La question de la compétence juridictionnelle est de plus en plus délicate dans le cadre du contentieux contractuel. La qualification de pouvoir adjudicateur du cocontractant ou encore les éléments du contrat tels que l'occupation du domaine public ou la définition des missions attribuées sont autant d'éléments pouvant jouer sur la qualification du contrat et/ou la compétence juridictionnelle.
Le double intérêt contentieux du déclinatoire de compétence
Face à ces problématiques, lorsque le litige est porté devant le juge judiciaire, il est d'usage de soulever une exception d'incompétence avant toute défense au fond. Mais son appréciation relève de la seule analyse du juge ().
Intervention du préfet… Un autre outil contentieux peut être utilisé : le déclinatoire de compétence. Il permet l'intervention du préfet dans le cadre d'un différend relatif à la compétence du juge saisi. Il s'agit d'un acte d'autorité qui a un effet direct sur la procédure en cours et non d'un acte des parties comme l'exception d'incompétence. Le préfet peut en effet demander à la juridiction saisie de décliner sa compétence, alors même que l'administration ne serait pas en cause (art. 13 de la loi modifiée du 24 mai 1872 relative au Tribunal des conflits).
L'intérêt de cette procédure est double. D'une part, dans le cadre d'un litige portant sur l'incompétence du juge judiciaire, elle fait intervenir un tiers, personne publique, présentant une analyse concordante relative à l'incompétence de ce juge, ce qui renforce la position de la partie ayant intérêt à soulever cette incompétence.
…même tardivement. D'autre part, le déclinatoire de compétence impose au juge judiciaire de se prononcer sur sa compétence. Or il peut être formé à tout stade de la procédure, tant qu'il n'a pas été statué sur la compétence par une décision passée en force de chose jugée ( relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles). Par conséquent, si l'exception d'incompétence n'a pas été soulevée avant toute défense au fond ou que la problématique n'apparaît qu'au stade de l'appel, la partie y ayant un intérêt dispose d'un outil supplémentaire pour contraindre le juge à se prononcer sur sa compétence avant toute analyse du litige sur le fond. Et ce, très tardivement, puisqu'il peut régulièrement adresser un déclinatoire alors même que l'audience s'est déjà tenue (, publié au Recueil).
La mise en œuvre de la procédure
Le déclinatoire de compétence est une procédure issue de l'ordonnance du 1er juin 1828 relative aux conflits d'attribution entre les tribunaux et l'autorité administrative. Elle est aujourd'hui encadrée par la modifiant la loi de 1872 et par le décret du 27 février 2015 précité qui reprennent l'essentiel de la jurisprudence du Tribunal des conflits, facilitant sa mise en œuvre.
Motivation rigoureuse de la demande. Tout d'abord, le déclinatoire de compétence relève du pouvoir discrétionnaire du préfet qui a la faculté - et non l'obligation - de le former. Il est donc indispensable de motiver sa demande afin de convaincre le préfet de son utilité.
En pratique, ayant la qualité de tiers au contentieux dans le cadre duquel la question se pose, le préfet du département est généralement saisi par une partie à l'instance qui l'informe de l'incompétence de la juridiction judiciaire (T. confl., 2 juillet 1898, « Jules Rolland c/Etat », DP 1900. 3. 11 ; , Rec.).
Si l'intéressé n'intervient qu'au stade de l'information du préfet, il est primordial que sa saisine contienne l'ensemble des éléments requis afin de s'assurer de la recevabilité du déclinatoire lorsque celui-ci sera déposé par le préfet. En effet, en pratique, la saisine rigoureusement motivée pourra être reprise par le préfet dans son déclinatoire.
Le déclinatoire de compétence relève du pouvoir discrétionnaire du préfet qui a la faculté - et non l'obligation - de le former
Rédaction du déclinatoire. Aucune forme particulière n'est imposée s'agissant de la rédac- tion du déclinatoire. Celui-ci peut être présenté sous la forme d'une simple lettre ou d'un mémoire, mais son contenu doit respecter deux conditions sous peine d'irrecevabilité (, publié au Bulletin) :
- Une motivation précise de l'incompétence, en fait et en droit. Il est donc nécessaire d'accompagner le déclinatoire des pièces permettant de le soutenir. Bien qu'il ne s'agisse plus d'une obligation légale, il est en outre préférable de rappeler au sein du déclinatoire les dispositions interdisant aux tribunaux judiciaires de connaître des actes de l'administration.
- Une désignation spéciale et non générale de la juridiction compétente : indiquer de façon suffisamment claire et précise la juridiction administrative territorialement compétente.
Procédure doublement contraignante. Le déclinatoire régulièrement motivé est communiqué par le préfet au greffe de la juridiction qui le transmet pour observation aux parties et pour avis au ministère public. En pratique, il est courant que les parties soient informées une fois que le ministère public a remis son avis, en vue de présenter leurs observations.
La question de l'incompétence de l'ordre juridictionnel saisi fait ainsi l'objet d'une double appréciation, du préfet et du parquet, ce qui renforce le caractère contraignant de la procédure.
Décision du juge. Le juge statue enfin sur le déclinatoire. S'il se considère incompétent, il invite le requérant à mieux se pourvoir. A l'inverse, si ce juge confirme sa compétence, le préfet a la possibilité d'élever le conflit en saisissant le Tribunal des conflits par arrêté, ce qui suspend la procédure judiciaire jusqu'à la décision du juge des conflits.
Enfin, il convient de souligner que s'il apparaît, après communication du déclinatoire au greffe, qu'une irrégularité entache l'acte d'irrecevabilité, le préfet doit alors substituer un nouveau déclinatoire de compétence au premier, reprenant l'ensemble des arguments développés en plus des éléments faisant défaut et non pas uniquement compléter le premier acte par un déclinatoire complémentaire (, Bull.).
Les limites du déclinatoire de compétence
La mise en œuvre de cette procédure doit être pensée dans une stratégie d'ensemble. En effet, s'agissant d'une faculté du préfet et non d'une obligation, rien ne garantit qu'il se saisisse de l'incompétence dont il est informé et décide de former un déclinatoire de compétence.
Ainsi, dans le cadre d'un contentieux dans lequel l'Etat est partie, il convient de garder à l'esprit que le préfet du département est une autorité déconcentrée : il s'agit du représentant de l'Etat. Cette implication a deux conséquences. Premièrement, le préfet peut tout simplement refuser de se saisir de l'incompétence du juge. Dans cette hypothèse, il est indispensable d'anticiper d'autres solutions au litige.
Deuxièmement, si le préfet décide de former un déclinatoire de compétence, il peut le retirer avant que le juge ne se prononce. Cela peut notamment être le cas dans l'hypothèse où l'administration centrale émettrait un avis contraire à celui du préfet concernant l'incompétence du juge judiciaire, imposant ainsi au représentant de l'Etat de suivre l'analyse de l'autorité centrale.
L'intérêt du déclinatoire de compétence peut ainsi avoir des limites dans le cadre de certains litiges auxquels l'Etat serait partie. Il convient par conséquent d'appréhender le recours à cette procédure en fonction des enjeux du litige dans le cadre duquel le préfet est saisi.