Le recours au marché public global de performance (MPGP) pour la construction ou la réhabilitation des bâtiments s'est non seulement banalisé, mais il est même favorisé par l'Etat, dans le cadre du plan de relance notamment. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 165 projets de rénovation énergétique des bâtiments de l'Etat représentant 1,1 milliard d'euros ont été réalisés sous la forme de marchés globaux - de performance ou de conception-réalisation (1). Récemment, la Direction immobilière de l'Etat a annoncé investir 1 milliard d'euros dans la rénovation thermique de 37 cités administratives, profitant notamment des économies d'énergie générées par ce modèle de contrat.
Une utilisation timide pour les infrastructures. En matière d'infrastructures en revanche, l'utilisation des marchés globaux se fait timide. Est-ce par méconnaissance des acheteurs ? Ou bien les MPGP seraient-ils moins efficients pour les infrastructures que pour les superstructures ? La sobriété serait-elle l'apanage des bâtiments ? Ces questions sont d'importance à l'heure où la commande publique se doit de participer à l'atteinte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale ( [CCP]).
Il est d'ailleurs temps de prendre conscience que le rôle des infrastructures dans la transition bas carbone et l'adaptation au changement climatique de la France est aussi important que celui des bâtiments. En effet, 3,5 % des émissions de CO2 sont liés à la réalisation des infrastructures, et plus de 50 % des émissions résultent de leur utilisation (2). Il n'y a donc plus de doute sur l'effet de levier de la commande publique en matière de décarbonation de la construction des infrastructures et ses usages.
La loi MOP à l'aune des enjeux actuels
Reste à savoir si le CCP, et plus spécifiquement les dispositions aujourd'hui codifiées de la au sein du livre IV (art. L. 2410-1 à L. 2432-2), sont de taille à relever ce défi.
Un héritage historique. Lorsqu'en 1982, le Premier ministre Pierre Mauroy avait confié à Jean Millier, président de la Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques (Miqcp), une mission d'études et de propositions sur la réforme de la commande publique d'ingénierie et d'architecture - qui débouchera sur la en 1985 -, le gouvernement entendait stopper la frénésie de (re) construction de l'après-guerre au profit d'une politique d'amélioration des constructions publiques et de préservation du patrimoine architectural.
Cet héritage historique explique pourquoi les contraintes législatives qui s'imposent à la maîtrise d'ouvrage publique n'ont pas intégré la préoccupation - aujourd'hui urgente - du développement durable. De même, les missions de maîtrise d'œuvre ne comportent pas de missions spécifiques sur ce point.
Entretien indispensable. Bien plus, la codifiée ne s'intéresse à l'usage de l'ouvrage que sous l'angle de la programmation. Des obligations aussi essentielles que l'exploitation technique, l'entretien et la maintenance des ouvrages ne sont pas abordées. L'entretien des infrastructures est pourtant indispensable, tant pour des raisons économiques qu'environnementales, comme l'a récemment relevé la Cour des comptes (3) : « Bien que la préservation du patrimoine routier constitue un enjeu bénéficiant actuellement d'une réelle prise de conscience, en raison d'un vieillissement incontestable et de la perception largement répandue d'une certaine détérioration, celle-ci apparaît tardive et la politique d'entretien reste encore trop souvent une variable d'ajustement. » Entre autres exemples, une étude publiée dans la « Revue générale des routes et de l'aménagement » en septembre 2021 montre une augmentation significative - de 21 % à 93 % -, sur une période de référence de cinquante ans, des émissions de gaz à effet de serre (GES) d'une maintenance non programmée par rapport à une pratique d'entretien régulier. Une étude de l'Association espagnole des routes en 2018 pointe, pour sa part, une augmentation de 4 à 6 % des émissions de GES pour le trafic poids lourds et jusqu'à 10 % pour les véhicules légers en cas de circulation sur une chaussée très abîmée. Ces études soulignent qu'en complément des baisses d'émissions directes dans les opérations de maintenance, un entretien mieux programmé peut réduire jusqu'à 40 % les émissions résultant de l'usage sur cette même période d'exploitation de cinquante ans.
En France, le réseau routier pourrait voir 62 % de ses chaussées atteindre un état d'usure grave en moins de vingt ans si l'effort d'entre tien reste à son niveau actuel (4). Or on sait que la maintenance préventive voire prédictive permet d'éviter les détériorations sévères en chaîne et des reconstructions dispendieuses qui contribuent aux émissions carbone. Il est également admis que, sans entretien, une chaussée après dix ans est usée à 40 % et qu'il lui reste 25 % de durée de vie si rien n'est fait. L'effort financier pour sa remise à niveau représente alors de huit à dix fois le coût d'une maintenance suivie. Avec un entretien à partir de la cinquième année, une chaussée est usée à 20 % et il lui reste entre 60 et 70 % de durée de vie si les programmes de maintenance sont suivis (5).
Or le MPGP non seulement rend la maintenance incontournable, mais plus encore il participe à son efficience.
La prise en compte du développement durable à un coût acceptable
Le droit de la commande publique n'est plus un terrain d'affrontement entre les partisans d'un droit strictement concurrentiel visant à obtenir le meilleur achat au meilleur prix et les défenseurs d'un droit « régulateur » au service des politiques publiques. Le développement durable a fait sa place dans les règles de la commande publique. Aussi, dans le contexte budgétaire tendu que nous connaissons, l'achat public durable fait peur, et les acheteurs sont parfois paralysés par les surcoûts réels ou supposés des exigences environnementales. Le MPGP paraît répondre à cette préoccupation.
