L'article 35 de la loi Climat et résilience du 22 août 2021, mis en musique par le , donne le ton : en 2026, l'achat public sera vert ou ne sera pas. A cet horizon en effet, les acheteurs publics seront tenus d'intégrer des considérations environnementales dans les spécifications techniques au stade de la définition du besoin, dans les conditions d'exécution des marchés et même dans les critères de sélection des entreprises. Une petite révolution, en somme.
Une pratique balbutiante
Les conséquences de ces futures obligations sont évidemment lourdes. « On observe une certaine frilosité dans la prise en compte des critères environnementaux dans les marchés publics, constate Adrien Fourmon, avocat counsel au cabinet Jeantet. Cela peut s'expliquer par un manque de recul, de savoir-faire, mais aussi par l'appréhension d'un risque juridique. En effet, le juge administratif, même s'il semble ouvrir une brèche sur certains sujets comme la RSE, continue de sanctionner les critères d'attribution qui ne sont pas liés à l'objet du marché. Il n'est donc pas impossible de voir s'installer une prise en compte a minima de ces enjeux environnementaux. »
Un prestataire particulier. Pour les marchés de prestations intellectuelles, ce constat est encore plus prégnant, car il s'agit, pour grossir le trait, d'un achat de matière grise ayant peu d'impact sur l'environnement. La prise en compte de ces considérations s'apparente alors plus à du saupoudrage de mesurettes, s'attaquant par exemple aux modes de déplacement des prestataires, qu'à une réelle recherche de résultat. Mais parmi ces marchés, ceux de maîtrise d'œuvre sortent du lot, compte tenu du rôle intrinsèque du maître d'œuvre dans une construction. Sa tâche principale est évidemment la conception d'un ouvrage. Mais la mission de base comporte aussi, comme le rappelle Christophe Mérienne, président de la commission juridique de Syntec-Ingénierie, « un volet assistance pour la passation des marchés de travaux (ACT) [, NDLR]. Concrètement, le maître d'œuvre prépare l'ensemble des pièces administratives et techniques permettant de lancer la consultation des entreprises de travaux. Par ailleurs, il est force de proposition quant à la détermination des critères des marchés de travaux et de leur pondération. Enfin, il assiste le maître d'ouvrage lors de l'analyse des offres. » Or, aujourd'hui, souligne Christophe Mérienne, « la problématique d'un acheteur public est avant tout de réaliser un bon achat, qui se résume bien souvent à apprécier la valeur technique d'une offre ainsi que son prix ». Toutefois, au vu des nouvelles obligations, « celui-ci devra inévitablement prévoir des critères d'attribution permettant de mesurer la capacité du maître d'œuvre à traduire dans les documents de consultation des entreprises de travaux les exigences environnementales. »
Eviter le greenwashing
Dès lors, l'équation à résoudre prend forme. D'un côté, Tatiana Lécossais, ingénieure chargée de l'intégration de la transition écologique dans les contrats de la commande publique à la métropole et la Ville de Nantes, le confirme : « Dans les cas où nous l'avons testé, c'est bien le critère environnemental qui devient discriminant pour sélectionner le maître d'œuvre, plus que la valeur technique ou le prix. » La chargée de mission considère même qu'un bon critère environnemental doit être porté à 15 % de la note finale compte tenu des différentes facettes qu'il peut présenter. En dessous, affirme-t-elle, « c'est du greenwashing ».
Valorisation de l'offre. De l'autre côté, Benoît Gunslay, juriste au Conseil national de l'ordre des architectes, pense que ce n'est pas si simple. « Le critère de choix ne doit pas être un simple critère de conformité, mais bien un élément qui permet d'apprécier qualitativement l'offre. Or, une fois que l'acheteur aura précisé ses attentes environnementales dans les spécifications techniques, c'est-à-dire dans le cahier des charges du marché, il va lui falloir analyser la valeur ajoutée de l'offre du maître d'œuvre sur cet aspect. Dans un secteur d'achat où la dimension environnementale est évidente quant aux résultats attendus mais plus difficile à cerner pour la réalisation des prestations en tant que telles, cela ne sera pas si facile. »
Le critère de choix doit être un élément qui permet d'apprécier qualitativement l'offre
L'anticipation comme maître mot
Pour relever ce défi, « l'achat public va devoir se professionnaliser, et les acteurs monter en compétence et faire preuve d'imagination », résume Tatiana Lécossais. Insérer une clause efficiente est un travail de longue haleine. « Le temps qu'elle soit rédigée, que le maître d'œuvre soit mis en concurrence, qu'il réalise ses études et que les travaux soient exécutés, il peut se passer jusqu'à cinq années. Et on estime qu'il faut au moins trois itérations pour que la clause soit au point, soit quinze ans ! » détaille l'ingénieure. Au fil de ses premières tentatives, cette dernière a dégagé quelques règles clés. « Il est important que le critère retenu par l'acheteur soit précis et transparent, car l'environnement, à la différence de la clause sociale qui se résume bien souvent à des heures d'insertion, couvre de nombreux sujets. »
Bien accompagné. De son côté, Anthony Delabroy, chargé de projets achats au sein de la plate-forme régionale des achats de l'Etat en région Hauts-de-France, mise sur l'anticipation « pour établir des clauses efficaces ». Il conseille en particulier aux acheteurs de privilégier les échanges de bonnes pratiques entre pairs via les réseaux locaux, tel l'observatoire de la commande publique des Hauts-de-France. Et suggère de recourir à une pratique peu répandue : faire appel à un assistant à maîtrise d'ouvrage (AMO) pour la passation du marché de maîtrise d'œuvre. « Souvent, les petites structures ont de bonnes idées, mais ne sont pas outillées. On peut alors imaginer qu'elles se fassent accompagner par un AMO qui les aidera à construire leur marché en intégrant les considérations environnementales dans toutes leurs dimensions. »
Un cadre de référence. De manière générale, les acteurs attendent un soutien extérieur. « Il faut aider les maîtres d'ouvrage publics, car l'ampleur du travail est immense, plaide Tatiana Lécossais. Partout, on a besoin d'outils partagés. » La chargée de mission attend en particulier de l'Etat des guides opérationnels, « comprenant des critères et des clauses types que l'on pourrait insérer dans nos consultations ». Cela serait également important pour les entreprises qui font face à des donneurs d'ordres publics ne rédigeant pas les critères de la même façon. « Pour ne pas trop les déstabiliser, un cadre partagé, qu'on ne serait pas obligé de suivre mais qui servirait de référence, serait le bienvenu », estime Tatiana Lécossais.