Décryptage

Commande publique : les Semop, une croissance à petits pas

Dix ans après sa naissance, la société d'économie mixte à opération unique ne suscite qu'un faible engouement. Malgré ses atouts, les collectivités sont peu nombreuses à s'en emparer.

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Semop
Les services publics de l'eau et de l'assainissement sont les domaines de prédilection des Semop, que l'on retrouve tout de même dans des secteurs très variés.

En juin, était créée la 50e société d'économie mixte à opération unique (Semop) par la communauté d'agglomération de Nevers (Nièvre) pour la gestion de son réseau d'assainissement, en remplacement de l'actuelle délégation de service public (DSP) qui court jusqu'à la fin de l'année. « Les Semop sont nées il y a dix ans de la nécessité de récupérer certaines longues DSP, dans lesquelles l'acteur public a un peu disparu, rappelle Jean-Léonce Dupont, auteur de la loi du 1er juillet 2014 qui a institué cet outil en France. Elles permettent de conserver l'expertise et la compétence du partenaire privé, tout en donnant davantage de contrôle à la personne publique. » Ces sociétés sont ainsi dédiées exclusivement à l'exécution d'un unique contrat de la commande publique, le plus souvent une concession, dont elles deviennent titulaires. Elles associent un opérateur économique, détenteur d'au moins 15 % de l'actionnariat, et une collectivité territoriale, disposant a minima d'une minorité de blocage, soit 34 % des droits de vote.

Une association entre public et privé qui a suscité de la défiance, se souvient l'ancien parlementaire. De la part de l'Etat, qui jugeait ce mélange des genres trop risqué pour les collectivités, mais aussi de la part des entreprises. « Dans un premier temps, nous étions sceptiques car ce changement culturel implique que chaque partie considère qu'elle peut fréquenter l'autre, reconnaît Hubert du Mesnil, président de l'Institut de la gestion déléguée, fondation d'entreprises qui réunit notamment Veolia et la Saur. Mais c'est finalement un montage qui fonctionne plutôt bien. »

Parties prenantes. Pour les collectivités, les Semop sont un outil pour suivre de près un service délégué. « Les élus accèdent à davantage d'informations, comme les rapports des commissaires aux comptes, explique Jérôme Netter, directeur d'Opalia (filiale de Suez et de Vert Marine), associé privé de la Semop créée en 2017 pour exécuter la concession relative à la construction et l'exploitation du centre aquatique de Rillieux-la-Pape (Rhône). Ils sont aussi plus présents dans l'exécution du contrat, en particulier pour les grandes orientations. » Une implication qui doit toutefois rester raisonnable, juge le dirigeant. Opalia souhaite ainsi conserver sa part majoritaire dans la société. « Si le concédant a aussi la main sur le concessionnaire, alors il vaut mieux opter pour une gestion en régie », estime-t-il.

Frédéric Lemerre, directeur opérationnel chez Eiffage Aménagement, actionnaire de la première Semop d'aménagement créée en France, en vue de transformer en écoquartier l'ancien site de l'Ecole centrale à Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine), souligne lui aussi le rôle accru joué par la collectivité : « La prise de décision y est beaucoup plus cadrée que dans une concession d'aménagement “classique”, car tous les actionnaires doivent être d'accord. Des comités de pilotage et des validations en conseil de surveillance ont lieu très régulièrement. »

Dialogue. L'intuitu personæ serait aussi plus fort entre associés d'une société que dans le rapport traditionnel entre concédant et concessionnaire. « Les relations humaines comptent beaucoup, car la Semop nous oblige à vraiment nous parler et à trouver des points de convergence, comme en ce moment où la crise immobilière peut rendre les arbitrages plus compliqués », poursuit Frédéric Lemerre.

Ces liens sont définis dans un pacte d'actionnaires, qui complète les statuts de la Semop. Laquelle est forcément une société anonyme, obéissant aux règles du Code de commerce. « Le contrat de concession fixe les missions dévolues à la Semop. Les statuts précisent les règles de gouvernance de la société. Quant au pacte d'actionnaires, c'est un document important parce qu'il régit notre mariage », résume Frédéric Lemerre. Un assemblage particulier, mêlant droit public et droit privé, qui se structure à l'issue d'une procédure de publicité et de mise en concurrence. Celle-ci obéit aux mêmes règles que l'attribution d'un contrat de la commande publique, « avec la particularité que le candidat retenu devient l'actionnaire de la Semop, précise- t-il. Il a ainsi fallu que nous donnions dans notre offre un avis sur sa constitution et sa gouvernance. »

Fort investissement des collectivités. Après une décennie d'existence, ces sociétés restent encore peu nombreuses. Les freins à leur création sont peut-être à trouver du même côté que les atouts. L'immixtion des collectivités dans le service exige en effet des compétences, dont toutes ne sont pas dotées. « Les Semop demandent un investissement très important de la part des personnes publiques, estime le directeur opérationnel chez Eiffage Aménagement. Il faut qu'elles soient structurées et que les élus soient en capacité de décider rapidement. » De plus, les collectivités ne sont pas forcément familières avec le droit des sociétés.

Autre contrepartie au pouvoir de contrôle accordé aux collectivités : le partage du risque, qui peut leur faire peur. « Qui dit 34 % de l'actionnariat, au minimum, dit 34 % des bénéfices mais également des pertes », avance Frédéric Lemerre. Les entreprises aussi peuvent hésiter à se lancer, les perspectives de gains étant limitées par rapport à un marché public ou une concession classique. « Une Semop peut être un amortisseur de risques, mais l'entreprise n'a pas non plus toute la rentabilité de l'opération », note ainsi Jérôme Netter.

Pour Jean-Léonce Dupont, le partage du risque devrait plutôt jouer en faveur des Semop, pensées en 2014 comme une réponse à la méfiance croissante dont les contrats de partenariat (PPP) faisaient alors l'objet : « Dans ces derniers, il s'agissait le plus souvent d'un partage léonin, en faveur de l'acteur privé. Dans les Semop, les deux parties sont gagnantes. » L'ancien sénateur avance une autre explication à leur faible attractivité : « Pour les mettre en place, il faut que les DSP en cours, souvent longues, arrivent à leur terme. » C'est pour cette raison que l'ancien sénateur, aujourd'hui à la tête du conseil départemental du Calvados, a attendu 2023 pour créer une Semop consacrée à la gestion de ses sept ports, auparavant objets d'une vingtaine de DSP différentes sur lesquelles la collectivité voulait reprendre la main.

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