellement mobile, et pourtant large et riche écologiquement, a été réduite à un simple trait que des défenses côtières ont même durci en le fixant (lire p. 52).
Relocaliser les activités. La proposition de loi sur l'adaptation des territoires littoraux au changement climatique a pour but de doter les élus de nouveaux outils juridiques intégrant l'érosion côtière dans les plans de prévention des risques (1). Portée par la députée de Gironde (PS) Pascale Got (lire aussi p. 61) , elle leur permettra de définir une recomposition spatiale et un recul progressif de leur commune. « Les projets de relocalisation des activités et des biens sont très complexes et coûteux pour l'Etat. Cela suppose d'installer les gens ailleurs. Or les alentours sont souvent des espaces protégés, comme les forêts autour des stations balnéaires de la côte aquitaine », constate Olivier Lozachmeur, docteur en droit public, auteur du référentiel loi Littoral pour la Dreal Bretagne. « C'est le paradoxe de la surprotection des paysages. A un moment, tout concept vertueux s'oppose à un autre concept vertueux, il va falloir faire des choix », confirme le paysagiste Alfred Peter. « Ceux qui ont “ les pieds dans l'eau ” ou vue sur la mer accepteront difficilement, voire jamais, d'aller à l'arrière avec vue sur un rond-point.
Les gens sous- estiment le risque, surévaluent leurs biens et préfèrent demander des enrochements », poursuit Olivier Lozachmeur.
« Avant de construire, il faut penser le territoire. L'intérêt des schémas de cohérence territoriale (Scot) et des plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi), c'est d'avoir un projet plus large que l'échelle de la commune », explique Odile Gauthier, directrice du Conservatoire du littoral. L'idée consiste à retrouver une culture littorale qui permette aux habitants de vivre avec le risque, grâce à une réflexion paysagère et non pas technologique. « Au lieu de rêver à des solutions de compensation type maisons sur pilotis ou villages flottants, il est temps de travailler à des recompositions spatiales solidarisant le littoral et l'arrière-pays. Il faut aussi intégrer les rétro-littoraux pour créer des aménagements en profondeur avec de nouveaux types de transports donnant un accès direct et aisé à la mer », analyse Jean Richer, architecte en Charente-Maritime, fondateur de l'association Villefluctuante. Ce dernier rend hommage à la mission interministérielle pour l'aménagement de la côte aquitaine (Miaca) qui, entre 1967 et 1988, a favorisé la confrontation de villages en retrait du littoral et d'« antennes » en bord de plage, avec, entre les deux, des résidences noyées dans une végétation parsemée d'étangs. Mais la Miaca était loin d'anticiper le nombre actuel d'habitants et d'estivants…
« Il est temps de travailler à des recompositions spatiales qui solidarisent le littoral et l'arrière-pays. »
Imaginer un autre tourisme. « La Grande-Motte, dans l'Hérault, était une réussite dans l'occupation du site, mais n'a pas été suivie par une vraie politique du littoral qui aurait dû imposer des morceaux d'urbanisation tous les 50 km et rien entre eux. Le problème, ce sont tous les “ génériques ” qui se sont installés autour dans une logique de profit immédiat et avec une architecture déplorable », regrette Alfred Peter qui a mené la renaturation du lido (cordon littoral) du Petit et du Grand Travers entre Carnon et La Grande-Motte. Le paysagiste suggère « d'imaginer une autre forme de tourisme où la vue sur la mer ne serait plus livrée aux vacanciers d'une manière un peu obscène comme une attraction que l'on doit mercantiliser à tout prix. » Lui aussi préconise de se fondre à l'arrière dans le paysage et d'aménager, sur le dernier kilomètre avant la plage, des systèmes de transports qui feraient oublier la voiture, tels des pistes cyclables ou des tramways hippo mobiles, comme il l'avait projeté pour le mont Saint-Michel. (suite de la p. 55) La proposition de loi prévoit aussi la possibilité de maintenir des activités économiques ou de construire des logements sur des territoires menacés à moyen terme par l'érosion, via les zones d'activité résilientes et temporaires. Les architectes se voient ainsi offrir un champ d'expérimentation sur un nouvel habitat provisoire ou rapidement déplaçable à moindre coût pour accompagner le recul du trait de côte. « Aujourd'hui, dans la loi Littoral, il n'y a pas de marges de manœuvre pour l'expérimentation car quasiment toute installation est assimilée à une construction. Pour réfléchir à d'autres formes d'urbanisation, il faut la modifier en introduisant les notions de qualité et de réversibilité », estime Olivier Lozachmeur. De son côté, Alfred Peter s'interroge : « Ce système serait ingérable, ça commence par une caravane qui devient une cabane et ça finit en pavillon. Il suffit de voir ce qui s'est passé sur le littoral languedocien ! Vivre avec la menace est une question excitante, notamment pour un architecte, mais qui va contrôler la résilience à moyen et long terme ? »
Son examen reprendra lors de la prochaine session parlementaire en octobre.
