Interview

Commande publique : « Le sujet de l'achat local n'est plus un tabou au niveau européen », Clémence Olsina, directrice des affaires juridiques du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie

La nouvelle directrice des affaires juridiques de Bercy prépare des mesures de simplification et de renforcement de la souveraineté économique.

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Vous êtes engagée dans une démarche de simplification de la commande publique. Quel est l'objectif ?

Il s'agit notamment de permettre à un plus grand nombre de PME et de TPE d'y accéder. C'est l'une des priorités du gouvernement. Cela passe sur le plan normatif par le projet de loi relatif à la simplification de la vie économique (SVE) et par un projet de décret - qui devrait être publié d'ici la fin de l'année -, mais aussi par l'accompagnement des parties prenantes, par exemple grâce aux guides et fiches mis à disposition sur notre site.

Le projet de loi SVE sera examiné mi-décembre à l'Assemblée nationale. Quel regard portez-vous sur les apports du Sénat au volet commande publique ?

Je salue en particulier une série de dispositions qui visent à favoriser la construction de logements, comme l'extension du recours au partenariat public-privé institutionnalisé ou l'assouplissement du régime des Vefa et Befa, notamment sur le plan des règles d'exécution financière. Le gouvernement soutient ces avancées. En revanche, il a émis un avis défavorable sur d'autres mesures du fait de leur contrariété avec le droit de l'Union européenne.

Prévoyez-vous de rétablir la mesure visant à unifier le contentieux de la commande publique au profit du juge administratif, supprimée par les sénateurs ?

Il s'agit d'une disposition qui n'a pas fait l'unanimité.

Or, ce n'est pas une réforme que nous voulons faire contre les acteurs concernés, à savoir les personnes privées soumises au Code de la commande publique. Le gouvernement ne déposera donc a priori pas d'amendement en ce sens.

Place, la plateforme de dématérialisation des procédures de marchés publics de l'Etat, pourra-t-elle accueillir davantage d'acheteurs ?

Le projet de loi SVE vise à élargir, au plus tard fin 2028, le recours obligatoire à Place à toutes les personnes publiques, hors secteur public local, et aux organismes de sécurité sociale. Il faut que la plateforme soit en mesure d'accueillir correctement et prioritairement tous ces nouveaux acteurs.

Il y a en revanche un débat à poursuivre sur son extension aux collectivités qui voudraient l'utiliser de façon facultative, comme l'a souhaité le Sénat par amendement.

Le plafond de 100 000 euros de dispense de formalités pour les marchés de travaux sera-t-il pérennisé ?

Les fédérations professionnelles et les acheteurs sont unanimes pour dire que ce seuil a facilité l'accès des PME aux marchés publics de travaux. C'est ce qui a conduit les sénateurs à l'introduire dans le projet de loi SVE. Dans la même logique, le projet de décret augmente à 20 % au lieu de 10 % la part à réserver aux PME dans les marchés globaux et les marchés de partenariat.

L'alignement du taux d'avances dans les marchés des collectivités passés avec les PME (10 % aujourd'hui) sur celui applicable aux marchés de l'Etat (30 %), que ne prévoit finalement pas le projet de décret, est-il abandonné ?

Nous voulons poursuivre les réflexions. C'est une mesure plus délicate à adopter dans le contexte budgétaire, au regard notamment de son impact sur l'endettement des collectivités.

La candidature simplifiée avec un simple numéro de Siret est-elle toujours à l'ordre du jour ?

C'est un chantier organisationnel et de pilotage de transformation numérique sur lequel nous continuons de travailler. Nous devrons articuler cette candidature simplifiée avec le Dume, document de candidature obligatoire au niveau européen. Ce dispositif pourrait ainsi concerner prioritairement les TPE/PME, qui représentent la majorité des contrats attribués. Les réflexions sont en cours.

La loi Climat et résilience prévoit qu'au plus tard en août 2026 tous les marchés publics devront comporter une considération environnementale.

Comment accompagnez-vous les acheteurs ?

Ce n'est pas totalement nouveau de faire de l'achat durable ! L'enjeu est aujourd'hui de diffuser les bonnes pratiques.

Nous avons mis à disposition des ressources en ligne avec des précisions sur les modalités d'application de cette loi et des exemples de traduction opérationnelle par secteur.

Avec les restrictions budgétaires qui se dessinent pour les collectivités, craignez-vous un retour du moins-disant ?

Le bon emploi des deniers publics est inhérent au droit de la commande publique. Mais l'achat public doit se concevoir au niveau des collectivités comme une politique de moyen et de long terme pour éviter que les secousses budgétaires ponctuelles ne soient le premier prisme des acheteurs. Le prix est une donnée essentielle. Cependant, un bon achat intègre une dimension qualitative qui va bien au-delà. C'est le sens, notamment, des schémas de promotion des achats socialement et écologiquement responsables (Spaser).

Si certains acheteurs ne jouent pas le jeu en 2026, quelle pourrait être la sanction ?

Avant de parler de censure, il y a tout un travail central de pédagogie et d'accompagnement à réaliser, ce qui sera plus efficace pour faciliter l'acceptabilité et la mise en œuvre des obligations. Après, en cas de manquement, il pourra toujours effectivement y avoir des contentieux qui se nouent, des recours de concurrents évincés. Notre rôle à ce stade est d'apporter la sécurité juridique dans cette évolution des pratiques d'achat.

Que pensez-vous de l'idée proposée par le cabinet Carbone 4 d'imposer un critère carbone ?

Cela rejoint les objectifs inscrits dans la loi Climat et résilience. Mais si les critères environnementaux peuvent inclure la prise en compte de l'impact carbone, ils vont bien au-delà.

Il est préférable de laisser de la souplesse sur la définition des critères pour favoriser la transition des politiques d'achat.

Les difficultés remontées sur les formulaires européens d'avis de publicité des marchés publics (e-forms), entrés en vigueur début 2024, sont-elles réglées ?

De façon générale, les éditeurs [de plateformes marchés publics, NDLR] ont plutôt été au rendez-vous des e-forms.

Ces outils de dématérialisation de la commande publique sont indispensables. Mais nous devons veiller à ce qu'ils soient véritablement des instruments de simplification. Nous avons demandé à Bruxelles que ces formulaires restent stables dans le temps, et qu'ils ne soient pas excessivement alourdis de nouveaux champs.

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« Si les critères environnementaux peuvent inclure la prise en compte de l'impact carbone, ils vont bien au-delà. »

Quel est l'enjeu du règlement Net Zero Industry Act, entré en vigueur le 29 juin, pour la commande publique ?

Il vise à promouvoir le développement des technologies propres en Europe. Certains secteurs à forte valeur ajoutée, comme celui des pompes à chaleur, des batteries, des dispositifs de production d'énergie éolienne ou solaire, vont faire l'objet de façon systématique de critères liés à la durabilité, dans les contrats d'un montant supérieur aux seuils européens. Il y a également des obligations en termes de résilience. Lorsque la Commission constatera qu'il existe une dépendance de l'Europe à certains pays tiers, alors les acheteurs devront imposer que 50 % au moins des produits acquis dans la filière concernée y soient fabriqués.

Que faut-il attendre du chantier de révision des directives européennes de 2014 qui débute ?

Bruxelles va mener une phase de consultation qui occupera l'année 2025. Nous allons y participer très activement.

Trois enjeux nous animeront. Un, la simplification.

Deux, l'intégration de toutes les nouvelles priorités en matière d'achat durable. Et trois, la souveraineté économique. En bref, c'est le sujet de l'achat local - qui n'est plus un tabou au niveau européen.

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