Coût global. Son économie vertueuse pour le maître d'ouvrage est assez simple à saisir. Concepteur, entreprise de travaux et mainteneur sont associés dans un même projet de sorte que les coûts de maintenance sont optimisés par une conception adaptée. Ainsi, le groupement titulaire est incité à ne négliger ni la conception, ni la réalisation pour ne pas alourdir ses frais de maintenance. De surcroît, la maintenance augmente la durabilité de l'ouvrage de manière significative. Certes le MPGP ne fait pas baisser les coûts induits par la prise en compte du développement durable mais, contrairement aux montages contractuels dissociant la conception, la réalisation et la maintenance, il garantit un coût global de l'ouvrage, coût global lui-même optimisé par l'objet composite du marché.
L'engagement de performance sur les objectifs de développement durable
La particularité du MPGP résulte des objectifs de performance qui sont assignés au titulaire, lequel doit s'engager notamment en termes de niveau d'activité, de qualité de service, d'efficacité énergétique et d'incidence écologique ().
Souvent, en marchés publics, les obligations en matière de développement durable résultent : soit d'engagements du titulaire, inscrits dans son mémoire technique, parce que le maître d'ouvrage entendait valoriser la dimension environnementale de l'offre par un critère de choix adapté ; soit de contraintes fixées par le maître d'ouvrage dans le cahier des clauses techniques particulières (CCTP). Dans l'un comme l'autre cas, le titulaire s'engage sur le respect d'obligations mais pas sur des résultats chiffrés. En imposant des obligations performancielles qui conditionneront le niveau de rémunération du titulaire, le MPGP permet au contraire de s'assurer de l'efficience de l'offre en matière environnementale. Pour peu que la performance assignée au titulaire soit sérieuse, le MPGP n'est pas un outil marketing au service de l'écoblanchiment.
Bilan carbone. Ainsi pourront être utilisés des objectifs de performance mesurables comme le bilan carbone de l'ouvrage pendant sa construction mais également en phase de maintenance, ce qui nécessitera la définition au préalable de l'équivalent CO2 pour la réalisation-exploitation-maintenance de l'ouvrage. Cet objectif pourra se traduire dans le contrat de la manière suivante :
Usage des pistes cyclables. De la même manière, une collectivité qui entend développer l'usage de ses pistes cyclables pourra contraindre le titulaire à prendre des engagements en matière de fonctionnalité des pistes. Par exemple en imposant des équipements entretenus du type bornes de recharge, stations de gonflage, garages modulaires pour vélos. Cet objectif pourrait se traduire de la manière suivante :
La personne publique pourra également imposer des objectifs de sécurité des usagers par une surveillance de l'état du marquage au sol, sa glissance, sa rétroréflexion, voire des objectifs d'attractivité des pistes, comme la réduction d'îlots de chaleur aux abords du tracé. Par exemple :
La collectivité peut tout aussi bien « challenger » le titulaire sur un nombre d'usagers des voies cyclables, à charge pour lui d'augmenter l'attractivité de ce moyen de transport par tous moyens utiles. Le titulaire pourra alors spontanément utiliser des outils permettant d'avoir une vision claire des usages afin de lever les freins à l'usage du vélo. Telle piste cyclable n'est pas ou peu utilisée : cela résulte-t-il d'un sentiment d'insécurité vis-à-vis des véhicules terrestre à moteur ? Est-ce l'absence de parking à vélos sécurisé ou celle d'ombrage sur le trajet ? Dans quelle proportion chacun de ces phénomènes contribue-t-il à un sous-usage ? Le titulaire mettra alors en place des solutions de comptages et d'analyse pour décider de ses propres mesures correctives.
Un régime juridique souple qui permet de banaliser l'usage du MPGP
Si ce type de marché public est parfaitement adapté aux objectifs de développement durable sans pour autant sacrifier aux impératifs économiques qui pèsent sur les acheteurs, il est d'autant plus regrettable de ne pas l'utiliser que le législateur a considérablement assoupli ses conditions de recours. Il est donc assez facile de justifier du choix du MPGP.
En effet, au contraire des marchés de conception-réalisation qui ne peuvent être conclus que si des motifs d'ordre technique ou un engagement contractuel portant sur l'amélioration de l'efficacité énergétique ou la construction d'un bâtiment neuf dépassant la réglementation thermique en vigueur rendent nécessaire l'association de l'entrepreneur aux études de l'ouvrage, le MPGP de conception-réalisation-exploitation- maintenance n'est conditionné que par l'engagement du titulaire sur des objectifs de performances mesurables (dont l'irrespect, notamment en phase d'exploitation-maintenance, est sanctionné par des pénalités [).
Identification de la maîtrise d'œuvre et accès des PME. Certes, les MPGP exigent le respect de certaines règles particulières telles que l'identification de l'équipe de maîtrise d'œuvre (art. L. 2171-7), la présentation séparée des prix des différentes prestations (art. R. 2171-2), l'utilisation de critères de choix parmi lesquels figurent le coût global ainsi qu'un ou plusieurs relatifs aux objectifs de performance définis en fonction de l'objet du marché (art. R. 2171-3)… Une attention toute particulière doit être portée à la préservation de l'accès des PME à la commande publique. Ainsi, le titulaire d'un marché global doit s'engager à confier, directement ou indirectement, à des PME ou à des artisans, une part de l'exécution du marché équivalent à au moins 10 % du montant prévisionnel du marché (art. R. 2171-23).
Toutefois, aucune de ces spécificités juridiques n'est un frein à l'utilisation des marchés globaux de performance en infrastructure, de sorte que l'on peut parier sur leur développement dans un temps relativement proche.


